Israël interdit dans les établissements scolaires un roman sur une idylle arabo-juive au motif d’une « menace sur l’identité juive »

Cette interdiction intervient, bien que le responsable officiel de l’enseignement de la littérature dans les écoles laïques publiques ait recommandé ce livre pour les sections littéraires ; un comité d’universitaires et d’éducateurs a eu la même position.

Le ministère de l’éducation a retiré de l’enseignement dans les lycées du pays un roman qui décrit une histoire d’amour entre une Israélienne et un Palestinien. Cela se produit alors même que le responsable officiel de l’enseignement de la littérature dans les écoles laïques d’État a recommandé ce livre pour les sections littéraires, comme l’a fait aussi un comité d’universitaires et d’éducateurs à la demande d’un certain nombre d’enseignants.

Parmi les raisons invoquées pour ce rejet du livre de Dorit Rabinyan « Gader Haya » (littéralement « La Haie » mais paru en anglais sous le titre « Borderlife » « La vie limite ») figure le besoin de maintenir ce qui est considéré comme « l’identité et le patrimoine des étudiants dans tous les domaines » et la croyance que « des relations intimes enter des Juifs et des non-Juifs menace une identité distincte ». Le ministère de l’éducation a aussi exprimé sa préoccupation liée au fait que « les jeunes adolescents n’ont pas une perception systémique porteuse d’éléments de réflexion sur la préservation de l’identité ethnique-nationale des gens et sur la signification du métissage.

Le livre, publié en hébreu chez Am Oved il y a environ un an et demie, raconte l’histoire de Liat, une traductrice israélienne et de Hilmi, un artiste palestinien qui se rencontrent et tombent amoureux à New York, jusqu’au moment où ils se séparent pour rentrer chez eux à Tel Aviv et à Ramallah en Cisjordanie. Le livre est un de ceux primés cette année par le prix Bernstein des jeunes auteurs.

Une source familière de la façon dont le ministère appréhende le livre a dit qu’au cours des derniers mois, un grand nombre de professeurs de littérature avaient demandé que « Borderlife » soit au programme des sections littéraires des lycées. Ayant considéré cette requête, un comité de professionnels conduit par le Professeur Rafi Weichert de l’université de Haïfa, a donné un avis favorable. Ce comité comprenait des universitaires, des représentants du ministère de l’éducation et des professeurs retraités. Le rôle du panel est de conseiller le ministère sur différents sujets relatifs à l’éducation, dont le choix des programmes.

Selon cette source, des membres du comité de professionnels, de même que la personne en charge des études littéraires, « pensaient que le livre était approprié pour des étudiants en fin d’études secondaires – tant du point de vue artistique que littéraire et quant au sujet qu’il traite. Une autre chose qu’il faut se rappeler est que le nombre d’étudiants en sections littéraires est faible, de toute façon, et que le choix de livres est très vaste ».

Une autre source du ministère de l’éducation a dit que ce processus a pris plusieurs semaines et qu’il « est difficile de croire que nous en sommes arrivés à un point où il faut s’excuser de vouloir inclure dans les programmes un nouveau livre qui est excellent ».

Le bureau du ministre de l’éducation, Naftali Bennett, a déclaré : « le ministre soutient la décision des professionnels ».

Deux hauts fonctionnaires du ministère, Eliraz Kraus en charge des études sur la société et l’humanité, et la présidente en exercice du secrétariat pédagogique, Dalia Fenig, ont pris la décision de déqualifier « Borderlife ».

Au début de décembre, le chef des études littéraires du ministère, Shlomo Herzig, a fait appel de la décision, mais son appel a été récemment rejeté.

« Le recours hâtif, à ce que je vois, à la disqualification d’une oeuvre littéraire du corpus de travail approuvé pour l’enseignement et inclus dans les programmes de littérature, ne me paraît pas acceptable » ; c’est ce qu’a écrit Herzig à Fenig. « De toutes mes trop nombreuses années à la tête des études littéraires, je ne me rappelle pas un seul exemple de non-approbation par la présidence du secrétariat pédagogique d’une oeuvre littéraire recommandée par un comité de professionnels en raison de son autorité et après une discussion minutieuse et approfondie.

Herzig cite un extrait de la première lettre de Fenig s’opposant au livre, qui manifestait une crainte que le livre n’encourage des relations amoureuses entre Juifs et Arabes. « Le grave problème de la société israélienne réside dans l’ignorance terrible et dans le racisme qui s’y répandent, et non dans la question des mariages mixtes » a écrit Herzig. « L’idée qu’une œuvre littéraire puisse faire rêver d’une telle connexion dans la vie réelle est simplement ridicule » Il a ajouté qu’il attendrait du ministère de l’éducation d’être « un phare de progrès et d’édification et de ne pas être à la remorque de peurs creuses et sans fondement ».

« La faute la plus horrible qui vient à l’esprit dans l’enseignement de la littérature (et d’autres sujets) est l’élimination de tout ou partie de travaux que nous n’apprécions pas en fonction de considérations d’éthique. Si c’est le cas, autant ne pas enseigner du tout la littérature. Si nous avions voulu que nos étudiants n’étudient que des œuvres « respectables » et conservatrices, nous n’aurions pas de programme ou seulement une liste d’œuvres littéraires étroites et ennuyeuses. Des œuvres internationales prestigieuses telles que Crime et Châtiment (le meurtre de femmes âgées), Anna Karénine (trahison et adultère), Macbeth (le meurtre d’un roi, de toute sa parenté et de membres de sa maisonnée) n’accèderaient pas à un programme de littérature dans un monde littéraire éthiquement respectable ».

Herzig a demandé une nouvelle audience sur le sujet, au secrétariat pédagogique dirigé provisoirement par Fenig, après que Benett ait remercié le précédent président, Nir Michaeli.

Le poste de président est considéré come une des positions les plus importantes du ministère de l’éducation. La nouvelle audience à laquelle se sont rendus Herzig et des membres du comité de professionnels, n’est pas revenue sur la décision de déqualifier le livre.

Mardi, Fenig a envoyé une nouvelle lettre dans laquelle elle expliquait les raisons de sa décision. Elle disait que « dans la réalité israélienne du conflit judéo-arabe », le livre « dans certains cours » pouvait « entraîner un résultat opposé à ce que l’oeuvre cherche à présenter », mais elle a consacré l’essentiel de ses commentaires à la préoccupation du contact entre Juifs et Arabes.

« L’œuvre est contemporaine et donc elle met le lecteur en présence, d’une façon très tangible et puissante, du dilemme de l’institutionnalisation de l’amour alors qu’il (le lecteur) n’a pas tous les outils pour mesurer des décisions de cette nature » affirmait Fenig. « L’histoire est basée sur le motif romantique d‘un amour secret, impossible, interdit. Les jeunes adolescents ont tendance au romantisme et n’ont pas, dans bien des cas, de perception systémique porteuse d’éléments de réflexion sur la préservation de l’identité ethnique-nationale des gens et sur la signification du métissage ».

Fenig a ajouté : « Les œuvres littéraires ont une grande puissance. Et une discussion critique en classe, si elle doit avoir lieu, ne résistera pas au message très puissant de l’œuvre qui était que ce qui était juste et bon était de respecter l’amour entre Hilmi et Liat ».

Elle prévoyait que de nombreux parents d’élèves du système scolaire public s’opposeraient fortement à ce que leurs enfants étudient ce roman et verraient cela comme une violation de la relation de confiance entre les parents et le système scolaire. « Il convient de se souvenir que le choix d’étudier une œuvre revient au professeur et non aux élèves. Des relations d’intimité et l’option ouverte, bien sûr, de leur institutionnalisation par le mariage et la fondation d’une famille entre Juifs et non-Juifs, même si ce n’est pas le dénouement de l’histoire, sont perçues dans de larges pans de la société comme une menace sur une identité distincte ».

Les publications précédentes de Rabinyan – Nos mariages et Am Oved – sont enseignées au lycée. Selon l’auteur, « c’est un grand honneur que mes créations transpercent l’âme des jeunes et les affectent. Je serais heureuse que les professeurs israéliens de littérature aient l’autorisation de choisir s’ils veulent enseigner aussi Borderlife ».

Elle a ajouté « j’écris des romans pour adultes et Borderlife aussi raconte l’histoire d’adultes intelligents. L’héroïne de cette histoire a grandi et a développé sa personnalité dans le cadre établi par la société israélienne, au sein de la majorité juive, la minorité arabe et les voisins palestiniens. Son choix difficile, se détourner de l’amour, est le choix d’une jeune femme dont l’identité principalement sioniste est profondément ancrée en elle. Il y a quelque chose d’ironique dans le fait que le roman, qui traite de la peur juive de l’assimilation dans le Moyen Orient, ait été de fait rejeté par cette même peur ».

Le ministère de l’éducation a dit : « des professionnels ont débattu d’inclure cette œuvre dans les programmes. Après avoir soigneusement examiné toutes les réflexions et après avoir pesé les avantages et les inconvénients, les professionnels ont décidé de ne pas inclure cette œuvre dans le programme d’études littéraires en cinq unités de valeur » en référence au cursus littéraire.

Au nombre des œuvres littéraires qui racontent aussi l’histoire de Juifs qui se marient en dehors de la foi, on compte Derrière la barrière de Haïm Bialik, l’Esclave de Isaac Bashevis Singer, la Dame et le colporteur de Shmuel Yosef Agnon et Une trompette dans le wadi de Sami Michaël. Toutes ont été, et certaines sont encore, enseignées au lycée.