Je suis pédiatre à Gaza. Je vous en prie, sauvez nous de cette horreur.

Dr. Abu Safyia est pédiatre à l’Hôpital Kamal Adwan au nord de Gaza.

A l’Hôpital Kamal Adwan au nord de Gaza, nous avons l’habitude de traiter les victimes des frappes aériennes depuis des années. L’équipe doit bien trop souvent se précipiter dans la salle des urgences, tout le monde sur le pont, prêts à traiter des blessures par éclats d’obus, des brûlures et des hémorragies. Dans les premiers jours du conflit actuel Israël-Hamas, notre hôpital de seulement 80 lits a été rapidement débordé. Le 17 octobre, après l’explosion de l’hôpital Al-Ahli à Gaza ville, nos avons été submergés par des dizaines de victimes blessées et mourantes. Nous savions que ce serait une autre nuit sans dormir, une autre dans une série bien trop nombreuse depuis le début des violences 10 jours plus tôt.

Jusqu’à trois à quatre enfants devaient partager des lits à une place et beaucoup plus étaient obligés de se contenter du sol. Quelques patients blessés de l’explosion de l’hôpital arrivaient en cirant de douleur, mais d’autres étaient muets, en état de choc ou ne pouvant plus être sauvés. Avec les produits anesthésiques, l’iode, l’alcool, le sang et même la gaze en voie d’épuisement ou complètement épuisés, nous avions une diminution d’outils à notre disposition pour aider à apaiser la souffrance humaine. Les gens qui affluaient à Kamal Adwan pour dormir dans nos halls ou même sur le parking, le croyant plus sûr que leurs maisons, étaient sans doute aussi effrayés que nous.

Alors que j’écris cela, l’hôpital est au bord d’un véritable désastre. Nous sommes au bout des derniers litres de carburant nécessaire pour faire tourner les générateurs électriques, malgré nos efforts les plus rigoureux pour le rationner depuis le début des hostilités. Les lumières sont éteintes la plupart du temps, les ascenseurs arrêtés et les patients sont portés d’un étage à l’autre. Quand le carburant sera épuisé, nous ne pourrons plus fonctionner la nuit après le coucher du soleil. La plupart des outils et des équipements nécessaires au fonctionnement d’un hôpital moderne, comme les ventilateurs, les défibrillateurs et nos unités néonatales deviendront inutilisables. Quand les générateurs s’arrêteront, nous retournerons à une pratique médiévale de la médecine. Sans un réapprovisionnement urgent de carburant, les lumières s’éteindront définitivement, et notre hôpital pourrait se transformer en morgue.

Kamal Adwan est loin d’être le seul hôpital à atteindre son point de rupture, alors que des médecins comme moi réclament désespérément davantage d’aide à Gaza. Je suis pédiatre à Kamal Adwan, je fais partie d’une équipe de neuf médecins de MedGlobal et travailleurs de l’aide humanitaire qui sont sur le terrain à Gaza depuis 2018. Durant cette période, nous avons vu notre lot de tragédie, de souffrance et de pénurie, mais rien ne pouvait nous préparer aux horreurs des quelques dernières semaines. Mon équipe et moi avons partagé notre temps entre les soins aux patients et la recherche locale et la distribution de fournitures médicales, de nourriture et de carburant à 11 hôpitaux différents – l’équivalent de 1.3 million $ de ressources depuis le début de la violence. Et c’est encore loin d’être suffisant.

La plupart d’entre nous avons choisi de rester au nord de Gaza, défiant les ordres d’évacuation parce que nous ne voulons pas laisser derrière nous nos patients, alors que, pour beaucoup d’entre eux, cela signifierait une mort certaine. Les abandonner maintenant serait une violation de mon serment d’Hippocrate ainsi que d’une simple décence humaine. Ma femme et mes six enfants sont eux aussi restés avec moi à l’hôpital depuis le début des violences.

J’ai essayé de les convaincre de partir vers le sud, mais ma femme m’a dit que nous vivrons ou mourrons ensemble. De nombreux Palestiniens du nord de Gaza ont le même sentiment, risquer leur vie chez eux plutôt que d’envisager la perspective de devenir des réfugiés au sud.

Les médecins ne sont pas étrangers à la tragédie ou à la mort et sont entraînés à se blinder contre elle, mais la pression que nous avons subie ces quelques dernières semaines va au-delà de tout entraînement. L’un de mes collègues a perdu son père et son frère dans une frappe aérienne au cours de la première semaine du combat ; un autre a vu son fils mort entrer sur un chariot poussé par une équipe d’urgence. Au niveau professionnel, au niveau personnel et plus fondamentalement, au niveau humain, les gens de Gaza et le personnel médical qui prend soin d’eux sont à bout de souffle. Comme nos patients, et spécialement les enfants, ce conflit laissera chacun de nous traumatisé.

Même ainsi, nous soignons nos patients au mieux de nos capacités avec le strict minimum d’électricité, de médicaments et de fournitures. Nous stérilisons les blessures avec du vinaigre, chose auparavant impensable dans notre unité moderne de soins intensifs. L’eau pour boire est épuisée depuis plusieurs jours et l’eau que nous avons n’est pas potable, contribuant à une marée montante d’infections et de maladies intestinales que nous n’avions pas vues à Gaza depuis des années. Notre morgue s’est remplie à son maximum dès la première semaine et nous avons dû ranger beaucoup de cadavres d’enfants dans une tente à côté, priant pour que les corps en décomposition ne contaminent pas l’eau des puits ou ne propagent d’autres maladies. Nous craignons une épidémie de choléra et de typhoïde. Nous craignons sur le long terme des impacts sur la santé mentale des enfants dont nous avons la charge. Leurs petits corps sont prompts à blesser et prompts à guérir, mais leurs esprits et leurs âmes auront besoin de toute une vie de soins pour surmonter ce qu’ils auront vu et subi.

Le 20 octobre, alors que je finissais d’opérer une fille qui avait perdu sa jambe, je suis passé par le couloir et ma femme était là pour me serrer dans ses bras. Notre maison, m’a-t-elle dit, avait été détruite dans une frappe aérienne sur un bâtiment mitoyen pendant que j’étais en train d’opérer. L’hôpital est maintenant notre seul domicile. Le soir, je vais dans mon bureau et je ferme la porte pour pleurer, à l’écart des yeux de mes patients et de ma famille.

Il est peut-être difficile de comprendre pourquoi chacun d’entre nous est encore à l’hôpital, gérant les voies de réapprovisionnement et luttant contre un océan de désespoir. La réponse, c’est l’espoir. Comme l’Hôpital Kamal Adwan et Gaza elle même manquent de tout – nourriture, eau, carburant, médicaments – la seule chose qui ne nous manque pas encore, c’est l’espoir. Je le vois chez mes camarades médecins et l’équipe de MedGlobal qui risquent leur vie tous les jours en parcourant les rues de Gaza pour faire des livraisons. Je le vois dans les yeux de nos patients – pas tous, mais beaucoup. Il existe au cœur de l’expérience humaine une résilience et une ténacité qui sont plus fortes que toutes les horreurs que les hommes peuvent s’infliger les uns aux autres.

Grâce à cet espoir, nous lançons un appel urgent au reste du monde pour qu’il envoie plus d’aide à Gaza. Afin que des hôpitaux comme Kamal Adwan puissent continuer de fonctionner, nous avons désespérément besoin de plus de moyens – et spécialement du carburant pour nos générateurs. Si nous ne pouvons pas remettre la lumière et conserver les équipements de sauvetage en marche, trop de nos patients vont finir par mourir inutilement.

Nous espérons que des gens liront notre histoire et partagerons nos souhaits pour un cessez-le-feu, pour une ouverture complète des passages de frontière afin que les blessés et les malades puissent sortir et que le matériel de survie puisse atteindre les fatigués, les affamés et les déplacés. Pour une vie normale en paix où les hôpitaux de la région voient les patients israéliens et palestiniens côte à côte, libérés du chagrin, de la séparation et de la guerre. Nous avons besoin de l’aide du monde pour maintenir ces espoirs et mettre un terme à cette violence insensée.

Dr. Hussam Abu Safyia est médecin-chef de MedGlobal à Gaza. Il est pédiatre à l’Hôpital Kamal Adwan au nord de Gaza.