Guerre à Gaza : BNP Paribas visée par une assignation pour « manquement à son devoir de vigilance »

Une association de juristes reproche à la banque française d’ignorer les agissements d’Israël. Les mêmes plaignants ont déposé un recours préalable contre l’Etat français pour « manquement à ses obligations » de prévenir un génocide.

L’association des Juristes pour le respect du droit international (Jurdi) vient de rejoindre la cohorte de ceux ayant déposé plaintes, recours ou assignations contre les agissements d’Israël et de son armée dans la bande de Gaza. Plusieurs plaintes et recours – une demi-douzaine à ce jour – ont déjà été déposés en France pour les chefs de « génocide », « crimes de guerre » et « crimes contre l’humanité », ou encore « complicité de génocide ». Cette fois-ci, l’approche est nouvelle. Elle ne vise pas les auteurs présumés des crimes précités mais ceux n’ayant rien fait pour les empêcher. Face à la lenteur des procédures judiciaires, aux atermoiements de l’exécutif et à l’urgence de la situation sur le terrain, les juristes font preuve de plus en plus d’imagination afin de faire bouger les lignes et alerter, à défaut d’infléchir le cours des choses.

Un recours préalable en responsabilité, déposé le 23 juin, et une assignation devant le tribunal judiciaire de Paris, signifiée le 20 juin, visent respectivement l’Etat français et BNP Paribas pour « manquement de la France à ses obligations tirées de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide » dans le premier cas, et « manquement à son devoir de vigilance » dans celui de la banque française. L’assignation visant BNP Paribas est déposée au nom de l’association Jurdi mais aussi à celui de Ghislain Poissonnier, vice-président de Jurdi et petit actionnaire de BNP Paribas. L’assignation n’est pas une plainte, elle n’est pas soumise à l’examen d’un parquet et sera examinée par un juge civil. Une audience de mise en état est déjà programmée. La procédure prendra des mois, deux ans au maximum.

« En tant qu’acteur économique et financier international de premier plan, la BNP Paribas ne saurait ignorer l’existence de l’occupation illégale du territoire palestinien occupé ni des violations graves, répétées et systématiques du droit international humanitaire, du droit international des droits de l’homme et du droit international pénal qui y sont commises par l’Etat d’Israël », précise l’assignation. Plus loin, les avocats ayant rédigé le texte, Joseph Breham et Matilda Ferey, du cabinet Ancile, précisent : « Or les activités de la BNP Paribas menées envers cet Etat ou certaines entreprises, clientes du groupe, se sont poursuivies malgré ces alertes et se déclinent au moins sous quatre formes. »

« Financement de l’industrie de défense israélienne »

L’assignation détaille ainsi : l’émission d’obligations effectuée par BNP Paribas en faveur de l’Etat d’Israël à hauteur de 2 milliards de dollars, le 5 mars 2024 ; la participation au capital et les prêts bancaires accordés à Elbit Systems, la plus importante entreprise privée d’armement israélienne ; les prêts bancaires accordés au groupe israélien Delek, qui fournit en pétrole les colonies en Cisjordanie et à Jérusalem-Est ; enfin, les prêts consentis aux banques israéliennes Hapoalim, Leumi et Mizrahi Tefahot, toutes impliquées dans le financement d’infrastructures dans les colonies israéliennes en territoires occupés.

Il se trouve que le plan de vigilance de BNP Paribas pour 2024, intégré au rapport financier annuel, publié chaque année, ne fait aucune mention d’un risque juridique spécifique concernant Israël et les territoires palestiniens occupés. Mise en demeure par courrier d’actualiser ce plan de vigilance le 23 décembre 2024, la banque a répondu le 21 mars 2025 être, en substance, en désaccord avec l’interprétation faite par les demandeurs, à savoir Jurdi. Pourtant, le groupe se targue de « respecter les normes les plus rigoureuses de conduite et d’éthique, en matière de lutte contre la corruption, de respect des droits humains et de protection de l’environnement, quelles que soient ses activités ».

Les plaignants demandent donc une mise à jour du plan de vigilance de la banque. « Si nous avons choisi la BNP, c’est parce que c’est l’une des plus grosses sociétés françaises travaillant en Israël et celle sur laquelle nous avons pu trouver le plus d’éléments, précise Me Ferey. Si elle avait arrêté de financer l’industrie de défense israélienne, cela aurait eu un énorme impact. » Jointe par Le Monde, la banque a répondu : « BNP Paribas n’est en aucune manière impliqué dans les terribles conflits au Moyen-Orient et réfute toute action qui tenterait d’établir un lien entre ses activités et la situation dramatique dans cette région. BNP Paribas se conforme pleinement à la loi sur le devoir de vigilance. Une réponse écrite en ce sens a été envoyée à cette association qui a fait le choix de la voie contentieuse plutôt que de celle d’un dialogue constructif, ce que nous regrettons. »

« Contradiction »

Concernant le recours préalable en responsabilité contre l’Etat français défendu par William Bourdon et Vincent Brengarth, il souligne le fait que « l’obligation de prévenir le crime de génocide qui s’impose aux Etats tiers se décline sous la forme d’une obligation de diligence à l’égard d’un ou d’autres Etats ». Deuxième obligation, relèvent les auteurs du recours : « Une obligation de ne pas porter aide ou assistance » à ceux préparant ou commettant le génocide.

La faiblesse de cette action inédite est que la qualification de génocide n’est pour l’instant sanctionnée ni par la justice internationale ni par une juridiction française. Un défaut auquel les rédacteurs du recours répondent en précisant : « Cette obligation de prévenir le crime de génocide trouve à s’appliquer dès que des signaux que des actes de génocide peuvent être commis apparaissent. »

« Je suis stupéfait par la différence entre l’attitude habituelle de la France sur les droits de l’homme et les droits fondamentaux et l’absence de réaction substantielle sur Gaza, ajoute Vincent Brengarth. Je ne m’explique pas cette contradiction. » D’autant, souligne en substance le recours, que la France s’est montrée active dans la mise en cause juridique de la Russie devant la justice internationale après l’invasion de l’Ukraine.

Le recours préalable, qui a été envoyé au palais de l’Elysée avec copie au ministère des affaires étrangères, est une étape obligatoire avant la saisine du tribunal administratif concernant l’administration. L’Etat a deux mois pour répondre. A l’issue de ce délai et en fonction de la réponse, l’association Jurdi et ses avocats décideront, ou pas, de se pourvoir devant la justice administrative.

Christophe Ayad