Je vous écris pour demander que la branche Hillel de Harvard— l’institution que vous supervisez — cesse d’affirmer qu’elle représente la communauté juive sur le campus. L’hostilité de longue date de Hillel à toute dissension, malgré les désaccords persistants de notre communauté sur Israël, la Palestine, le sionisme et la libre expression sur le campus, signifie qu’elle est incapable de servir d’intermédiaire honnête.

Cher rabbin Rubenstein,
J’espère que vous passez une fête de Souccot pleine de sens.
Je vous écris pour demander que la branche Hillel de Harvard— l’institution que vous supervisez — cesse d’affirmer qu’elle représente la communauté juive sur le campus. L’hostilité de longue date de Hillel à toute dissension, malgré les désaccords persistants de notre communauté sur Israël, la Palestine, le sionisme et la libre expression sur le campus, signifie qu’elle est incapable de servir d’intermédiaire honnête.
Rien que la semaine dernière, vous êtes allé jusqu’à appeler la police pour des affiches accrochées à l’extérieur de Hillel et critiquant la destruction de Gaza et les assassinats d’enfants par Israël. Les affiches montraient des images de carnage à côté d’un passage en hébreu de la liturgie de Yom Kippour, appelant à l’expiation rituelle. Cette campagne d’affiches était organisée par J Street U, un groupe d’étudiants juifs de Hillel même, qui vous avez ensuite suspendus temporairement. Vous avez aussi qualifié les affiches d’« intimidantes », comme si elles représentaient une menace pour la sécurité physique des juifs et non un défi aux positions politiques de Hillel.
Pendant ce temps, les crimes de guerre d’Israël à Gaza, en Cisjordanie, et maintenant au Liban, continuent sans relâche. Des historiens ont comparé à l’Holocauste ces agressions et le silence de l’establishment des États-Unis. Mais plutôt que de nous aider à affronter la réalité de ce désastre moral, votre communication publique est focalisée sur une identification entre des expressions de consternation et du fanatisme contre les juifs.
Vous avez déclaré au New York Times que « l’antisémitisme est une peur, et une haine, du pouvoir juif ». De telles tentatives pour élever le pouvoir juif au-dessus de toute critique sont corrosives du point de vue éthique. Elles nous dispensent de justifier la manière dont ce pouvoir est exercé, en utilisant la dévastation de l’Holocauste comme un bouclier pour la violence d’État. Elles sont bien trop communes parmi les dirigeants de notre communauté.
Vendredi, la responsable de Harvard pour la diversité et l’inclusion a envoyé un email à toute l’université pour dénoncer des stickers trouvés sur le campus qui superposaient des croix gammées à un drapeau israélien. Il n’y a aucune preuve que le coupable, qui demeure inconnu, ait une connexion quelconque avec l’université. Néanmoins, l’email affirmait que l’université continuerait son partenariat avec certains groupes, dont Hillel, pour organiser sur le campus une programmation contre l’antisémitisme, institutionnalisant encore davantage à Harvard les opinions de Hillel sur le sujet.
Ironiquement, bien que les stickers associant un drapeau israélien avec un symbole nazi aient choqué les administrateurs, de tels parallèles ne sont pas inconnus en Israël. Le terme « judéo-nazi » a été utilisé par des intellectuels, des experts et des politiciens en Israël — y compris maintenant en référence à des membres de l’actuel gouvernement.
Quand l’Afrique du Sud a accusé Israël de génocide devant la Cour internationale de justice au début de l’année, elle a donné des citations de responsables israéliens qui suggèrent que ces parallèles pourraient ne pas être faux. Je n’en mentionnerai qu’un parmi beaucoup d’autres ici : la déclaration du ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben-Gvir, selon laquelle « quand nous disons que le Hamas doit être détruit, cela signifie aussi que ceux qui célèbrent, ceux qui soutiennent et ceux qui distribuent des bonbons— ce sont tous des terroristes et ils doivent aussi être détruits. »
En juin, les fonctionnaires en poste étaient plus prudents, mais l’ancien vice-président de la Knesset, Moshe Feiglin, a fait la lumière sur leurs modèles politiques : « De même qu’Hitler a dit : ‘Je ne peux vivre s’il reste un seul juif’, nous ne pouvons vivre s’il reste un seul islamo-nazi à Gaza’ ».
Ces personnalités publiques sont les visages du pouvoir juif dont vous parlez. Ce sont les exposants majeurs du sionisme et « la peur et la haine » du projet idéologique et politique qu’ils représentent n’est pas antisémite.
Il y a une ligne du livre de Jérémie dans la Bible qui s’adresse au problème central de la vie juive aujourd’hui : Hoi boneh beto belo tzedek, « malheur à celui qui construit sa maison par l’injustice ». Pour moi et pour beaucoup d’autres juifs de Harvard, ce passage décrit parfaitement l’État qui a détruit les vies de millions de Palestiniens pour que le pouvoir juif puisse être maintenu, et décrire nos critiques comme étant antisémites est une attaque directe sur notre identité et notre héritage juifs.
Chaque matin pendant Soukkot, nous lisons quelques passages des Psaumes et l’un d’eux est resté en moi. « Leurs idoles sont d’argent et d’or », dit le texte, « faites par des mains humaines. Elles ont des bouches, mais ne peuvent parler, des yeux, mais ne peuvent voir. Elles ont des oreilles, mais ne peuvent entendre, des nez, mais elles ne peuvent sentir. »
L’idolâtrie de Hillel pour Israël l’a rendu, non pas simplement réticent à reconnaître les millions de Palestiniens que l’État juif a maltraités, mais aussi incapable de percevoir leur humanité de quelque façon moralement significative. Pire encore, vous poussez l’administration de Harvard à réduire au silence ceux d’entre nous qui n’ont pas ces déficiences.
Rabbin Rubenstein, je viens moi-même d’une vieille famille rabbinique — mon arrière-arrière-grand-père dirigeait le Beis Din de Mogilev — et j’ai participé à plusieurs événements de Hillel à l’université de Californie à Santa Cruz dans les années 1990. L’organisation semblait alors s’engager à offrir un espace à tous les étudiants juifs pour qu’ils parviennent à leurs propres opinions sur des questions pressantes comme la destinée du nationalisme juif. Je pense que les dirigeants voyaient cette approche tolérante à la fois en termes pédagogiques et en termes spirituels.
La vision de la communauté juive dans la branche d’Hillel à Harvard aujourd’hui est dramatiquement différente, si focalisée sur une propagande en faveur de l’impunité israélienne du Jourdain à la Méditerranée que vous êtes prêt à rompre les liens de notre héritage partagé et à passer outre sur toute autre valeur morale, intellectuelle et culturelle. Ce n’est pas le comportement du porte-parole d’une communauté de bonne foi, et je vous demande de cesser de mascarader comme si vous l’étiez.
Je vous remercie de m’avoir écouté,
Moadim l’simcha,
Aaron
Aaron D.A. Shakow est lecturer sur la santé dans le monde et la médecine sociale à l’Écoled e médecine de Harvard.