Imposer une définition de l’antisémitisme à des universitaires sape leur liberté

Alors que le débat sur la Définition de Travail de l’Antisémitisme de l’Alliance Internationale pour le Souvenir de l’Holocauste (IHRA) arrive sur les campus universitaires, il devient absolument évident que….

Alors que le débat sur la Définition de Travail de l’Antisémitisme de l’Alliance Internationale pour le Souvenir de l’Holocauste (IHRA) arrive sur les campus universitaires, il devient absolument évident que certaines voix ont été systématiquement étouffées. En plus des voix des Palestiniens et de nombreux Juifs au Royaume Uni et ailleurs, les voix critiques israéliennes ont été réduites au silence ou ignorées.

Je suis un universitaire britannique et un ressortissant israélien d’origine juive. Ma vie d’adulte, et en Israël et ailleurs, a été marquée par une lutte constante contre l’injustice, y compris l’opposition à l’occupation, la dépossession et la ségrégation des Palestiniens par Israël. En tant que tel, j’ai été extrêmement perturbé par la tentative du secrétaire d’État à l’Education Gavin Williamson pour imposer la définition de travail de l’IHRA aux universités britanniques.

Combattre l’antisémitisme est un devoir, mais le document de l’IHRA sape ce combat, menaçant la liberté d’expression et la liberté académique, tout en constituant une attaque sur le droit des Palestiniens à l’autodétermination et sur la lutte pour la démocratisation d’Israël.

Dans le débat en cours, ma voix d’universitaire et de dissident israélien mérite d’être entendue. Et je ne suis pas seul : plus de 60 Israéliens de l’académie britannique ont récemment écrit une lettre ouverte à nos vice-chanceliers et conseils universitaires, les exhortant à rejeter la définition de travail de l’IHRA.

Ce document a été très largement critiqué pour son imprécision et son défaut de mention de questions centrales, telles que le préjudice et la discrimination. Il est plus faible que les règlements antiracistes qui existent dans le secteur universitaire britannique – qui, et c’est important, incluent d’autres minorités ethniques. Il est franchement perturbant que Williamson singularise les gens d’origine juive comme méritant une plus grande protection que les autres qui, de nos jours, sont régulièrement l’objet de manifestations équivalentes ou plus flagrantes de racisme et de discrimination.

Et, encore plus problématique, le document de l’IHRA comporte des exemples qui confondent critique d’Israël et antisémitisme. Ses exemples de manifestations d’antisémitisme comportent la prétention que « l’existence d’un Etat d’Israël est une entreprise raciste » ou « exigeant d’ [Israël]… une conduite que l’on n’attend pas ou que l’on n’exige pas d’autres nations démocratiques ». Ainsi, ce document rend illégitime, même dans un contexte universitaire, de débattre pour savoir si Israël, en tant qu’Etat juif auto-proclamé, est « une entreprise raciste » ou une « nation démocratique ».

A ce jour, des 14 millions de personnes sous le contrôle d’Israël, 5 millions sont dépourvus de leurs droits fondamentaux. Les 1.8 million supplémentaires sont juridiquement et procéduralement interdits d’accéder à égalité à la propriété, aux ressources naturelles et à la terre, et ils ne jouissent pas à égalité des droits culturels. La totalité des 6.8 millions ainsi empêchés d’accéder totalement à la démocratie sont des non-Juifs.

Une illustration emblématique en est la Loi du Retour, qui autorise tous les Juifs, et seulement les Juifs, à migrer en Israël et à acquérir la citoyenneté israélienne, droit extensible aux descendants et aux épouses. Mais les millions de Palestiniens déplacés ou exilés et leurs descendants se voient interdire le droit de retourner sur leur terre natale.

Ce genre de législation et de pratiques des Etats, passées et présentes, de la Chine à l’Australie et aux Etats Unis, sont régulièrement scrupuleusement étudiées par les universitaires et sont fréquemment considérées comme des formes de racisme institutionnel. Quand il s’agit de l’État d’Israël pourtant, Williamson veut interdire cette forme d’étude scrupuleuse.

Avec ses 11 « exemples », le document de l’IHRA a déjà été utilisé pour étouffer la liberté d’expression et la liberté académique. De façon alarmante, il a servi à concevoir la lutte contre l’occupation et la dépossession des Palestiniens comme antisémite. Pourtant, comme 122 intellectuels palestiniens et arabes l’on récemment déclaré dans une lettre ouverte au Guardian, « l’exigence des Palestiniens pour leur droit au retour sur la terre d’où ils… ont été expulsés… est un droit reconnu par le droit international… Porter une accusation d’antisémitisme contre quiconque considère l’Etat existant d’Israël comme raciste, nonobstant la véritable discrimination institutionnelle et constitutionnelle sur lequel il est fondé, équivaut à accorder à Israël une impunité absolue ».

Pour ces raisons et d’autres, même le principal rédacteur de la définition de travail de l’IHRA, Kenneth Stern, avait publiquement mis en garde en 2019 sur le fait que des associations juives de droite avaient « décidé de faire une arme » de ce document, qui « n’avait jamais été prévu pour servir de règlement pour les discours haineux sur les campus ».

Mes inquiétudes sont partagées par des centaines d’étudiants britanniques, la Société Britannique d’Etudes Moyen-orientales et des spécialistes de l’antisémitisme et du racisme, ainsi que de nombreuses associations palestiniennes, juives et de justice sociale des deux côtés de l’Atlantique.

Aux côtés de mes compagnons israéliens dissidents de l’académie britannique, j’appelle les universités du Royaume Uni à rejeter le document de l’IHRA – ou, là où elle a déjà été adoptée, de la révoquer. Elle contredit l’engagement des universités envers la liberté d’expression et la liberté académique, et elle sape le combat permanent contre le racisme, dont l’antisémitisme, sous toutes ses hideuses formes.