La possibilité d’un accord durable semble aussi éloignée que jamais – et l’histoire de l’échec des négociations suggère que c’est en grande partie parce qu’Israël préfère le statu quo.
Dispersés sur les terres entre le fleuve du Jourdain et la mer Méditerranée, s’étendent les restes des plans de paix qui ont échoué, des sommets internationaux, des négociations secrètes, des résolutions des Nations-Unies et des programmes élaborés par les États, pour la plupart conçus pour la partition de ce territoire, longtemps contesté, en deux États indépendants, Israël et Palestine. La faillite de ces initiatives était prévisible vu l’assurance avec laquelle les présidents des États-Unis en lançaient de nouvelles, et l’actuelle Administration ne fait pas exception.
Dans le quart de siècle qui suit le début des négociations entre Israéliens et Palestiniens, sous les auspices des États-Unis, en 1991, il ne manque pas d’explications à l’échec de chaque cycle spécifique de négociations. Les justifications apparaissent et réapparaissent au fil des discours des présidents, des rapports de groupes de réflexion et des mémoires d’anciens dirigeants et négociateurs : moment inopportun ; délais artificiels ; préparation insuffisante ; insuffisance d’attention de la part du président US ; manque de soutien des États de la région ; mesures inadéquates pour créer la confiance ; coalition politique ; ou manque de courage des dirigeants.
Parmi les refrains les plus courants, ce serait parce que les extrémistes étaient autorisés à fixer l’agenda et qu’il avait été négligé de stimuler le développement économique et le renforcement de l’État. Et puis, il y a ceux qui évoquent une messagerie négative, un scepticisme insurmontable, ou l’absence d’affinités personnelles (une explication particulièrement fantasque pour quiconque a été témoin de la chaleureuse familiarité entre les négociateurs palestiniens et israéliens quand ils se retrouvaient dans des hôtels luxueux, se souvenant des bonnes vieilles blagues et des anciens camarades autour des buffets de petits-déjeuners et des toasts d’après réunions). Si rien de tout ce qui précède n’est pertinent, il y a toujours le pire cliché de tous : le manque de confiance.
Les comptes rétrospectifs varient dans leur répartition des responsabilités. Mais presque tous partagent la conviction profonde que les deux sociétés souhaitent un accord à deux États, et par conséquent, qu’elles ont seulement besoin de bonnes conditions – avec une petite poussée, de la confiance et peut-être, de quelques incitations positives – pour passer à la dernière étape.
Dans cette optique, les Accords d’Oslo au milieu des années 1990 auraient conduit à la paix si n’avait eu lieu l’assassinat tragique du Premier ministre israélien Yitzhak Rabin en 1995. Le Mémorandum de Wye River et son engagement pour d’autres retraits israéliens de la Cisjordanie auraient été mis en œuvre si seulement le Parti travailliste israélien avait rejoint la coalition de Benjamin Netanyahu pour appuyer l’accord. Le sommet de Camp David, en juillet 2000, aurait réussi si les États-Unis avaient été moins sensibles aux préoccupations intérieures israéliennes, s’ils avaient exigé une proposition écrite d’Israël, consulté les États arabes lors d’une étape antérieure, et pris la position, plus ferme et équilibrée, qui fut adoptée six mois plus tard, en décembre 2000, quand le Président Clinton a présenté les paramètres pour un accord. Les deux parties auraient pu accepter ces paramètres de Clinton, avec seulement des réserves minimes, si la proposition n’avait pas été présentée de façon aussi fugitive, telle une offre unique qui disparaitrait quand Clinton se retirera moins d’un mois plus tard. Les négociations de Taba en Égypte, en janvier 2001, étaient sur le point d’aboutir à un accord mais elles ont échoué parce que le temps manquait, Clinton n’étant plus en fonction et Ehud Barak était confronté à une défaite électorale quasi certaine au profit d’Ariel Sharon. Les deux principaux plans de paix de 2003 – la Feuille de route pour la paix au Moyen-Orient, parrainée par les États-Unis, et l’accord non officiel de Genève – auraient pu être adoptés s’il n’y avait eu une intifada sanglante et un Premier ministre belliciste du Likoud au pouvoir.
Et ça continu : les négociations directes entre le Président Mahmoud Abbas et Netanyahu en 2010 auraient pu durer plus de 13 jours si seulement Israël avait accepté de cesser provisoirement de construire certaines colonies de peuplement illégales, en échange d’une enveloppe de 3 milliards de dollars par les États-Unis. Plusieurs années de négociations indirectes et secrètes entre les émissaires de Netanayhu et Abbas auraient pu entrer dans l’histoire si seulement ils n’avaient pas été obligés de conclure prématurément fin 2013, à cause d’un délai artificiel imposé par les discussions séparées menées par le secrétaire d’État John Kerry. Et enfin, les négociations Kerry de 2013-2014 auraient pu conduire à un accord cadre si le secrétaire d’État avait passé ne serait-ce qu’un sixième du temps à négocier le texte avec les Palestiniens, comme il l’avait fait avec les Israéliens, et s’il n’avait pas fait des promesses incohérentes aux deux parties concernant les lignes directrices des négociations, la libération des prisonniers palestiniens, la diminution des constructions de colonies israéliennes, et la présence de médiateurs états-uniens dans la salle des négociations.
Chacun de ces cycles de diplomatie a débuté avec le serment de réussir là où les prédécesseurs avaient échoué. Chacun contenait des affirmations que la paix était urgente, ou des mises en garde que les fenêtres pouvaient se refermer, que c’était peut-être même la dernière chance pour une solution à deux États. Chacun s’est terminé par une liste de fautes tactiques et de développements imprévus qui ont abouti à l’échec. Et, tout aussi sûrement, chacun a négligé de donner l’explication la plus logique et parcimonieuse de son échec : qu’aucun accord n’a pu être conclu parce qu’au moins une des parties a préféré maintenir l’impasse.
Les Palestiniens ne voulaient aucun accord qui ne répondrait pas au strict minimum établi par la législation internationale et par la plupart des nations du monde. Pendant des années, ce point de vue consensuel a soutenu la création d’un État palestinien sur les lignes d’avant 1967, avec des échanges de terres mineurs et équivalents avec Israël qui lui permettraient d’annexer certaines colonies. La capitale palestinienne serait Jérusalem-Est, avec une souveraineté sur le lieu saint connu pour les juifs sous le nom de Mont du Temple, et pour les musulmans de Noble Sanctuaire ou esplanade de la Mosquée al-Aqsa, et avec une continuité avec le reste de l’État palestinien. Israël retirerait ses forces de la Cisjordanie et libérerait les prisonniers palestiniens. Et les réfugiés palestiniens se verraient proposer une compensation, un droit au retour non pas dans leurs foyers mais dans leur patrie dans l’État de Palestine, une reconnaissance de la responsabilité partielle d’Israël dans le problème des réfugiés, et, à un niveau qui ne changerait pas sensiblement la démographie d’Israël, un retour de certains réfugiés dans leurs terres et leurs foyers d’avant 1948.
Bien que des années de violence et de répression aient conduit les Palestiniens à faire quelques petites concessions qui affaiblirent progressivement ce compromis, ils ne l’ont pas radicalement abandonné. Ils continuent d’espérer que le soutien d’une majorité d’États du monde à un plan sur cette base se traduira par un accord. En attendant, le statu quo a été rendu plus supportable, grâce aux architectes du processus de paix, qui ont dépensé des milliards à soutenir le gouvernement palestinien, créer les conditions de la prospérité pour les preneurs de décision de Ramallah, et dissuader la population de se confronter avec la force d’occupation.
Israël, pour sa part, a constamment opté pour l’impasse plutôt que pour le genre d’accord indiqué ci-dessus. La raison en est évidente : le coût pour un accord est beaucoup plus élevé que celui en absence d’accord. Les dommages qu’Israël risqueraient de subir avec un tel accord sont massifs. Ils incluent sans doute le plus grand bouleversement politique de l’histoire du pays ; des manifestations énormes – si ce n’est un refus majoritaire – contre une souveraineté palestinienne à Jérusalem et sur le Mont du Temple/Noble Sanctuaire ; et une rébellion violente de certains colons juifs et de leurs partisans.
Il pourrait y avoir aussi une effusion de sang lors des évacuations forcées des colonies de Cisjordanie, et des désaccords au sein de l’organisme chargé d’exécuter les expulsions, l’armée israélienne, dont les officiers religieux dans l’infanterie dépassent maintenant le tiers. Israël perdrait le contrôle militaire de la Cisjordanie avec, pour conséquences, une collecte de renseignements réduite, moins de marge de manœuvre dans les guerres à venir, et moins de temps pour réagir à une attaque surprise. Il aurait à faire face à des risques accrus pour sa sécurité depuis le corridor Gaza-Cisjordanie, ce qui permettrait aux militants, à l’idéologie et aux techniques de productions d’armes de sortir des camps d’entraînement de Gaza et d’aller dans les collines de Cisjordanie qui surplombent l’aéroport d’Israël. Les services de renseignements israéliens ne contrôleraient plus les Palestiniens entrant et sortant des territoires occupés. Le pays devrait arrêter d’extraire les ressources naturelles de la Cisjordanie, notamment l’eau, et perdrait les profits de la gestion des douanes et du commerce palestiniens, et payerait un prix économique et social fort pour reloger les dizaines de milliers de colons.
Seule une fraction de ces coûts pourrait être compensée par les bénéfices d’un accord de paix. Et le principal de ces gains serait le coup porté aux tentatives pour délégitimer Israël et la normalisation de ses relations avec les autres nations de la région. Les entreprises israéliennes seraient aussi en capacité d’opérer plus ouvertement dans les États arabes, et la coopération du gouvernement avec des pays comme l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis passerait du mode secret à ouvert. Grâce à un traité avec les Palestiniens, Israël pourrait arriver à déplacer chacune des ambassades de Tel Aviv à Jérusalem, et obtenir des profits financiers et sécuritaires supplémentaires de la part des États-Unis et de l’Europe. Mais tous ces gains combinés ne sont pas sur le point de l’emporter sur les pertes.
Les coûts moraux de l’occupation pour la société israélienne ne sont pas suffisamment élevés pour changer le calcul. Mettre fin à l’opprobre international est effectivement important pour les élites du pays, car à mesure qu’elles se retrouveront de plus en plus dédaignées, l’incitation à se retirer des territoires occupés augmentera vraisemblablement. Mais jusqu’ici Israël a démontré sa capacité à vivre, pendant des décennies, avec l’étiquette de « paria », avec la tache de l’occupation et l’impact qui y est associé sur l’harmonie intérieure et les relations avec les juifs de la diaspora. Pour toutes les récentes agitations à propos de la baisse du soutien des Américains juifs à Israël, la conversation aujourd’hui n’est pas si différente qu’elle l’était à l’époque des premiers gouvernements du Likoud, il y a des décennies. De même, sont supportées – et supportables – les préoccupations de voir l’occupation délégitimer le sionisme et les causes de discorde en Israël. Il y a plus de 30 ans, l’ancien maire adjoint de Jérusalem, Meron Benvenisti, écrivait à propos d’un nombre croissant d’Israéliens qui avaient un doute sur le sionisme « qui s’exprimait sous la forme d’une aliénation, d’une émigration de jeunes Israéliens, de l’émergence de juifs racistes, d’une violence dans la société, d’un écart qui s’élargit entre Israël et la diaspora, et un sentiment général de ne pas être à la hauteur ». Les Israéliens sont devenus des experts pour ne pas entendre de telles critiques.
Il était, il est, et il restera, irrationnel pour Israël d’absorber les coûts d’un accord quand le prix de son alternative est si comparativement bas. Les conséquences de l’impasse choisie ne sont guère menaçantes : des récriminations mutuelles sur la cause de l’impasse, des nouveaux cycles de négociations, et un contrôle maintenu sur toute la Cisjordanie de l’intérieur, et sur une grande partie de la bande de Gaza de l’extérieur. Pendant ce temps, Israël continue de percevoir, tous les ans, plus d’aide militaire des États-Unis que toutes les autres nations du monde réunies, et il gouverne une économie en pleine croissance, avec un niveau de vie qui s’élève, et une population qui affiche l’un des niveaux de bien-être subjectif le plus élevé au monde. Israël continuera d’absorber les coûts, fâcheux mais jusqu’ici tolérables, des plaintes contre sa politique coloniale de peuplement. Et il verra probablement plusieurs autres pays accorder à l’État de la Palestine une reconnaissance symbolique, encore quelques votes négatifs dans des conseils d’étudiants dans des universités, des appels, limités, au boycott des produits des colonies, et des éclats de violence que les Palestiniens, largement dominés et bien trop faibles, ne pourront soutenir. C’est couru d’avance.
La réelle explication des échecs des négociations pour la paix durant ces dernières décennies n’est pas que la tactique était erronée ou que les circonstances étaient imparfaites, c’est qu’aucune stratégie ne peut réussir si elle se fonde sur un comportement irrationnel d’Israël. La plupart des arguments avancés auprès d’Israël pour qu’il accepte une partition soutenaient qu’elle était préférable à un avenir imaginé, effrayant, dans lequel le pays cesserait d’être un État juif ou une démocratie, voire les deux. Israël est constamment prévenu que s’il ne décide pas bientôt d’accorder la citoyenneté ou la souveraineté aux Palestiniens, il deviendra, à une date ultérieure jamais définie, un État d’apartheid. Mais ces déclarations contiennent la reconnaissance implicite que cela n’a aucun sens pour Israël de conclure un accord aujourd’hui au lieu d’attendre et de voir si ces menaces imaginées se concrétisent vraiment. Si et quand elles le seront, Israël pourra alors passer un accord. Peut-être que dans l’intervalle, la détresse de la vie des Palestiniens aura provoqué suffisamment d’émigration pour qu’Israël puisse annexer la Cisjordanie sans renoncer à la majorité juive de l’État. Ou, peut-être, que la Cisjordanie sera absorbée par la Jordanie, et la bande de Gaza par l’Égypte, une issue meilleure que celle d’un État palestinien, de l’avis de nombreux dirigeants israéliens.
Il est difficile de soutenir que d’empêcher un accord dans le présent fait qu’un accord dans le futur sera probablement pire : la communauté internationale et l’OLP ont déjà fixé le plafond de leurs demandes – 22 % de la terre actuellement sous le contrôle israélien – tout en étant moins précis sur leur plancher, qu’Israël peut essayer d’abaisser. Israël a continué de rejeter les mêmes revendications des Palestiniens depuis les années 1980, alors qu’ils avaient fait de nouvelles concessions. En fait, l’histoire suggère qu’une stratégie d’attente servirait bien le pays : du plan de partition de la Commission Peel de 1937 du gouvernement britannique à la Résolution 242 du Conseil de sécurité et aux Accords d’Oslo, chacune de ces initiatives formatrices des grandes puissances accordait toujours plus que la précédente à la communauté juive en Palestine. Même si un Premier ministre israélien sait qu’un jour, les nations du monde finiront par imposer des sanctions à Israël s’il n’accepte pas un accord à deux États, conclure aujourd’hui un tel accord serait malgré tout irrationnel. Israël peut préférer attendre que ce jour arrive, et ainsi profiter pendant beaucoup d’années supplémentaires de son contrôle de la Cisjordanie et des avantages sécuritaires qui vont avec – particulièrement précieux dans un moment de cataclysme dans la région.
Israël est fréquemment admonesté pour faire la paix afin d’éviter de devenir un État unique, à majorité palestinienne, régnant sur tout le territoire du fleuve du Jourdain à la mer Méditerranée. Mais cette menace n’a guère de crédibilité quand on sait que c’est Israël qui détient tout le pouvoir, et que c’est lui qui décidera par conséquent s’il annexe ou non le territoire, et s’il offre la citoyenneté à tous ses habitants. Un seul État ne se matérialisera que si, dans leur majorité, les Israéliens le veulent, et jusqu’à maintenant, à une écrasante majorité, ils ne le veulent pas. Si Israël n’a pas annexé la Cisjordanie et la bande de Gaza, ce n’est pas par crainte de se faire taper sur les doigts par la communauté internationale, mais à cause de la forte préférence de la plupart des citoyens du pays pour une patrie à majorité juive, raison d’être du sionisme. Si et quand Israël sera confronté à la menace d’un État uniquqe, il pourra toujours voter un retrait unilatéral et compter sur le soutien des grandes puissances pour agir en ce sens. Mais cette menace reste encore vraiment éloignée.
En fait, les Israéliens et les Palestiniens sont maintenant plus éloignés d’un seul État qu’ils ne l’ont jamais été à n’importe quel moment depuis l’occupation de 1967. Des murs et des clôtures séparent Israël de Gaza et de plus de 90 % de la Cisjordanie. Les Palestiniens ont un quasi-État dans les territoires occupés, avec leur propre parlement, leurs propres tribunaux, services de renseignements et ministère des Affaires étrangères. Les Israéliens ne font plus leurs courses à Naplouse et Gaza comme ils les faisaient avant les Accords d’Oslo. Les Palestiniens ne vont plus librement à Tel Aviv. Et la prétendue raison selon laquelle la partition est souvent prétendue impossible – la difficulté du transfert probable de plus de 150 000 colons – est grossièrement exagérée : dans les années 1990, Israël a bien absorbé plusieurs fois ce nombre en immigrants russes, dont beaucoup étaient bien plus difficiles à intégrer que les colons, ceux-ci ayant déjà un emploi israélien, des réseaux bien formés de soutien familial et une maîtrise de l’hébreu.
Tant que le gouvernement palestinien et le système d’Oslo sont en place, les nations du monde n’exigeront pas qu’Israël accorde la citoyenneté aux Palestiniens. En effet, pendant plusieurs années, Israël a eu une majorité non juive dans le territoire sous son contrôle. Pour autant, même dans leurs mises en garde les plus sévères, les gouvernements occidentaux, invariablement, ne parlent d’Israël comme d’un État anti-démocratique que comme une simple possibilité hypothétique. La plupart des nations du monde refuseront de qualifier le contrôle d’Israël sur la Cisjordanie d’apartheid – qui est défini par la Cour pénale internationale comme un régime d’oppression et de domination systématiques d’un groupe racial avec l’intention de maintenir ce régime – aussi longtemps qu’il y a une chance, même mince, qu’Oslo reste une phase transitionnelle vers un État palestinien indépendant.
Contrairement à ce que presque tous les médiateurs US ont affirmé, ce n’est pas qu’Israël désire grandement un accord de paix, mais qu’il a une très bonne option de repli. C’est qu’Israël préfère largement l’option de repli à un accord de paix. Aucun éclat tactique dans les négociations, aucune préparation d’experts, aucun alignement parfait des étoiles ne peuvent surmonter cet obstacle. Seules deux choses le peuvent : un accord plus attractif, ou un repli moins attractif. La première de ces options a été tentée largement, de la proposition à Israël d’une normalisation totale avec la plupart des États arabes et islamiques à la promesse de relations améliorées avec l’Europe, de garanties sécuritaires par les USA, et d’une aide financière et militaire accrue. Mais pour Israël, ces pots-de-vin sont dérisoires comparés aux coûts perçus.
La deuxième option est que le repli devienne pire. C’est ce que le Président Eisenhower a dit après la crise de Suez en 1956 quand il a brandi la menace de sanctions économiques pour amener Israël à se retirer du Sinaï et de Gaza. C’est ce qu’a fait le Président Ford en 1975 quand il a réexaminé les relations US avec Israël, refusant de l’approvisionner avec de nouveaux accords d’armements jusqu’à ce qu’il accepte un deuxième retrait du Sinaï. C’est ce que le Président Carter a fait quand il a levé le spectre d’un fin de l’assistance militaire américaine si Israël n’évacuait pas immédiatement le Liban, en septembre 1977. Et c’est ce qu’a fait Carter à Camp David, quand il a indiqué clairement aux deux parties que les États-Unis refuseront leur aide et réduiront les relations s’ils ne signaient pas un accord. C’est, de même, ce que le secrétaire d’État US, James Baker, a fait en 1991, quand il a contraint un Premier ministre réticent, Yitzhak Shamir, d’être présent aux négociations à Madrid, en lui refusant une garantie de prêt de 10 milliards de dollars dont Israël avait besoin pour absorber l’immigration des juifs soviétiques. Ce fut la dernière fois que les États-Unis exercèrent une pression de ce genre.
Les Palestiniens, aussi, ont tout fait pour rendre moins attractive l’option du repli d’Israël avec deux soulèvements et de nouveaux accès de violences périodiques. Mais le prix exorbitant qu’ils ont dû payer s’est avéré insoutenable, et dans l’ensemble, ils ont été trop faibles pour aggraver le repli d’Israël pendant très longtemps. Si bien que les Palestiniens ont été incapables d’inciter Israël à aller plus loin que des concessions tactiques, des étapes destinées à réduire les frictions entre populations afin de ne pas mettre fin à l’occupation mais à l’atténuer et à rétablir son faible coût.
Forcer Israël à faire des concessions plus importantes, de fin de conflit, exigerait de rendre son option de repli si peu attrayante qu’il considèrerait un accord de paix comme une échappatoire à quelque chose de pire. Cela exige plus d’influence que les Palestiniens n’en ont jamais possédé, alors que ceux qui possèdent une force suffisante n’ont jamais été enclin à l’utiliser. Depuis Oslo, en réalité, les USA ont fait absolument le contraire, travaillant à maintenir le faible coût de l’option de repli d’Israël. Les administrations successives des USA ont financé le gouvernement palestinien, formé ses forces de sécurité pour écraser la résistance, fait pression sur l’OLP pour qu’elle n’affronte pas Israël dans les institutions internationales, opposé leur veto aux résolutions du Conseil de sécurité qui n’étaient pas du goût d’Israël, mis à l’abri l’arsenal d’Israël contre les appels à dénucléariser le Moyen-Orient, garanti la supériorité militaire d’Israël sur tous ses voisins, fourni au pays plus de 3 milliards d’aide militaire chaque année, et exercé leur influence pour défendre Israël contre toute critique.
Non moins important, les États-Unis ont constamment protégé Israël d’avoir des comptes à rendre pour sa politique en Cisjordanie en élevant une façade d’opposition aux colonies, façade qui, en pratique, constitue un rempart contre une pression plus importante pour les démanteler. Les USA et la plus grande partie de l’Europe ont établi une distinction claire entre Israël et les territoires occupés, refusant de reconnaître la souveraineté israélienne au-delà des lignes d’avant 1967. Quand la limousine du président US se déplace de Jérusalem-Ouest vers Jérusalem-Est, le drapeau israélien est baissé à l’avant, côté conducteur. Les responsables US doivent obtenir une autorisation spéciale pour rencontrer les Israéliens au quartier général du commandement central dans la colonie de Jérusalem de Neve Yaakof, ou au ministère de la Justice, en plein centre ville de Jérusalem-Est. Et les règles états-uniennes, pas toujours respectées, stipulent que les produits des colonies ne doivent en aucun cas porter l’étiquette made-in-Israël.
Israël proteste avec véhémence contre cette politique dite de différentiation entre Israël et les territoires occupés, estimant qu’elle délégitime les colonies et l’État, et qu’elle peut conduire aux boycotts et à des sanctions contre le pays. Mais la politique fait précisément le contraire : elle n’agit pas comme un complément à des mesures punitives contre Israël, mais comme une alternative à ces mesures.
Une différentiation crée une illusion de critique sévère, mais en réalité, elle protège Israël d’avoir à répondre de ses actions dans les territoires occupés, en assurant que seules les colonies, et non le gouvernement qui les crée, auront à souffrir des conséquences de ses violations répétées du droit international. Les opposants aux colonies et à l’occupation, qui exigeraient autrement que soient imposés des coûts à Israël, canalisent à la place leur énergie dans une distraction qui crée des lignes directrices, mais qui n’a aucune chance de changer le comportement israélien. C’est en ce sens que la politique de différentiation, dont les libéraux européens et américains sont très fiers, n’exerce que guère de pressions sur Israël tout en servant de substitut, contribuant ainsi à prolonger une occupation à laquelle cette politique est censée mettre fin.
Le soutien à la politique de différentiation est très répandu, des gouvernements aux nombreux sionistes se déclarant libéraux, aux groupes de défense US, comme JStreet, qui s’identifient aux partis centristes et centre-gauches en Israël, et au comité de rédaction du New York Times. La différentiation leur permet de se faire passer à la fois pour des pro-Israël et des anti-occupation, un point de vue accepté dans la bonne société. Il existe bien sûr des tendances différentes parmi ces opposants aux colonies, mais tous sont d’accord pour que les produits israéliens créés en Cisjordanie soient traités différemment, que ce soit par l’étiquetage ou même par une sorte de boycott.
Ce que les partisans de la différentiation rejettent généralement n’est cependant pas moins important. Pas un seul de ces groupes ou gouvernements n’appelle à la pénalisation des institutions financières d’Israël, des sociétés immobilières, des entreprises de la construction, de celles de la communication et, surtout, des ministères du gouvernement qui tirent profit des opérations dans les territoires occupés mais où ils n’ont pas leur siège. Des sanctions contre ces institutions pourraient changer la politique israélienne du jour au lendemain. Mais la possibilité de les imposer a été différée, sinon contrecarrée, par le fait que les critiques contre l’occupation ont préconisé à la place une alternative d’apparence raisonnable, mais inefficace.
Les partisans de la différentiation estiment que, s’il est justifié d’aller plus loin que l’étiquetage des produits des colonies de Cisjordanie, il est inconcevable que des sanctions puissent être imposée à un gouvernement élu démocratiquement qui a établi les colonies, légalisé les avant-postes, confisqué la terre palestinienne, fourni à ses citoyens les incitations financières pour qu’ils aillent s’installer dans les territoires occupés, relié les maisons construites illégalement aux routes, à l’eau, à l’électricité et à l’assainissement, et apporté aux colons une protection lourdement armée. Ils ont accepté l’argument que, pour résoudre le conflit, il fallait plus de force, mais qu’ils ne peuvent pas se décider à l’appliquer à l’État qui maintient actuellement le régime de colonies, d’occupation et d’expropriation de la terre auquel ils s’opposent.
Depuis la fin de la guerre froide, les États-Unis n’ont pas envisagé d’utiliser autant cette pression qu’ils pratiquaient autrefois, et leurs succès durant le quart de siècle passé ont par conséquent été maigres. Les décideurs politiques US ont débattu de la façon d’influencer Israël, mais sans quasiment utiliser la puissance dont ils disposent, notamment en conditionnant leurs aides à des changements dans le comportement israélien, un outil standard de diplomatie que les dirigeants semblent considérer comme impensable dans ce cas.
Les écouter discuter de la façon de concevoir une fin à l’occupation, c’est comme écouter le conducteur d’un bulldozer demander comment démolir un immeuble avec un marteau. L’ancien ministre de la Défense israélien, Moshe Dayan, a dit autrefois : « nos amis américains nous accordent de l’argent, des armes et des conseils. Nous prenons l’argent, nous prenons les armes, et nous déclinons les conseils ». Ces mots ont pris plus de résonance au fil des décennies depuis qu’ils ont été prononcés.
Jusqu’à ce que les USA et l’Europe élaborent une stratégie créant une situation moins séduisante pour Israël que les concessions qu’il accepterait pour un accord de paix, ils endosseront la responsabilité de ce régime militaire oppressif qu’ils continuent de préserver et de financer. Quand l’opposition pacifique à la politique d’Israël végète, et que ceux qui ont la capacité de démanteler l’occupation ne lèvent pas le petit doigt contre elle, la violence devient invariablement plus attrayante pour ceux qui n’ont guère d’autres moyens pour renverser le statu quo.
À travers une pression sur les parties, une partition pacifique de la Palestine est réalisable. Mais beaucoup trop insistent pour épargner aux Israéliens et aux Palestiniens d’avoir à subir une force extérieure, de sorte qu’à la place, ils continuent de se montrer généreux les uns envers les autres, dans les souffrances qu’ils infligent.