L’ancienne présidente de l’Association des Langues Modernes démissionne suite à la décision d’interdire le débat sur BDS

Le 9 janvier, 2018

À Paula Krebs, Directrice Exécutive de l’ALM, et aux représentants et autres membres du Conseil Exécutif de l’ALM

Chers collègues

C’est avec grand regret que j’écris pour vous dire que j’ai décidé de démissionner de l’ALM. Ma décision a été longue et difficile à prendre. Aucun autre ancien président n’a eu une telle démarche, à ma connaissance, et je ne suis pas du tout sûre que ce soit une démarche qui portera ses fruits. Laissez moi, je vous prie, expliquer pourquoi je m’en vais.

En votant la Résolution 2017-1, qui a fermé la porte, sur un mode constitutionnel sans précédent, à la possibilité de débattre de l’appel palestinien au boycott des institutions académiques d’Israël, l’association a envoyé au monde un message disant qu’elle veut que les protestations contre les conditions d’enseignement et d’apprentissage dans les universités palestiniennes soient éliminées. Parce qu’en abandonnant les efforts de longue date de l’association pour défendre les droits des éducateurs en sciences humaines la résolution n’est pas représentative du but de l’ALM dans sa clause d’ouverture; et parce que la résolution interdit toute discussion future sur un thème d’intérêt public, onze anciens présidents ayant des opinions diverses sur le boycott ont demandé au Conseil de ne pas traiter la résolution comme si de rien n’était à sa réunion de février dernier. La décision de le faire, justement, signifie que l’association a déclaré publiquement qu’elle souhaite empêcher toute discussion sur les atteintes aux droits des enseignants dans les Territoires Occupés ; l’association adhère au contraire à l’idée que son affaire ce sont plutôt des questions pressantes plus proches de chez elle – chez elle c’est évidemment dans les États Unis, qui donnent une aide financière massive à Israël. Mais les membres multilingues de l’ALM, aussi bien enseignants qu’étudiants viennent au moins de 104 pays ; et les membres de l’ALM d’origine palestinienne ont témoigné de façon répétée qu’ils perdent leur liberté d’expression et de mouvement lorsqu’ils essaient d’entrer dans les Territoires Occupés pour enseigner et faire de la recherche.

En tant que membre d’un petit groupe non officiel de membres de l’ALM qui s’est rendu dans des universités de Cisjordanie à l’été 2016, à l’invitation d’un membre qui travaille à l’Université de Bethléem, j’ai vu de mes propres yeux comment les enseignants et les étudiants sont empêchés jour après jour de faire leur travail d’enseignement et d’apprentissage. Mon expérience, en Israël-Palestine, détaillée dans ce rapport, est une des nombreuses raisons qui me font abandonner mon adhésion à une organisation à laquelle j’ai participé et de laquelle j’ai eu des enseignements depuis 40 ans – assez longtemps pour acquérir les privilèges de « membre à vie ». Ces privilèges me sont maintenant un fardeau. J’y renonce pour me donner l’occasion de m’exprimer par un geste symbolique de séparation après avoir épuisé les moyens de protestation à ma portée en tant que membre.

Ma décision de démissionner est douloureuse pour nombre de raisons. L’une d’elles est que ma mère, Mary Anne Ferguson, a été membre de la commission de l’ALM sur le statut des femmes à la fin des années 1960 et au début des années 1970. Elle a vu l’association, comme je l’ai vue moi aussi, comme un lieu dans lequel et à partir duquel les enseignants de sciences humaines pouvaient agir sur le changement social, y compris par des améliorations dans ce que la déclaration de mission actuelle appelle « l’équité en milieu de travail ». La question est de savoir si le mot « équité » sera interprété de façon étroite ou large. Avec le vote de la Résolution 2017-1, l’association a opté pour une interprétation qui résonne étrangement avec la doctrine « l’Amérique d’abord » du président Trump.

Lorsque j’ai rejoint l’ALM et que ma mère travaillait à la commission, l’association a effectivement voté, après un débat « clivant », pour intervenir dans une arène publique à la fois nationale et internationale en faisant une déclaration contre la conduite de la guerre au Vietnam par le gouvernement américain (pour un débat sur cette déclaration historique, voir mon discours de Présidente (Presidential Address) de 2014). C’étaient les années de la création de l’Assemblée des Délégués comme «voix des membres » et comme structure qui permettrait à l’association de devenir plus représentative (bien que cela demeure difficile à conceptualiser dans les documents et dans les pratiques électorales de l’ALM). Depuis la formation de l’Assemblée, l’ALM s’est certes ouverte davantage qu’elle ne l’avait fait précédemment aux préoccupations de recherche, pédagogiques, politiques, géographiques et économiques de ses membres, dont la plupart ne travaillent pas dans les institutions américaines d’élite de la côte Est d’où venaient les fondateurs de l’association en 1883. Mais l’association ne s’est de toute évidence pas plus ouverte à débattre de ce que moi et nombre d’autres considérons comme une des attaques majeures contre l’accès à l’éducation et à la liberté académique de notre temps. Si l’association pouvait amender ses règlements et affirmer son engagement à permettre le débat sur tous les sujets de préoccupation de ses membres, je m’empresserais de la réintégrer.

Pour le moment, l’ALM a pris une position extrême et intenable au plan éthique en endossant l’idée, promue par un groupe de membres ouvertement « assistés » par des groupes extérieurs, qu’il est illégitime pour des groupements professionnels de protester contre la politique israélienne à l’égard de ses sujets palestiniens. Et ce, bien que le Conseil Exécutif n’accepte clairement pas la définition étroite de la mission de l’association de la Résolution 2017-1 quand il s’agit de s’exprimer sur d’autres communautés éducatives dont la liberté académique et la liberté de mouvement sont menacées, que ce soit dans l’Amérique de Trump (voir la Résolution 2017-2) ou dans la Turquie d’Erdogan. Ayant passé une partie de l’année dernière dans une université d’Afrique du Sud, je suis vraiment consciente que l’organisation que j’ai eu l’honneur de représenter est restée silencieuse, à son déshonneur, sur la politique du régime d’apartheid sud africain. Au moment décisif où même la presse mainstream des USA décrit la création de « bantoustans » d’apartheid dans des quartiers de Jérusalem tout près du « mur de séparation », il me semble que je dois quitter une association qui a de nouveau choisi de rester silencieuse, cette fois en interdisant résolument le débat.

Déchirée que j’étais sur ce qu’il fallait faire face à la Résolution 2017-1, je me suis mise à penser sérieusement à la façon dont un autre ancien président de l’ALM, Edward Saïd, aurait pu considérer ces questions dans son long effort pour équilibrer le pessimisme de la pensée avec l’optimisme de la volonté. Etant donné qu’il est mort, je ne peux lui demander conseil. Mais je peux vous demander de prendre en considération quelques mots de son livre After the Last Sky : Palestinian Lives : « Le souvenir s’ajoute à l’intensité non soulagée de l’exil palestinien. La Palestine a une place centrale dans les cultures de l’Islam, de la Chrétienté et du Judaïsme… Il n’y a pas d’oubli, pas de moyen de l’ignorer ». L’appel palestinien pour la justice va se poursuivre et la résolution de l’ALM enjoignant à la surdité à son égard sera questionnée de l’intérieur et de l’extérieur dans les années à venir.

Tandis que les dirigeants élus de l’ALM se remettent au travail après la Convention de 2018, où des membres de nombreuses sessions se sont consacrés au thème de la Présidente Diana Taylor (#États d’Insécurité) en explorant son postulat selon lequel « l’université ne peut être séparée de la tourmente politique, économique et idéologique de notre temps », j’espère qu’il y aura un débat solide dans vos réunions sur comment, pourquoi et au bénéficie de qui l’appel palestinien au boycott a été déclaré officiellement hors discussion par la plus grande association d’enseignants en sciences humaines du monde.

Sincèrement vôtre

Margaret Ferguson

Professeure distinguée émérite d’anglais,

Université de Californie à Davis