L’histoire de deux Susiyas, ou comment un village palestinien a été détruit au nom de l’archéologie israélienne

Hiam al-Nawaja rêve de vivre dans ce qu’elle appelle une « maison normale ». Cette mère de trois enfants qui a 23 ans et qui garde les moutons se débrouille….

Hiam al-Nawaja rêve de vivre dans ce qu’elle appelle une « maison normale ». Cette mère de trois enfants qui a 23 ans et qui garde les moutons se débrouille dans un carré de parpaings isolé par une bâche. L’intérieur ne dépasse pas la taille d’un vaste garage à deux portes. Son modeste logement est typique de Susiya, un village de pasteurs palestiniens établi dans les vallons au sud de Hebron en Cisjordanie ; l’ensemble des 45 familles qui résident à Susiya vit sous plastique et parpaings.

Pourtant, il y a de cela quelques courtes décennies, les résidants de Susiya avaient de solides structures de pierres bâties sur des grottes antiques, au sommet d’une colline, à un kilomètre de là où la localité se trouve maintenant. L’ancienne situation, « le vieux Susiya » est suffisamment proche pour que al-Nawaja puisse en voir des restes bulldozérisés depuis la fenêtre de sa cuisine. Le village a été détruit en 1986 quand Israël en a démoli la mosquée pour dégager une synagogue juive antique du sixième siècle. Le lendemain de ma visite à al-Nawaja, une bar-mitsvah y a été célébrée.

Le vieux Susiya est désormais administré par une colonie israélienne et a été transformé en attraction touristique appelée « Susya : Ville juive antique », selon ce qu’on peut lire sur une brochure (le i a disparu).

Dans cette histoire de deux villages, Susiya et Susya, la cité palestinienne est de nouveau confrontée à un déplacement et les espoirs sont mis sur une extension du parc archéologique sur cette même portion de territoire.

Jusqu’en mars dernier, une ordonnance protégeait la Susiya palestinienne d’une nouvelle expulsion. Mais ensuite, l’État a requis la suppression de toutes les constructions restantes, y compris de la maison de Hiam. L’envoi d’un document stipulant la décision est attendu à la fin du mois.

Israël entend relier le site archéologique à une colonie, appelée aussi Susya, qui relègue complètement la localité palestinienne. L’argument de l’État est qu’il est nécessaire d’élargir la zone de protection de sites historiques juifs au-dessus desquels vivent actuellement les Palestiniens. Un représentant du parc archéologique de Susya a dit à Mondoweiss que l’extension n’est pas destinée à poursuivre des fouilles archéologiques mais plutôt à utiliser l’espace pour des logements. Quoi qu’il en soit, Susiya et Susya sont devenues un exemple choquant de déplacement de population au nom de l’archéologie israélienne.

La proximité de colons a causé des problèmes à Susiya. En 2008 un groupe de jeunes masqués de la colonie israélienne a donné des coups de bâtons à des parents d’al-Nawaja. Ils ont cassé une mâchoire et un bras d’un des membres les plus âgés de la famille. L’incident a été filmé avec une caméra fournie par B’Tselem, l’organisation de défense des droits humains et il est passé dans une émission de la BBC cette année-là.

Mais la vie quotidienne continue, même lorsqu’elle elle confrontée à la menace d’un déplacement imminent.

« Je veux vivre bien avec mes enfants » a dit al-Nawaja assise sur un matelas dans son séjour. La plus jeune des enfants, Dahlia, dormait à ses pieds dans un berceau de métal. Dahlia, comme tous les autres enfants du village d’al-Nawaja, avait pris froid lorsque j’y suis allée début avril. Al-Nawaja a ensuite préparé du thé en filtrant l’eau qui est apportée en charrette dans des cuves entassées à Susiya. Il y a aussi des panneaux solaires. Pourtant, ils n’ont pas produit assez d’électricité pour chauffer chaque pièce durant le dernier hiver qui a été particulièrement enneigé.

Ces « tentes » comme Hiam appelle sa maison, ne sont pas reliées aux réseaux d’eau ni d’électricité. Toutes les voies sont pierreuses et dépourvues de revêtement. Il n’y a pas de collecte des ordures. Au plan légal, Susiya est classé comme « village non reconnu » dans la zone C, selon la délimitation des accords d’Oslo, zone dans laquelle Israël contrôle tout l’aménagement et la construction ainsi que la sécurité. Israël refuse plus de 95% des demandes de permis de construire de nouvelles maisons de la part de Palestiniens dans la zone C et il n’y a pas de policiers palestiniens à Susiya, c’est l’armée israélienne qui patrouille dans la région.

Il y a cependant des failles dans la législation, si bien que les Palestiniens sont autorisés à habiter dans des structures non permanentes comme celle d’al-Nawaja.

À cinq minutes à pied de Susiya vers l’Est, tout est neuf et brillant dans le parc archéologique de Susya. Des savons parfumés et du vin de la colonie sont vendus dans une boutique de souvenirs. Les toilettes publiques sont propres et connectées au réseau d’eau. Les enfants s’amusent avec de l’argile et des images colorées dans un kiosque d’artisanat. Les touristes peuvent vivre une expérience talmudique interactive dans des bains rituels juifs et des puits mis à jour par les fouilles.

C’est en 2010 que le parc archéologique de Susya a été classé Site du Patrimoine National et c’est l’une des six destinations (touristiques) israéliennes de Cisjordanie. Ce statut fait bénéficier Susya de financements de ministère israélien des affaires étrangères et plusieurs guides sont subventionnés par l’État. La plupart du temps le site archéologique est calme. Au ministère des affaires étrangères on m’a dit qu’ils ne comptent pas le nombre de visiteurs parce que le parc n’est pas une attraction majeure. Mais pendant les vacances, plus de 1 000 touristes viennent chaque jour, a dit Nachshon Afik, un employé de 47 ans qui travaille à Susya par une journée chaude de printemps début avril. « N’oubliez pas que Susya est dans les territoires et que donc les gens ont peur de venir » a-t-il dit, ajoutant que certains pensent que c’est « comme Gaza ».

« On peut aussi célébrer des mariages. C’est vraiment magnifique, au bout de 1000 à 1 500 ans de voir un mariage ici », dit Afik. Afik estime qu’environ la moitié des visiteurs de la période de vacances de Pessah-Pâques vivent dans des colonies de Cisjordanie. Nombre d’entre eux étaient des Américains-Israéliens parlant un mélange d’anglais et d’hébreu.

Un village qui a effectivement été créé il y a 1 500 ans en tant que localité juive pendant la fin de la période romaine est préservé au sein de Susya. Le symbole de la menorah est gravé sur des pierres. En haut à droite d’un linteau de porte, un rectangle taillé laisse penser à un emplacement pour une mezouza. Beaucoup d’informations sont données sur leur vie quotidienne. Plusieurs presses à olives en pierre ont été trouvées dans des grottes ainsi que des tessons de poteries et de pièces de monnaie de l’ère hellénique. Un autre guide a expliqué que la presse à huile est encore en état de fonctionnement. Les Palestiniens de Susiya auxquels la question a été posée ont dit qu’ils utilisaient la même machine avant d’être expulsés.

Les guides du site archéologique de Susya ne donnent aucune information aux touristes sur l’histoire récente des Palestiniens dans cette localité, pas plus qu’ils n’expliquent que les habitants d’origine ont été chassés sur un terrain qui est juste derrière le parking. Quand on a demandé au guide d’où venaient les voisins palestiniens, il a éludé.

« Ils sont de Yatta » (une ville palestinienne proche) a dit joyeusement une guide aux cheveux blonds et fraise, déguisée en Juive antique. Elle m’a dit que les Palestiniens n’ont vécu que deux ans à Susiya.

Afik a eu un autre point de vue. Il a dit que les Palestiniens s’étaient abrités dans le site archéologique de Susya dans les années 1980, mais seulement à certaines saisons. Un groupe de touristes, entendant la discussion sur les origines des voisins palestiniens, s’y sont joints. Un touriste savait que les Palestiniens avaient été chassés par Israël pour faire des fouilles à Susya. Daniel Eisenberg, un colon du Goush Etzion a dit que chasser les Palestiniens pour aménager le parc était « terrible » et « déroutant ». Un autre a haussé les épaules : Ça arrive partout ».

Le beau-père de Hiam al-Nawaja, Mohamed Nasser al-Nawaja, de 70 ans, a dit qu’il était né dans une grotte à Susiya, qui fait partie de la zone des fouilles. Le mari de Hiam, Nasser, est né dans la même grotte en 1982.

« Maintenant nous vivons ici comme des prisonniers » a dit Mohamed tandis qu’il se dirigeait vers la colonie voisine.

Les Palestiniens de Susiya ont essayé plusieurs fois d’acheter un ticket pour entrer dans ce qui est maintenant le Susya archéologique. Ils disent qu’on leur a refusé chaque fois l’entrée.