Selon les groupes de défense des droits de l’homme, l’exclusion de citoyens palestiniens marque une tendance croissante à la séparation explicite de l’espace public en Israël, d’une manière qui rappelle celle de l’apartheid en Afrique du Sud
L’exclusion d’une avocate et de son bébé d’un parc public en Galilée la semaine dernière a déclenché une bataille juridique pour savoir si, en Israël, les autorités locales peuvent ségréguer les citoyens sur la base de leur origine ethnique.
Des groupes de défense des droits de l’homme avertissent que cette interdiction marque une tendance croissante des autorités locales représentant la majorité juive à la séparation explicite de l’espace public, d’une manière qui rappelle celle de l’apartheid en Afrique du Sud.
Un tribunal israélien devra décider s’il est acceptable qu’Afoula, une ville du nord du pays, refuse aux non-résidents l’entrée du principal parc local, qui comprend une aire de jeux, un petit zoo, des terrains de basket-ball et une piste de course à pied.
Selon Adalah, un groupe de défense des droits de l’homme représentant juridiquement la minorité palestinienne d’Israël (soit un cinquième de la population du pays), cette restriction équivaut à interdire aux citoyens palestiniens des communautés environnantes d’utiliser une ressource publique.
Ces 1,8 million de citoyens palestiniens sont les vestiges de la population autochtone expulsée de ses terres en 1948 lors de la création d’Israël – ce que les Palestiniens appellent leur Nakba, ou catastrophe.
La « conquête » du parc
Le maire d’Afoula, Avi Elkabetz, n’a pas caché les motifs de la fermeture du parc aux non-résidents.
Il a remporté les élections locales à la fin de l’année dernière en s’engageant à mettre fin à ce qu’il a appelé la « conquête du parc » par des citoyens palestiniens et a exhorté les habitants d’Afoula à « hisser fièrement des drapeaux israéliens dans le parc et à jouer de la musique hébraïque ».
En outre, a observé Adalah, Elkabetz et d’autres responsables d’Afoula se sont battus au cours des trois dernières années pour empêcher les citoyens palestiniens de s’installer à Afoula depuis des communautés voisines surpeuplées comme Nazareth.
Le maire a participé à une série de manifestations contre des familles palestiniennes qui tentaient d’acheter une maison à Afoula, dont une le mois dernier organisée par un groupe d’extrême droite anti-arabe.
Après les élections municipales de l’année dernière, les conseillers municipaux ont dû prêter un nouveau serment, jurant de « préserver le caractère juif de la ville ». Malgré les protestations, le ministère de l’Intérieur ne s’est pas opposé au changement de formulation.
Mère et fils se voient refuser l’entrée
Fady Khoury, un avocat d’Adalah qui a supervisé une requête en annulation de la décision d’Afoula auprès du tribunal de Nazareth, indique qu’il est important de comprendre que cet incident n’est pas isolé.
« La ségrégation raciale a toujours été très présente en Israël, mais cela se faisait discrètement, la plupart du temps hors de vue, dans des communautés rurales, et était dissimulé sous un langage apparemment neutre afin que de telles politiques ne suscitent pas un examen minutieux ou des critiques », explique-t-il à Middle East Eye.
« Mais aujourd’hui, la discrimination arrive au centre des préoccupations, dans les grandes villes. Cela se fait de manière transparente, même fièrement. C’est un signe que la droite a de plus en plus confiance en elle. »
Adalah a entamé des poursuites après l’exclusion du parc d’une autre de ses avocats la semaine dernière. Nareman Shehadeh-Zoabi, une résidente de Nazareth, espérait y emmener son fils d’un an.
Le gardien leur a refusé l’entrée après lui avoir demandé où elle habitait. Nazareth, la plus grande communauté palestinienne d’Israël, est située à proximité d’Afoula.
Nareman Shehadeh-Zoabi note que la pénurie de terres, consécutive à la confiscation généralisée de terres par le gouvernement israélien il y a plusieurs décennies, implique que Nazareth et les autres communautés palestiniennes n’ont ni espaces verts ni parcs publics.
« Il était choquant et humiliant de se voir ordonner de partir, en particulier alors même que des juifs étaient autorisés à entrer dans le parc sans montrer de pièce d’identité », confie-t-elle à MEE. « Il est clair que cette politique est conçue pour empêcher uniquement les citoyens arabes d’entrer. »
« Cela commence par une interdiction d’entrer dans les parcs, mais si nous ne contestons pas cette politique de ségrégation fondée sur l’appartenance ethnique, cela va rapidement dégénérer », insiste-t-elle.
Les tribunaux hésitent à intervenir
La municipalité d’Afoula s’est refusée à tout commentaire. Un porte-parole, Kfir Bazak, a déclaré à MEE qu’il ne s’adressait pas aux journalistes car, par le passé, les médias israéliens avaient donné une image déformée de sa politique.
Adalah espère pouvoir annuler l’interdiction des parcs sur la base de deux lois : la première interdisant aux municipalités le droit de percevoir des droits pour les parcs publics et la seconde interdisant le refus de fournir des services sur la base de divers critères, notamment le lieu de résidence.
Fady Khoury note que, paradoxalement, la clause de non-discrimination en matière de résidence a été ajoutée en 2017 par le Parlement dans un amendement visant à empêcher les entreprises de refuser des services aux colons.
De nombreuses communautés juives en Israël, ajoute-t-il, ont imposé des restrictions liées au lieu de résidence pour l’accès à des installations publiques, telles que des piscines et des centres sportifs – des restrictions secrètement conçues pour exclure les citoyens palestiniens. Les tribunaux avaient généralement hésité à intervenir.
« Dans ces cas, l’espace disponible est limité, de sorte qu’il est justifié de donner la priorité aux résidents. Les parcs, en revanche, ne peuvent être traités comme un espace exclusif.
« La terre est donnée par l’État à la municipalité et est désignée dans les plans de ville comme un espace libre. C’est comme une voie publique. Cela ne peut pas être traité comme une propriété privée. »
Si le tribunal soutient l’argument d’Adalah, ceux qui se verront refuser l’entrée pourront poursuivre la municipalité, précise-t-il.
La ville de « ceux qui haïssent les Arabes »
Lorsque MEE s’est rendu dans le parc le weekend dernier, les habitants d’Afoula se sont montrés pour la plupart favorables à l’initiative du maire.
L’un d’entre eux, Tal Kauffman (41 ans), a dit emmener régulièrement sa jeune fille au parc pendant l’été.
« C’est mieux comme ça. Cette ville est connue pour être pleine de gens qui haïssent les Arabes », a-t-il déclaré à MEE. « Je ne suis pas contre la vie en commun, mais la réalité ici fait que se mélanger créera des tensions et des conflits. »
« Il s’agit juste d’admettre la façon dont les gens sont élevés ici – de manière à haïr les Arabes. Nous devons séparer les idéaux de la politique et de la vie réelle. »
La plupart des autres personnes présentes dans le parc étaient toutefois plus réticentes à imputer cette politique directement au racisme.
Tal Cohen (30 ans), qui a grandi à Afoula mais vit maintenant à Tel Aviv, rendait visite à ses parents avec sa femme et ses enfants. Selon lui, cette restriction est nécessaire à cause de « mauvaises personnes ».
« Il n’est pas question d’Arabes et de juifs. C’est pour empêcher les fauteurs de troubles de venir ici et d’utiliser le parc. Il y a un problème d’alcool et de déchets. »
« Socialement inadapté »
Adi Aviram (34 ans) veillait sur ses trois jeunes enfants jouant sur un toboggan. Elle estime que les non-résidents ne devraient pas être exclus mais devraient payer pour utiliser le parc.
Faisant référence à la ségrégation généralisée en matière de logement entre la majorité juive et la minorité palestinienne, elle a déclaré qu’il était bon que les enfants de différents groupes ethniques se rencontrent au parc.
« Le fait est que s’ils ne se mélangent pas ici, ils ne se rencontreront pas avant d’être adultes, et d’ici là, ils auront déjà développé des préjugés. C’est bien pour les enfants de se rencontrer, de jouer ensemble, d’entendre des langues différentes. »
Environ 90 % des Israéliens vivent dans des communautés presque totalement ségréguées sur une base raciale, note Hana Swaid, ancien député palestinien du Parlement israélien qui dirige maintenant le Centre arabe pour la planification alternative.
Des centaines de petites communautés juives se servent de comités d’admission pour interdire aux citoyens palestiniens d’y vivre, prétextant qu’ils sont « socialement inadaptés », ajoute-t-il.
« Même les autres, ceux qui vivent dans les plus grandes villes dites “mixtes” – telles que Jérusalem, Haïfa, Acre, Lod et Jaffa – vivent principalement dans un système de ségrégation partielle, les citoyens juifs et palestiniens habitant dans des quartiers distincts », précise-t-il.
Peur de se mêler
Selon le Bureau central des statistiques, les citoyens palestiniens représentent moins de 1 % de la population d’Afoula.
Cependant, le petit nombre d’arrivées en provenance de communautés palestiniennes voisines au cours des trois dernières années a déclenché une réaction brutale. Le maire d’Afoula a alors profité des craintes de ses administrés qui redoutent que la ville ne devienne mixte.
C’est ce qui s’est passé pas loin, à Nazareth Ilit, une ville juive construite dans les années 1950 sur les terres de la ville voisine de Nazareth, site réputé de l’enfance de Jésus et la seule ville palestinienne à avoir survécu à la Nakba.
Selon Hana Swaid, la proportion de citoyens palestiniens vivant à Nazareth Ilit pourrait aujourd’hui atteindre 25 %. Les autorités israéliennes se sont montrées réticentes à publier des chiffres officiels.
Le mois dernier, les habitants de Nazareth Ilit ont décidé de renommer leur ville Nof Hagalil (Vue de Galilée), ce que le maire de la ville a expliqué comme la distanciation de la ville juive par rapport à sa voisine.
Différents maires qui se sont succédé à la tête de Nazareth Ilit ont refusé de construire une école d’enseignement en arabe, en violation de la loi israélienne sur l’éducation, contraignant les Palestiniens à envoyer leurs enfants dans les écoles de Nazareth. L’éducation est presque entièrement séparée en Israël.
Comparés aux immigrants
Dans le parc d’Afoula, Nick, un père avec ses enfants, a rapporté avoir vécu à Nazareth Ilit pendant un certain temps après son arrivée de Russie en 1992, avant de s’installer à Afoula.
Il a averti qu’Afoula serait confrontée à un afflux similaire de citoyens palestiniens si elle n’agissait pas pour l’arrêter rapidement, et a comparé la population palestinienne autochtone aux immigrés.
« Ici, c’est comme partout ailleurs. Les Londoniens ne souhaitent pas que des immigrants arrivent dans leur ville. Nous ressentons la même chose. »
L’année dernière, le conseil municipal d’Afoula a rejeté l’intégration du petit village palestinien de Dahi dans ses limites municipales, affirmant vouloir « préserver le caractère de la ville ». Le maire, Avi Elkabetz, avait qualifié le vote de « l’une de ses réunions les plus importantes de tous les temps ».
Judaïser la Galilée
Hana Swaid explique qu’Afoula et d’autres villes juives à proximité sont traditionnellement considérées comme « judaïsant » (rendant plus juive) la Galilée, une région qui était restée dominée par sa population palestinienne depuis 1948.
« Le problème est qu’après des décennies de discrimination de la part du gouvernement, des communautés palestiniennes comme Nazareth n’ont pas de terrains pour de futurs logements », observe-t-il.
« Les habitants n’ont d’autre choix que de chercher des solutions ailleurs. Ils ont commencé par s’installer à Nazareth Ilit, désormais c’est Afoula. Cela provoque une réaction. »
Swaid et Khoury font remarquer que l’adoption par la Knesset de la loi fondamentale sur l’État-nation a donné confiance aux responsables d’Afula dans leur politique d’exclusion des citoyens palestiniens.
Selon l’article 7 de cette loi, qui a un statut constitutionnel, « l’État considère le développement de la colonisation juive comme une valeur nationale et s’efforcera d’encourager et de promouvoir son établissement et son renforcement ».
« L’objectif de cette loi est de permettre aux villes comme Afoula de mettre en œuvre la ségrégation », affirme Hana Swaid.
Perturbés par la langue arabe
Ilan Pappé, historien israélien et éditeur d’un récent ouvrage comparant Israël et l’apartheid en Afrique du Sud, explique que les juifs israéliens sont largement favorables à une ségrégation inspirée de l’apartheid.
Une enquête publique de décembre dernier a révélé que 74 % des personnes interrogées étaient perturbées par des conversations en arabe, langue maternelle d’un cinquième de la population. Et 88 % seraient inquiets si leur fils se liait d’amitié avec une fille arabe.
« La réalité aujourd’hui est que vous ne trouverez pas un seul ministre prêt à dénoncer ce que fait Afoula », déclare Pappé à MEE.
« Pas seulement cela, en réalité, tous comprendraient ou soutiendraient ses actions. »
Un éditorial de Haaretz datant de l’été dernier, lors de manifestations à Afoula contre la vente de maisons à des citoyens palestiniens, notait que même les partis de centre-gauche israéliens n’avaient pas critiqué l’engagement du maire et d’autres responsables de la ville.
« En Israël, […] les expressions de haine envers les Arabes suscitent au mieux une indifférence totale, au pire des encouragements », peut-on lire.
Modèle pour le futur
Ilan Pappé estime inévitable que, puisque les politiciens israéliens n’apportent plus leur soutien, même de façade, à une solution à deux États, les politiques au sein d’Israël ressembleront de plus en plus à celles des territoires occupés.
« L’argument de la droite est qu’il n’y a aucune différence entre les régions de la Palestine prises en 1948, qui sont aujourd’hui Israël, et celles occupées en 1967 », explique-t-il à MEE. « Pour eux, c’est la même chose, elles composent toutes le Grand Israël. »
« Le résultat est que les politiques à l’égard des citoyens palestiniens ressemblent de plus en plus à celles des Palestiniens sous occupation. Tous feront face au même genre d’apartheid. La loi sur l’État-nation était un modèle pour l’avenir. »
L’année dernière, Kfar Vradim, une autre communauté juive de Galilée, a suspendu l’enchère pour la vente de terrains à bâtir après la construction de plusieurs terrains par des citoyens palestiniens.
En 2010, une cinquantaine de rabbins municipaux ont publié un décret contre les juifs louant ou vendant des maisons à des citoyens palestiniens.
Et à peu près à la même époque, le maire adjoint de la ville de Karmiel, au centre de la Galilée, avait été impliqué dans la mise en place d’une ligne téléphonique permettant aux habitants de dénoncer leurs voisins soupçonnés de vendre à des citoyens palestiniens.
De retour au parc d’Afoula, un homme a admis être un citoyen palestinien – du village voisin de Daburriya. Se présentant sous le seul prénom d’Abdullah, il a déclaré avoir été employé par la municipalité en tant que gardien de parc pendant quatre ans. Il a refusé de commenter la nouvelle politique du maire.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.