Collectif Dénonçant les violations des droits humains et des libertés des Palestiniens, cinq anciens ministres des affaires étrangères, dont Mogens Lykketoft, président de l’Assemblée générale des Nations unies, et Hubert Védrine, appellent la communauté internationale à demander des comptes au gouvernement israélien.
Alors que le monde observe avec horreur les événements qui se déroulent en Ukraine, la discussion sur l’urgence de protéger un ordre mondial fondé sur le droit international domine le discours public et politique. La communauté internationale s’est ralliée au multilatéralisme et à la nécessité d’adhérer au droit international et de protéger les droits humains. C’est en effet la seule façon d’avancer dans un paysage mondial de plus en plus polarisé.
Dans le même temps, nous nous rappelons que, dans d’autres contextes, la communauté internationale a trop souvent gardé le silence et n’a pas agi face à de graves violations du droit international et à l’impunité qui s’ensuivait. Or la sauvegarde de l’ordre juridique international implique l’application de principes de manière uniforme et cohérente.
Les mêmes normes et la même volonté de protéger la population civile ukrainienne et de demander des comptes pour les violations du droit international commises par la Russie doivent être appliquées dans le monde entier, y compris dans le cadre du conflit israélo-palestinien.
Occupation prolongée
Il est essentiel que le consensus de la communauté internationale concernant l’illégalité et l’immoralité de plus de cinq décennies d’occupation constitue l’épine dorsale de la politique européenne qui régit nos relations avec Israël.
L’Union européenne (UE) et ses Etats membres continuent de placer la solution à deux Etats, fondée sur la souveraineté et l’égalité des Israéliens et des Palestiniens, comme pierre angulaire de leur politique au Moyen-Orient. Pourtant, la réalité sur le terrain, en Israël et dans les territoires palestiniens occupés, évolue dans une direction totalement opposée. Et notre inaction pourrait avoir des conséquences importantes dans la région, ainsi que sur la validité et l’efficacité de la diplomatie européenne dans le monde.
Les gouvernements israéliens successifs, y compris le gouvernement actuel, ont clairement indiqué à plusieurs reprises qu’ils n’avaient pas l’intention de prendre des mesures pour mettre fin à cette occupation prolongée. En contradiction directe avec le droit international, Israël a transféré des centaines de milliers de citoyens israéliens dans les territoires occupés. Aujourd’hui, plus de 650 000 Israéliens vivent dans des colonies illégales en Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est. Ces colonies sont établies dans des zones qui fragmentent intentionnellement la population palestinienne en enclaves déconnectées, érodant la viabilité d’un futur Etat palestinien.
Un système juridique à deux vitesses est en place, avec des droits inégaux entre les Palestiniens vivant sous le régime militaire et les Israéliens vivant sous le régime civil israélien. Les Palestiniens sont confrontés quotidiennement à la répression structurelle, ainsi qu’aux restrictions de mouvement, à la confiscation des terres, aux démolitions de maisons, à la surveillance et aux violations des droits civils fondamentaux, notamment la liberté d’expression et de réunion.
Mépris alarmant
Malgré l’espoir initial de changement avec le gouvernement de coalition élu en Israël en 2021, ces tendances se poursuivent. Nous assistons à une augmentation significative de la gravité et de la fréquence des violences commises par les colons à l’encontre des communautés palestiniennes, et cela en toute impunité.
En outre, le ministère israélien de la défense a entrepris une répression sans précédent de la société civile palestinienne, déclarant hors la loi six des ONG les plus importantes. En 2021, le nombre de structures palestiniennes démolies par Israël est le plus élevé enregistré par l’ONU depuis des années, tandis qu’un nombre record de structures d’aide humanitaire fournies par l’UE et ses États membres ont été démolies ou confisquées. Cela s’est accompagné d’une avancée significative des colonies dans la périphérie de Jérusalem-Est, menaçant de fragmenter la Cisjordanie en territoires non contigus.
Plus récemment, le 5 mai 2022, la Haute Cour israélienne a donné son feu vert au transfert forcé de plus de 1000 résidents palestiniens des communautés de Masafer Yatta, dans les collines du sud d’Hébron. Si elle est mise en œuvre, cette mesure constituera le plus grand acte de transfert forcé dans les territoires occupés depuis les années 1970.
L’assassinat de la journaliste d’Al-Jazira Shireen Abu Akleh, dans l’exercice de ses fonctions, témoigne d’un mépris croissant et profondément alarmant pour les droits et libertés fondamentales des Palestiniens.
Travailler pour soutenir deux Etats
Au cours des dernières années, un nombre croissant d’organisations israéliennes et internationales de défense des droits humains se sont jointes à la société civile palestinienne pour conclure que le système israélien de répression contre les Palestiniens, en particulier dans les territoires occupés, équivaut à de l’apartheid.
Cette affirmation se base sur des analyses juridiques solides présentées par B’Tselem, Yesh Din, Human Rights Watch, Amnesty International, un rapporteur spécial des Nations unies et la Clinique internationale de défense des droits humains de la faculté de droit de Harvard.
Nous croyons en l’importance pour la communauté internationale de travailler pour soutenir deux Etats, Israël et la Palestine, vivant côte à côte dans la sécurité, la démocratie et la paix. Il est grand temps que les alliés d’Israël, y compris l’UE et ses États membres, réaffirment leur engagement en faveur de deux États en demandant à Israël de rendre des comptes pour ses violations continues des droits humains et des libertés des Palestiniens.
Nous ne voyons pas d’autre alternative que de reconnaître que les politiques et pratiques d’Israël à l’encontre des Palestiniens vivant en Cisjordanie, à Jérusalem-Est et à Gaza équivalent au crime d’apartheid, et nous appelons nos collègues de la communauté politique européenne à se joindre à nous pour exiger une action visant à mettre fin à ces politiques injustes et à faire apparaître les perspectives d’une solution à deux Etats au conflit.
Mogens Lykketoft, ancien ministre des affaires étrangères et président de l’Assemblée générale des Nations unies, Danemark ; Erkki Tuomioja, ancien ministre des affaires étrangères, Finlande ; Ivo Vajgl, ancien ministre des affaires étrangères, Slovénie ; Hubert Védrine, ancien ministre des affaires étrangères, France ; Baroness Sayeeda Warsi, ancienne ministre du cabinet et ministre du Foreign Office pour les Nations unies, les droits de l’homme et la CPI, Royaume-Uni.