Les autorités israéliennes veulent vider la ville où survivent près d’un million de Palestiniens d’ici au 7 octobre. Nétanyahou a fait part de son souhait d’occuper militairement la bande de Gaza sans l’administrer. L’ONU demande à Israël de « stopper immédiatement » ses plans.
Les discussions au sein du cabinet de sécurité israélien ont duré une bonne partie de la nuit. À l’aube, vendredi 8 août, ses membres ont acté la conquête militaire de la ville de Gaza. L’opération préfigure un carnage : près d’un million de Palestiniens survivent dans la plus grande cité de l’étroite langue de terre côtière. Israël prévoit de vider la ville des civils d’ici au 7 octobre.
Ce déplacement forcé massif s’ajoute à de multiples ordres d’évacuation de l’armée israélienne qui ont laissé la population épuisée et sans repères, sans pour autant la mettre à l’abri des bombardements massifs.
Le petit territoire palestinien, où Israël a tué plus de 61 000 Palestiniens en vingt-deux mois selon le ministère de la santé local, est en proie à la famine qui a déjà emporté plus de 200 personnes. Une énième opération militaire aura des conséquences dantesques pour les civils. Elle confirme le constat de plusieurs organisations de défense des droits humains palestiniennes, internationales et israéliennes : Israël commet un génocide à Gaza.
Le bureau du premier ministre israélien a promis une « assistance humanitaire à la population civile hors des zones de combat », sans plus de précision. Le conseil de sécurité a voté à la majorité en faveur d’un « contrôle israélien sécuritaire de la bande de Gaza » et de « l’établissement d’une administration civile qui n’est ni le Hamas ni l’Autorité palestinienne ». Le conseil des ministres, qui se réunira dimanche, doit encore approuver le plan.
Occupation militaire
Des fuites orchestrées par l’entourage de Benyamin Nétanyahou dans la presse israélienne ont laissé entendre que le président américain Donald Trump avait donné son feu vert. La décision du conseil de sécurité israélien ouvre ainsi la voie à l’occupation militaire de la bande de Gaza.
En droit international, malgré l’évacuation des colons israéliens de Gaza en 2005, le territoire est déjà considéré sous occupation israélienne. Cette fois-ci l’armée contrôlerait physiquement le territoire avec des troupes au sol. C’est déjà le cas pour 86,3 % de la bande de Gaza, selon le bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU, dont l’est de la ville de Gaza.
Depuis le 7-Octobre, les soldats israéliens ont mené plusieurs opérations terrestres dans différents quartiers de cette agglomération, la plus peuplée des territoires palestiniens occupés. Mais jamais ils ne l’ont envahie dans sa totalité.
Vendredi, dans la foulée des annonces du cabinet de sécurité, l’Allemagne a annoncé la suspension des exportations d’armes qu’Israël pourrait utiliser à Gaza. Depuis le 7-Octobre jusqu’en mai dernier, les autorités de Berlin ont autorisé pour au moins 485 millions d’euros d’exportations d’armement.
Madrid, Ankara ou encore Melbourne ont condamné le plan israélien, tout comme l’Arabie saoudite qui l’a qualifié de « nettoyage ethnique ». La Grande-Bretagne a demandé à Benyamin Nétanyahou de revenir sur sa décision et la Belgique a convoqué l’ambassadrice israélienne à Bruxelles. L’ONU a, elle, demandé à Israël de « stopper immédiatement » ses plans.
Pas d’administration israélienne directe
Juste avant la réunion du conseil de sécurité, la chaîne conservatrice américaine Fox News avait diffusé une interview de Nétanyahou. Interrogé sur la volonté d’Israël de « prendre le contrôle » de l’ensemble de la bande de Gaza, le premier ministre israélien, à la tête d’une coalition ultranationaliste, avait répondu : « C’est notre intention, pour assurer notre sécurité, en éliminer le Hamas et permettre à la population de Gaza d’être libre. »
En revanche, le chef du gouvernement israélien assure qu’Israël ne gouvernera pas le petit territoire palestinien. « Nous ne voulons pas garder [la bande de Gaza], a-t-il dit. Nous voulons la transférer à des forces arabes qui la gouverneront correctement sans nous menacer et en offrant une belle vie aux Gazaouis. » L’occupation sans les responsabilités qui en découlent : la formule est déjà expérimentée en Cisjordanie, où l’Autorité palestinienne gère à la marge la vie des Palestiniens dont le contrôle sécuritaire est exercé par Israël.
La presse israélienne s’était fait l’écho cette semaine des débats opposant le gouvernement et les militaires. Benyamin Nétanyahou plaidait pour une conquête de la ville de Gaza et des camps de réfugiés du centre du territoire palestinien, qui ont été bombardés mais où très peu d’incursions militaires ont eu lieu. « Il s’agit de deux des trois enclaves dans lesquelles l’armée israélienne a forcé la population palestinienne à se regrouper, et où sont détenus les otages israéliens (la troisième étant la zone de Mawasi, sur la côte sud » de Gaza, note l’analyste militaire du journal israélien Haaretz, Amos Harel.
Les militaires ont mis en garde : une telle opération nécessiterait des mois d’incursion terrestre, mobilisant quatre à six divisions. Le chef d’état-major, Eyal Zamir, proposait lui d’encercler ces enclaves pour épuiser le Hamas, sans les envahir militairement – une option qui mettrait en danger la vie des otages. L’épouse de Benyamin Nétanyahou, Sara, et son fils Yair, ont multiplié les critiques contre le chef de l’armée ces derniers jours. L’aile suprémaciste juive du gouvernement demande la recolonisation et l’annexion de Gaza vidée de ses habitants palestiniens depuis le début de la guerre génocidaire.
Otages sacrifiés
L’opposition en Israël a fustigé un « désastre ». Yaïr Lapid, ancien premier ministre, a dénoncé une « opération qui prendra de longs mois, conduira à la mort des otages, celle de nombreux soldats et coûtera des dizaines de milliards aux contribuables israéliens ». Le chef des démocrates, Yaïr Golan, nouveau champion de la gauche sioniste israélienne et ex-numéro deux de l’armée, a lui aussi critiqué dans une publication sur Xune « condamnation à mort » des otages encore en vie à Gaza – une vingtaine selon les estimations, sur 49 toujours détenus dans le territoire palestinien.
Les familles de ces derniers, qui demandent depuis des mois un cessez-le-feu à Gaza pour pouvoir libérer leurs proches, ont vu dans le plan du cabinet de sécurité « une déclaration officielle d’abandon des otages, tout en ignorant complètement les avertissements répétés de l’establishment militaire et la volonté claire de la majorité du public israélien ». Plusieurs manifestations ont eu lieu jeudi soir, avant que la décision ait été prise.
En un peu plus de vingt-deux mois de génocide à Gaza, l’opposition israélienne s’est révélée incapable d’opposer un réel plan aux velléités expansionnistes de la droite nationaliste et suprémacistes. Si désormais une majorité d’Israéliens demandent un cessez-le-feu à Gaza pour libérer les otages, ils continuent à ignorer très largement les souffrances insoutenables des Palestiniens sur place et soutiennent l’expulsion des Gazaouis de leurs terres.
Des sources arabes ont indiqué à l’agence de presse américaine AP que l’Égypte et le Qatar travaillaient à une nouvelle proposition d’accord qui comprendrait la libération de tous les otages israéliens, vivants et décédés, contre le retrait israélien de la bande de Gaza et la fin de la guerre. Vendredi, la chaîne américaine NBC news diffusait des images satellitaires où l’on voyait l’armée israélienne amassant des troupes et des équipements le long de la barrière qui sépare Gaza du territoire israélien. Avant même le feu vert des ministres dimanche, l’armée se tient prête.