Israël investit un hôpital, fait obstacle aux soins à Jérusalem

Une douzaine de soldats a fait irruption dans l’entrée de l’hôpital al-Makassed, s’élançant vers le bureau de son directeur, le docteur Rafiq al-Husseini, et exigeant de lui qu’il remette le….

Une douzaine de soldats a fait irruption dans l’entrée de l’hôpital al-Makassed, s’élançant vers le bureau de son directeur, le docteur Rafiq al-Husseini, et exigeant de lui qu’il remette le dossier médical d’un patient israélien, un garçon de 16 ans.

Al-Husseini s’est exécuté, remettant le dossier du garçon qui était soigné depuis quelques jours seulement pour une blessure par balle dans un pied.

Le lendemain, plusieurs soldats sont revenus. Cette fois, ils ont exigé que leur soient remises les vidéos surveillance de l’hôpital pour des dates précises.

Pendant trois jours consécutifs, les soldats israéliens ont saccagé le seul hôpital pour les urgences de Jérusalem-Est, situé sur le Mont des Oliviers.

Des organisations médicales et de défense des droits de l’homme ont déclaré que les raids entraient dans une démarche israélienne plus générale d’obstruction aux soins dans la ville occupée.

Au cours du mois écoulé, les forces d’occupation israéliennes ont gravement entravé la dispense des soins aux Palestiniens, en bloquant les ambulances aux check-points, en harcelant les médecins et en violant la vie privée des patients.

Al-Husseini a déclaré à The Electronic Intifada que les soldats avaient amené avec eux un spécialiste en informatique mais qu’il avait été incapable de trouver les images qu’ils cherchaient. Aussi, ils ont confisqué tout le disque dur sur lequel la vidéo surveillance avait été stockée.

Comme il est l’unique établissement pour les urgences accessible aux Palestiniens dans la ville, al-Makassed a soigné plus de 370 manifestants blessés à Jérusalem-Est au cours du dernier mois.

En octobre, 72 Palestiniens ont été tués par les forces israéliennes, et les services médicaux palestiniens disent avoir soigné 8296 Palestiniens blessés sur toute la Cisjordanie et la bande de Gaza occupées. Près de 800 d’entre eux avaient été touchés par des munitions de guerre.

Deux Palestiniens sont décédés en octobre pour cause de blocage aux check-points récemment montés dans Jérusalem-Est.

Des médecins soumis à interrogatoire

Les raids sur al-Makassed le mois dernier ont interrompu les traitements sur les patients. Le personnel médical a été empêché de faire son travail et ses soucis de sécurité et de calme ont été gravement remis en cause, affirme al-Husseini, le directeur de l’hôpital.

Le personnel a organisé un sit-in à l’entrée de l’hôpital le 29 octobre pour protester contre les raids.

« Au bout de 30 minutes, les forces israéliennes ont pénétré dans l’hôpital où elles se sont mises à lancer des lacrymogènes et à tirer des balles caoutchouc à l’intérieur de l’hôpital » indique al-Husseini.

Deux patients ont été touchés par ces balles d’acier enrobées de caoutchouc, et un agent hospitalier par un corps de grenade lacrymogène, ajoute-t-il.

L’organisation Médecins pour les droits de l’homme-Israël a publié une vidéo montrant les lacrymogènes lancés dans l’enceinte de l’hôpital.

Les forces israéliennes ont convoqué deux médecins pour interrogatoire, indique al-Husseini. L’un a été retenu pendant près de deux jours. L’armée a interrogé les médecins pour savoir qui avait accompagné le garçon dont le dossier médical a été saisi.

En outre, quatre infirmières au moins ont été convoquées pour interrogatoire.

« C’est un mystère. Que veulent-ils ? Ils ont le garçon en garde à vue et tout son dossier médical », s’exclame al-Husseini devant la présence persistante de l’armée.

Il pense qu’Israël veut faire pression sur le personnel médical pour qu’il hésite à soigner les manifestants blessés à l’avenir.

Le Comité international de la Croix-Rouge a manifesté sa préoccupation à propos des raids d’Israël sur l’hôpital.

« Les autorités ont le droit d’effectuer des recherches et des opérations de maintien de l’ordre. Notre préoccupation vient de ce qu’elles sont disproportionnées et qu’elles n’ont rien à voir avec des soins » déclare un porte-parole à The Electronic Intifada.

Dans une déclaration plus énergique, Robert Piper, coordinateur humanitaire des Nations-Unies pour la Cisjordanie et la bande de Gaza occupées, déclare, « Les actions qui minent la capacité des personnels de santé à dispenser des soins à ceux qui en ont besoin constituent une violation du droit international. La conduite des forces de sécurité israéliennes lors de plusieurs irruptions dans l’hôpital al-Makassed la semaine passée est inacceptable et ne doit pas se répéter ».

« Une force d’occupation »

En vertu d’une loi israélienne maintenue depuis la domination coloniale britannique, les hôpitaux sont tenus de remettre les informations sur les patients suspectés d’infractions pénales par les autorités.

Israël a occupé Jérusalem-Est en 1967 et l’a annexée, une décision unanimement rejetée par les gouvernements du monde et les Nations-Unies.

« Al-Makassed a reçu tous les manifestants à Jérusalem-Est ; vous ne pouvez pas dire qu’un manifestant est suspecté d’avoir commis un crime violent » déclare Hadas Ziv, directeur de la communication et de la déontologie à Médecins pour les droits de l’homme-Israël, à The Electronic Intifada.

Pour Ziv, les raids rendent l’hôpital vulnérable : « Ce qu’Israël veut faire savoir, c’est qu’il ne le considère pas comme un hôpital, mais comme un abri pour de soi-disant terroristes. Cela est très dangereux ».

Le harcèlement de l’hôpital et de son personnel, craint Ziv, pourrait conduire les Palestiniens tout simplement à hésiter de soigner.

Israël s’est déjà servi de cette loi contre des manifestants. En octobre 2000, des villes palestiniennes dans ce qui est actuellement Israël ont connu de vastes manifestations en réaction à la violence d’Israël contre les Palestiniens de la Cisjordanie et la bande de Gaza occupées.

La police israélienne a réagi devant ces manifestants non armés avec une force brutale, tuant 13 manifestants, et en blessant des centaines d’entre eux.

Les autorités israéliennes ont exigé que les hôpitaux fournissent les noms de tous les manifestants qu’ils soignaient. Médecins pour les droits de l’homme-Israël a fait appel contre cette exigence à l’époque, et le gouvernement a reculé, mais la loi reste inscrite dans les codes.

À la suite des raids sur al-Makassed, le groupe a écrit aux ministères israéliens de la Santé et de la Sécurité, leur demandant plus d’informations.

« Il est requis des circonstances très extrêmes pour s’en prendre à la neutralité des hôpitaux » dit Ziv.

Le directeur de l’hôpital, al-Husseina, dit que les autorités israéliennes exigent régulièrement les informations sur les patients, mais elles le faisaient en vertu d’une ordonnance d’un tribunal et hors de la présence de soldats armés.

« Israël viole totalement la vie privée des patients » dit-il.

« Mais nous ne contestons pas l’ordonnance du tribunal » ajoute-t-il. « C’est une force d’occupation. Nous n’aimerions pas leur donner la moindre information, mais nous leur donnons, contraints par la force… et les soldats ».

Ailleurs en Cisjordanie, des forces israéliennes, habillées comme des Palestiniens, ont envahi un hôpital à Naplouse le mois dernier, et enlevé un malade dans son lit.

« Le check-point est meurtrier »

L’obstruction au travail médical à Jérusalem-Est ne se limite pas aux raids contre l’hôpital.

Erab al-Fuqaha, la porte-parole de la Société du Croissant-Rouge palestinien, rapporte à The Electronic Intifada que les ambulances de son organisation ont été dangereusement retardées aux nouveaux check-points montés par les forces israéliennes.

La semaine dernière, Nadim Shqeirat, 52 ans, est décédé dans le quartier Jabal al-Mukabir de Jérusalem suite à une crise cardiaque. Pour les médecins palestiniens, les obstacles israéliens lui avaient fait perdre des minutes précieuses avant d’arriver.

Une semaine plus tôt, Huda Darwish, 65 ans, est décédée après que sa famille a été retenue à un check-point dans le quartier d’Issawiyeh, alors qu’elle tentait de l’amener à l’hôpital. Huda souffrait de difficultés respiratoires après avoir inhalé les lacrymogènes lancés par les forces israéliennes.

Selon le groupe de surveillance des Nations-Unies, OCHA, Israël a mis en place 38 obstacles dans les rues de Jérusalem-Est, notamment 16 check-points, affectant directement neuf quartiers d’une population totale de 138 000 Palestiniens.

Deux de ces nouveaux check-points sont proches de la gare du Croissant-Rouge au Mont des Oliviers.

« À chaque fois que des ambulances veulent venir ou partir, elles sont arrêtées et fouillées, et les équipes et les patients contrôlés » dit al-Fuqaha. « Cela réduit le nombre de malades à pouvoir venir à l’hôpital ».

Des personnels du Croissant-Rouge, dans leurs uniformes médicaux, ont également été agressés physiquement à Jérusalem et ailleurs en Cisjordanie, et empêchés d’accompagner des Palestiniens blessés.

« Il est clair qu’en harcelant notre équipe et nos ambulances, Israël cherche à entraver notre travail » dit al-Fuqaha.

Et elle cite deux cas où les forces israéliennes ont empêché les médecins de soigner des Palestiniens sur lesquels elles avaient tiré pour des attaques présumées à Jérusalem.

« Le droit international exige que les forces d’occupation autorisent les personnels médicaux à prodiguer des soins » dit Al-Fuqaha.

Le docteur Walid al-Hummar, directeur de l’hôpital Augusta Victoria à Jérusalem-Est, qui se spécialise dans le traitement des cancers, déclare à The Electronic Intifada qu’il a connu une baisse prononcée dans le nombre des patients ce mois-ci.

« Le check-point est meurtrier pour nous » dit-il.

Augusta Victoria n’est qu’à un pâté de maisons d’al-Makassed, mais il en est séparé par un check-point situé juste à l’entrée de l’hôpital.

Al-Husseini espère que les raids vont cesser, mais il sait que tant que les manifestations se poursuivront, son hôpital restera la principale source de soins pour les blessés.

Se référant à l’adolescent qui a été lynché à Jérusalem l’été dernier, il ajoute, « Nous les avons vus dans les deux Intifadas, nous les avons vus l’année dernière après le meurtre de Muhammad Abu Khudair, et nous les revoyons cette année ».