Israël révoque les licences permanentes de six écoles palestiniennes à Jérusalem

Une mesure critiquée comme une tentative pour éliminer le curriculum palestinien en faveur d’une version israélienne qui change les références à l’occupation

Les autorités israéliennes ont révoqué jeudi les licences permanentes accordées auparavant à six écoles palestiniennes de Jérusalem-Est occupée, alléguant que leurs manuels « sont une incitation contre l’Etat d’Israël et l’armée israélienne ».

La décision, annoncée par la ministre israélienne de l’Éducation Shasha Biton, dit que les écoles ciblées se verraient accorder des licences temporaires qui leur permettraient de continuer à fonctionner pendant un an, à condition qu’un travail soit entrepris pour amender les curricula.

Commentant ses mesures sans précédent, la directrice de l’unité des Affaires de Jérusalem au ministère palestinien de l’Éducation, Dima al-Samman, a dit qu’elles faisaient partie d’une volonté de pousser les élèves palestiniens de Jérusalem à changer pour des écoles qui enseignent le curriculum israélien, dont beaucoup ont été construites par le gouvernement israélien dans les dernières années.

Elle a dit qu’elle n’était pas surprise par cette mesure, parce que des tentatives pour isoler l’éducation à Jérusalem ont été « en plein essor » depuis l’occupation israélienne de la ville en 1967.

« Le danger du curriculum israélien ou ‘palestinien déformé’ réside dans sa falsification de l’histoire », a-t-elle dit à Middle East Eye. « Il tente d’éliminer la conscience nationale des enfants de Jérusalem et de créer un sens d’infériorité chez eux. »

Les écoles touchées sont la section secondaire du Collège Ibrahimieh dans le quartier Al-Sawwana de Jérusalem, avec 288 étudiants et étudiantes, et cinq branches du niveau primaire des Écoles Al-Eman, qui ont au total 1755 garçons et filles.

Le ministère [israélien] de l’Éducation a affirmé avoir saisi dans les écoles mentionnées ci-dessus des livres contenant des phrases « glorifiant les prisonniers et leur combat armé contre l’État d’Israël », des accusations sur la responsabilité d’Israël dans la crise de l’eau dans des régions dirigées par l’Autorité palestinienne, et « des allégations sévères sur l’assassinat, la déportation et les massacres militaires ».

Samman a fait remarquer que 35 % des élèves de Jérusalem reçoivent leur éducation dans des écoles privées de Jérusalem qui ont été récemment ciblés par cette mesure.

Seulement le début

Pour empêcher « la migration forcée » d’une éducation palestinienne à une éducation israélienne, Samman a souligné que son ministère travaille aux côtés de l’union des parents des élèves de Jérusalem pour éduquer la communauté sur les inconvénients d’inscrire leurs enfants dans des écoles qui appliquent le curriculum israélien et les conséquences pour leur identité nationale, leur avenir et leur conscience historique.

Le chef de l’union, Ziad al-Shamali, a dit à MEE que 42 % des écoles de Jérusalem seront soumises à cette mesure arbitraire, une condition imposée à cause des subventions que ces écoles reçoivent du ministère israélien de l’Éducation et de la municipalité. 

Parmi les conditions figure l’application de la version censurée du curriculum palestinien, qui élimine certains contenus avant sa distribution aux élèves.

Le contenu censuré, a dit Shamali, inclut le logo de l’Autorité palestinienne, le drapeau palestinien, des leçons qui discutent la lutte palestinienne contre l’occupation, l’adhésion au pays, le droit au retour des prisonniers, les colonies, l’immigration des colons vers la Palestine, les checkpoints militaires, l’intifada, les villages déplacés et le fait de considérer le sionisme comme un mouvement politique raciste.

Shamali a dit que restreindre les licences des six écoles est seulement un prélude à l’application des mêmes mesures au reste des écoles palestiniennes dans Jérusalem.

Il y a un mois, le ministère de l’Éducation a convoqué les proviseurs des six écoles et a écouté leurs déclarations concernant le curriculum, selon un des proviseurs de ces écoles, qui a parlé à MEE à condition de rester anonyme.

Le proviseur a dit que les écoles n’avaient pas été officiellement informées de la décision du ministère et qu’ils en ont entendu parler par les médias.

Les six écoles sont toutes privées. Il y a quatre autres catégories d’écoles à Jérusalem : des écoles financées par des donations, la municipalité, l’UNRWA (l’agence de secours des Nations Unies), et des entrepreneurs privés.

Les écoles privées sont administrativement affiliées à des églises, à des organismes caritatifs et à des individus et enseignent le curriculum palestinien original.

Les écoles financées par donation, 52, sont affiliées administrativement à l’Autorité palestinienne et opèrent sous l’égide des donations de la Jordanie. Elles enseignent aussi le curriculum palestinien authentique.

Il y a six écoles de l’UNRWA à Jérusalem et elles sont affiliées à l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient. Elles ont environ 1800 élèves et enseignent aussi le curriculum palestinien authentique.

Les écoles municipales sont celles dirigées par le gouvernement israélien. Leur curriculum est soit une version amendée du curriculum palestinien soit un curriculum israélien.

La cinquième catégorie est appelée « écoles des entrepreneurs ». Elles sont dirigées par des individus au nom du ministère israélien de l’Education.

Il y a environ 98428 élèves aux niveaux primaire, préparatoire et secondaire, selon les statistiques publiées en juillet par la Fondation Faisal Husseini.

Environ 45500 d’entre eux vont aux 146 écoles affiliées sous l’égide de l’éducation palestinienne (donation, écoles privées, écoles de l’UNRWA), tandis que le reste va aux écoles affiliées à l’administration du ministère israélien de l’Éducation.

Le ministère cherche à contrôler le système d’éducation à Jérusalem, et un des mécanismes pour réaliser cet objectif est d’augmenter le nombre de classes dans les écoles existantes et de construire de nouvelles écoles pour attirer plus d’élèves.

Dans ce contexte, le gouvernement israélien a ouvert 32 nouvelles écoles entre 2014 et 2020 à Jérusalem-Est, selon les données de la municipalité.

Un plan sur cinq ans

L’attaque sur l’éducation s’est intensifiée avec l’annonce de la mise en œuvre d’un plan de cinq ans dans la ville de Jérusalem, plan qui s’étend d’octobre 2018 à octobre 2023.

Ce plan, intitulé « Le plan de cinq ans : réduction des fossés sociaux et économiques et développement économique à Jérusalem Est, 2018-2023 » a un budget estimé à 657 millions de dollars.

Il couvre six secteurs : éducation et enseignement supérieur, économie et commerce, emploi et assistance publique, transport, amélioration de la qualité de vie et des services offerts à la population, et planification et enregistrement de la terre.

La plus large part du budget de ce plan a été allouée à l’éducation, à 445 million de shekels (130 m de dollars).

De cette somme, environ 59m de dollars sont alloués à encourager la participation à l’enseignement israélien en augmentant le nombre d’élèves étudiant le curriculum israélien à Jérusalem-Est.

L’Article 50 de la 4ème Convention de Genève et l’Article 26 de la Déclaration universelle des droits de l’homme affirment le droit des peuples sous occupation à obtenir une éducation alignée sur leurs croyances et sur la protection de leur culture et de leur héritage du changement ou de la distorsion.