Je suis noir et j’ai été identifié racialement et enfermé en Israël lors de mon voyage

Kristian Davis Bailey, militant de Détroit et écrivain se rendait à une conférence en Cisjordanie où il allait parler de la solidarité entre Noirs et Palestiniens lorsque la police israélienne l’a accusé de trafic de drogue. Il revient ici sur le traumatisme de son arrestation et insiste sur le fait que cela n’est rien en comparaison de ce à quoi les Palestiniens sont confrontés.

Depuis deux mois j’ai gardé le silence à propos d’une expérience inattendue et traumatisante : profilage racial, arrestation et incarcération par l’État d’Israël à la mi décembre.

Je me rendais à l’Université de Bir Zeit en Cisjordanie pour parler du mouvement Black Lives Matter (Les vies noires comptent) et des liens établis par de jeunes Noirs et des militants avec la lutte des Palestiniens->http://blackpalestiniansolidarity.com/]. J’ai récemment eu une contribution importante à ce travail en organisant une délégation d’étudiants palestiniens à Ferguson en 2014 ; j’ai aussi co-organisé la publication de la [déclaration de Solidarité Noire avec la Palestine de 2015, signée par 1 000 militants dont Angela Davis et Talib Kweli, et j’ai coécrit le scénario de la vidéo de solidarité des Noirs avec la Palestine de 2015 « Quand je les vois, je nous vois » dans lesquels jouent Danny Glover et Mme Lauryn Hill.

Pour aller à Bir Zeit, je suis entré en Cisjordanie depuis la Jordanie par le Pont Allenby qui est de fait un point de passage entre un terminal jordanien et un terminal contrôlé par Israël sur la terre palestinienne.

L’officier de l’Autorité des aéroports israéliens a prétendu que mon tube d’Ibuprofène de CVS, clairement étiqueté comme tel était en réalité du Captagon, une amphétamine illégale que les media occidentaux ont récemment appelée la drogue de choix des combattants syriens et de DAESH.

La soi-disant évidence de mon trafic était une photo que le chef a mise à l’écran de son téléphone. Il a prétendu que ce qu’il identifiait pour du Captagon était tout à fait semblable à mes pilules. Celles-ci étaient petites, rouges, avec « 1-2 » marqué dessus. (J’ai appris plus tard que « 1-2 » désigne « l’Ibuprofène 200 mg »). La plupart des images du Captagon que j’ai vues en ligne sont des pilules jaunâtres-grises ou beiges.

Après que je me sois expliqué avec cinq autres officiers qui s’étaient rassemblés pour regarder mon Ibuprofène, l’une d’eux m’a dit que j’avais raison, que c’était bien des analgésiques. Elle m’a dit alors d’aller m’asseoir dans la salle d’attente du terminal.

Mais une heure plus tard, des agents de la police des frontières m’ont conduit dans une pièce où un officier de police m’a dit que j’étais soupçonné de faire entrer de la drogue dans le pays. J’ai été soumis à une fouille au corps complète et mis en arrestation. Je suis entré en Palestine sur le siège arrière d’un car de police, menotté, entravé et flanqué de part et d’autre d’Israéliens portant des fusils d’assaut militaires fabriqués aux États Unis.

La police m’a amené à 30 minutes de la frontière jordano-palestinienne à un commissariat de Ma’ale Adoumim – une colonie israélienne de Cisjordanie qui est illégale au regard du droit international. Là, la police m’a interrogé avant que je puisse parler à l’avocat que j’avais demandé, en contravention avec la loi israélienne. Ils m’ont fait signer de multiples papiers imprimés uniquement en hébreu, une langue que je ne lis ni ne comprends. La police a ensuite confisqué tous mes appareils électroniques – téléphone, ordinateur, appareil photo, enregistreur et disque dur.

Après une brève consultation avec un procureur, la police m’a emmené au Domaine Russe de Jérusalem. En dépit de mes demandes répétées, je n’ai pas été autorisé à appeler mes parents, l’Ambassade américaine ou quelque contact local que ce soit.

Personne ne savait où j’étais.

Alors que je venais d’être choqué de voir que celui qui m’avait interrogé à Ma’ale Adoumim était un Arabe, j’eus la surprise de voir un Éthiopien parmi les officiers de police à la prison du Grand Prieuré Russe. À part ces officiers et quelques prisonniers soudanais, ils furent les seuls non Blancs que j’ai vus durant ma détention. J’ai partagé une cellule avec trois Israéliens plus âgés que moi et j’ai passé l’essentiel de la nuit incrédule, espérant que quelqu’un à l’extérieur trouverait où j’étais. C’était la première fois que j’étais en prison.

Lors de l’audience, le lendemain, le juge a accepté de me libérer avec une caution de 6 000 shekels (1 373 €) à condition que la police garde mon passeport et que je ne quitte pas le pays pendant 10 jours. La caution a vidé mon compte bancaire et la restriction de voyage m’a fait rester trois jours de plus que prévu dans le pays.

La police m’a libéré 27 heures après mon arrivée sur le sol de Palestine. C’est seulement à ce moment-là que ma famille a pu savoir où j’étais. Mes parents ont dit qu’ils avaient le sentiment que quelque chose n’allait pas étant donné qu’ils n’avaient pas de nouvelles de moi. Ils ont recommandé de contacter l’Ambassade américaine et le représentant Gregory Meeks (D de New York), le membre du Congrès du district de Queens où j’ai grandi et où mes parents travaillent toujours. Le lendemain j’ai parlé avec le chef des Services aux Citoyens Américains de l’Ambassade Américaine à Tel Aviv. Il a classé mon cas en grande priorité après avoir eu un contact avec Meeks.

J’avais manqué mon panel sur la solidarité internationale pendant que j’étais emprisonné, mais Jamil Dawkar, un avocat palestinien spécialisé dans les droits humains, qui participait à la conférence, s’est porté volontaire pour être en conseil juridique auprès de moi au cours de la semaine et s’assurer que j’étais aussi à l’aise que possible. Je suis resté chez des amis à Tel Aviv et à Haifa puisque je ne pouvais pas traverser le check point vers la Cisjordanie sans passeport ou une preuve d’entrée dans le pays.

Deux jours après ma libération, j’ai été convoqué au commissariat de Ma’ale Adoumim pour un second interrogatoire.

Pendant deux heures, les deux officiers de police qui m’interrogeaient n’ont pas passé plus de 10 minutes sur des questions sur le Captagon à propos duquel j’étais suspecté de trafic. Le reste du temps, ils ont examiné des photos de mon appareil photo et de mon téléphone. Sur la base de ces photos ils m’ont interrogé sur mes voyages précédents dans la région, mon travail militant aux USA et ma présence à un meeting politique en soutien à Rasmea Odeh où Angela Davis était tête d’affiche.

La police a tenté de d’inventer une histoire selon laquelle je soutenais Al Qaida et DAESH et ils m’ont traité de menteur quand j’ai affirmé sans équivoque que ce n’était pas le cas. Ils se sont ensuite lancés dans des commentaires contre les Musulmans, contre les Palestiniens et contre les Noirs, allant jusqu’à dire que mon soi disant forfait en Israël était comme si eux, se rendant à New York en touristes, étaient allés acheter de la drogue à Harlem.

Mais, de toute évidence, la police ne croyait pas à ce qu’elle racontait et ils m’ont laissé partir après l’interrogatoire. Après, j’ai attendu de voir si les résultats de leurs tests de laboratoire confirmaient que j’avais bien sur moi de l’Ibuprofène, un anti-douleur en vente libre largement utilisé.

Quatre jours plus tard, l’Ambassade des États Unis m’a appelé pour me dire que la police me rendrait mon passeport le lendemain – huit jours après mon arrivée et un jour plus tard que le retour prévu. La police avait classé mon affaire comme « absence de faute », ce qui voulait dire que je n’avais rien fait de mal et qu’aucun dossier d’accusation ne demeurerait.

Depuis mon retour aux USA en janvier, je n’ai pu trouver en ligne une seule image de Captagon qui ressemble de près ou de loin aux pilule rouges de l’image que le chef à la frontière avait utilisé pour justifier mon arrestation. Les officiers qui ont porté cette accusation, ont soit menti consciemment, soit agi de façon irresponsable sur la base de mauvais renseignements.

D’une manière ou d’une autre, je n’ai aucune illusion sur ce qui s’est passé.

Les agents de la frontière israélienne m’ont identifié racialement bien avant de m’accuser de trafic de drogue. À mi-chemin du trajet en bus entre les postes frontières jordanien et israélien, un soldat israélien m’a fait sortir, de même qu’un Musulman de Grande Bretagne qui voyageait avec sa femme et ses enfants au moment où le bus a pénétré dans le territoire contrôlé par Israël. Nous avons été les deux seuls des 20 voyageurs à être questionnés. Dix minutes plus tard, au terminal israélien, la première officière douanière à laquelle j’ai parlé m’avait signalé pour un questionnement complémentaire et avait appelé sa supérieure.

Le racisme de la procédure à la frontière au Pont Allenby a été flagrant. La plupart des voyageurs blancs et asiatiques sont passés rapidement. Presque la totalité des 20 personnes retenues en même temps que moi étaient visiblement musulmanes, arabes ou du Sud-est asiatique – certaines, alors même qu’elles étaient citoyennes de lieux « sûrs » tels les USA ou le Royaume Uni. J’ai vu une femme blanche questionnée sur la suspicion de son engagement dans la solidarité avec la Palestine.

Ces exemples ont été cohérents avec le racisme structurel qui sévit en Israël. Depuis sa création, Israël repose sur l’expulsion, la citoyenneté de seconde zone et, plus tard, l’occupation des Palestiniens indigènes. Sa pratique du sionisme a créé une hiérarchie raciale qui privilégie les Juifs blancs par rapport aux Palestiniens et aux autres non blancs.

Il existe actuellement plus de 50 lois israéliennes discriminantes vis-à-vis des Palestiniens citoyens de l’État d’Israël.

Alors que les Juifs de n’importe où dans le monde peuvent venir et devenir citoyens, Israël soumet quelques Arabes et Musulmans à ce que le Département d’État américain appelle « traitement inégal et hostile aux frontières et aux checkpoints ».

Le sentiment anti-Noir existe aussi en Israël. Jusqu’à ce qu’un travailleur social fasse état de cette pratique, les Éthiopiennes juives qui immigraient dans le pays recevaient du Depo-Provera, un contraceptif, sans qu’elles ne le sachent ni ne l’acceptent. La conséquence a été un déclin de 20 à 50% de la natalité des Éthiopiens-Israéliens de 2003 environ à 2013. Israël est une prison à ciel ouvert pour les demandeurs d’asile érythréens et soudanais, que le Premier Ministre Netanyahou a appelé des « infiltrés ». Il y a aussi eu des manifestations racistes contre des Africains non juifs, soutenues par des représentants officiels du gouvernement.

J’ai été ciblé à l’intersection du sionisme israélien et du racisme contre les Noirs. J’ai été ciblé à l’intersection de la guerre mondiale contre la drogue et de la guerre contre la terreur. J’ai été ciblé parce que je suis un jeune Noir. Le marqueur international « Noirs = criminels » l’a emporté sur la mobilité autorisée à l’échelle mondiale par la possession d’un passeport américain.

Et bien que le racisme dont j’ai fait l’expérience ne m’ait pas surpris, j’ai été traumatisé. J’ai passé l’essentiel des deux derniers mois en retrait de ma famille et de mes amis. J’ai eu le sentiment d’être vaincu au sens où les autorités de la frontière israélienne racistes et la police ont volé un temps et une occasion que je ne retrouverai jamais.

Que ce fut intentionnel ou non, les autorités m’ont empêché de faire part de mon message sur l’internationalisme noir à la conférence à laquelle j’étais censé assister. Par la confiscation de mon téléphone, de mon ordinateur et de mon passeport, la police a limité ma capacité à communiquer, à rendre visite à des gens, et à utiliser ma plateforme d’écrivain pour donner de l’ampleur aux récits de Palestiniens confrontés à une énorme répression.

Je me suis senti réduit au silence dès le moment où j’ai été arrêté. Je savais qu’à cause de la couleur de ma peau, quelle que soit la force d’indignation ou de protestation que j’y mette, je ne serais pas libéré et que cela pouvait au contraire rendre les choses pires. Après ma libération, j’ai eu peur de faire connaître cette affaire publiquement parce que je pensais que cela interfèrerait avec la procédure juridique et avec ma sortie du pays.

Mais, tandis que mon arrestation et les interrogatoires étaient au plus haut niveau de mon expérience personnelle, elles sont insignifiantes en comparaison des souffrances des Palestiniens.

Pour toute la maltraitance que j’ai subie, je suis sorti de prison à un moment où selon Addameer, le groupe palestinien de défense légale des prisonniers, Israël détient plus de 600 Palestiniens indéfiniment dans le cadre de la politique de détention administrative sans accusation ni procès. Ces « prisonniers en détention administrative » faisaient partie des 6800 prisonniers politiques palestiniens détenus en décembre 2015 – dont près de 500 enfants.

À l’heure de mettre sous presse (le 24 févier), le journaliste palestinien Mohammed Al-Qiq est en grève de la faim depuis 92 jours en protestation contre sa détention indéfinie par Israël. Même sur son lit de mort il refuse de manger. Il demande la liberté dans cette vie ou dans la prochaine.

J’ai aussi eu la possibilité d’entrer et de voyager librement en Israël et en Cisjordanie. Ce même droit est refusé aux Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza ainsi qu’aux réfugiés en Jordanie, au Liban et en Syrie.

Selon Badil, l’organisation de défense des droits humains, 67% de la population palestinienne totale est faite de réfugiés. Certains sont interdits dans toute la Palestine. Certains sont déplacés à l’intérieur : ils vivent en Cisjordanie ou à Gaza mais n’ont pas le droit d’entrer à Jérusalem ni dans ce qui est actuellement appelé Israël. La plupart de ces réfugiés ou leurs ancêtres ont fui ou ont été expulsés lors de la création d’Israël en 1948 ou pendant la guerre de 1967.

Afin de mettre cela en perspective, un ami palestinien que j’ai rencontré alors qu’il faisait son master à St Louis, pouvait se déplacer sur plus de 11 000 km des États Unis en Palestine, mais il ne pouvait pas parcourir les 113 km de son camp de réfugiés près de Bethlehem pour venir me voir à Haïfa. Et au cours des deux semaines pendant lesquelles j’étais là-bas en décembre, Israël a arbitrairement empêché pour dix ans deux Palestiniens Américains d’entrer en Cisjordanie en les désignant comme des « menaces pour al sécurité ». L’un des deux a vécu en Cisjordanie pendant toutes ses études secondaires et tous les deux sont des universitaires.

Les graves affronts de racisme et de colonialisme sont les raisons qui me feront continuer à me battre pour la Palestine et c’est par les encouragements de camarades palestiniens que je commence maintenant à partager cette histoire.

Au cours des deux dernières années, j’ai trouvé ma voix comme journaliste et militant en documentant et en construisant des connexions entre les luttes des Noirs et des Palestiniens pour l’autodétermination. On a pu me faire taire momentanément mais je refuse l’intimidation.

Comme me le rappelle le sweat-shirt marqué « Assata m’a enseigné » que je portais pendant ma détention, au tribunal et en détention policière, « Nous n’avons rien à perdre que nos chaînes ».