Gaz lacrymogène et terreur : une scolarité palestinienne sous l’occupation

Selon des responsables, 95 écoles de Cisjordanie ont subi des attaques en 2017 tandis que l’intimidation, les démolitions et l’occupation ont de lourdes conséquences pour les enfants palestiniens

NAPLOUSE, Cisjordanie occupée – Les soldats israéliens sont arrivés pendant que les enfants jouaient devant leur école, dans un village au sud de Naplouse. Il a suffi de quelques minutes pour que le gaz lacrymogène envahisse la cour de récréation, que des pierres soient jetées, qu’un enfant de 10 ans soit touché à la tête par une balle d’acier enrobée de caoutchouc.

Ce matin-là, le dimanche 25 mars, ces violences n’étaient que les dernières d’une série d’affrontements devant l’école de Burin et Ahmad Faris, l’enfant de 10 ans envoyé à l’hôpital où on lui a fait des points de suture, n’était que la dernière victime.

Les villageois racontent que des habitants de la colonie illégale de Yitzhar, proche du village, ainsi que des soldats israéliens du mirador installé à proximité attaquent l’école jusqu’à trois fois par semaine.

« Après qu’Ahmad a été blessé, une bonne dizaine d’écoliers ont refusé de retourner à l’école, et il y en a un qui a mouillé sa culotte » a dit à Middle East Eye Ghassan Najjar, militant local.

« Quand vous êtes en classe et que votre école se retrouve cernée par des soldats israéliens, comment pouvez-vous vous concentrer sur votre travail ? »
Et ces attaques s’insèrent dans un tableau national caractérisé par la récurrence d’actes d’intimidation et de violence contre les écoles, les enfants et les enseignants.

Selon le rapport annuel du ministère palestinien de l’Éducation, 80 279 enfants palestiniens et 4 929 enseignants et membres du personnel ont été « attaqués » par des colons ou des soldats israéliens.

Pendant l’année, neuf écoliers ont été tués en différentes circonstances, 600 ont été blessés, et plus de 300 ont été arrêtés, lors de 352 attaques lancées par des Israéliens contre 95 écoles.

Des écoles sur la ligne de front

Niché dans le paysage vallonné du nord de la Cisjordanie, Burin abrite environ 3 000 Palestiniens, et se trouve entouré de tous côtés par deux colonies illégales, un avant-poste illégal, et une base militaire.

Située à l’entrée du village, l’école est fréquentée par environ 300 garçons et filles.

Surplombant le village, au sommet d’une colline, Yitzhar est à l’origine de multiples attaques de colons. À une cinquantaine de mètres à l’arrière de l’école se dresse un mirador israélien.

À cause de ces deux voisinages, l’école est souvent sur la ligne de front lorsque le village est la cible d’attaques de colons ou de soldats, souligne Ghassan Najjar.

« Chaque semaine, il y a au moins deux ou trois attaques, soit de colons soit de soldats, a-t-il dit à Middle East Eye.

« Les colons descendent de leur montagne, ils essaient de briser les vitres de l’école et jettent des pierres aux enseignants et élèves. Ils tirent même parfois à balles réelles.  »

Un jour, raconte-t-il, des colons armés sont entrés par effraction dans l’école alors que les enfants passaient des examens.

Les soldats, dit-il, quittent souvent le mirador pour crier des insultes aux enfants, et utilisent leurs véhicules pour passer de la musique tonitruante de façon provocatrice.

Souvent les enfants ripostent en lançant des pierres. « Les soldats utilisent aussitôt ce prétexte pour envoyer du gaz lacrymogène dans l’école et tirer sur les gamins », poursuit Ghassan Najjar.

Ghassan Najjar, qui a exercé un rôle bénévole à l’école, raconte que les enfants sont en permanence sur le qui-vive, redoutant sans cesse la venue de soldats ou de colons. « Ils ont cette idée en tête : ‘nous devons nous protéger nous-mêmes et protéger notre école’. »

Et 2018 se présente comme une année dangereuse de plus pour les enfants et les enseignants – les médias palestiniens ont signalé plusieurs attaques contre des écoles depuis le début de l’année.

Le 21 mars, quelques jours avant la blessure infligée à Ahmad Faris, l’armée israélienne a effectué une « démonstration de force » au village d’Al-Mughayyir, dans le secteur de Ramallah, au moment où les enfants allaient à l’école. Huit enfants ont été blessés par des balles en caoutchouc lors des affrontements qui ont suivi.

Deux jours avant, des soldats israéliens ont attaqué une école de la localité de Tuqu, dans le secteur de Bethlehem. Des jets de pierres ont eu lieu, du gaz lacrymogène a été projeté à l’intérieur de l’enceinte scolaire, et les membres du personnel ont été contraints de barricader les portes pour empêcher les soldats de pénétrer dans le bâtiment.

Confiscation et démolition

Certes, ces attaques compromettent la sécurité des enfants et enseignants, mais Ghassan Najjar a expliqué à MEE qu’il avait pour préoccupation principale la confiscation par Israël des terrains scolaires. En février, des soldats ont remis une notification selon laquelle Israël va confisquer presque 6 hectares de terrains appartenant à l’école de Burin pour y construire un mur de séparation.

« C’est la pire menace à laquelle l’école est exposée aujourd’hui », assure Ghassan Najjar. « Les élèves seront soumis à une pression encore plus forte en raison du projet de construction de ce mur, et ne pourront plus suivre leur scolarité dans des conditions correctes.

« Ils auront en tête la protection de leur terre, et pas leurs études. »
Des confiscations sont en cours dans l’ensemble des territoires occupés. Selon une déclaration faite en février par le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA), 37 écoles sont sous le coup d’ordres de démolition dans la zone C de Cisjordanie, sous contrôle total des autorités israéliennes pour la sécurité et l’administration civile.

Une de ces écoles, démolie partiellement en février pour la sixième fois depuis 2016, est située dans le village bédouin d’Abu Nuwar, où 670 Palestiniens vivent dans des tentes et des baraques en tôle.

Sous le prétexte qu’elles étaient construites sans permis israéliens – lesquels sont presque impossibles à obtenir en zone C pour des Palestiniens – les autorités israéliennes ont détruit deux salles de classe financées par l’Union européenne qui accueillaient 26 enfants palestiniens d’Abu Nuwar, soulevant de nombreuses critiques des responsables palestiniens et de la communauté internationale.

« Ces salles de classe ont été démolies tellement souvent… », commente Dawoud al-Jahalin, chef du conseil municipal d’Abu Nuwar.

« Quand une organisation revient construire de nouvelles salles de classe, les enfants n’arrivent même pas à être contents – ils savent que les bulldozers israéliens vont revenir, que ce n’est qu’une question de temps. »

Selon Dawoud al-Jahalin, les 26 enfants suivent maintenant leurs cours dans un centre social local qui fait aussi fonction de salon de coiffure.

« Bien sûr, nous espérons reconstruire des salles de classe dignes de ce nom, mais nous avons besoin de l’aide de la communauté internationale pour exercer une pression plus forte sur le gouvernement israélien pour qu’il cesse ces démolitions », souligne-t-il, ajoutant que les confiscations n’ont pas seulement concerné des constructions ‘illégales’ – l’été dernier, l’armée israélienne a confisqué des panneaux solaires qui fournissaient du courant électrique à la salle de classe et à une maison d’hôte.

Les incursions israéliennes

Située dans la zone stratégique dite « E1 » de Cisjordanie, Abu Nuwar est la plus vaste de plusieurs localités bédouines menacées de démolition.

Le plan E1 donnerait lieu à la construction de centaines de logements de colons qui relieraient Maale Adumim et Kfar Adumim avec Jérusalem-Est occupée.

S’il était mis en œuvre, il créerait un bloc urbain de colonisation au centre des territoires palestiniens occupés, permettant de séparer en deux parties distinctes le sud et le nord de la Cisjordanie, et d’isoler encore davantage de la Cisjordanie Jérusalem-Est occupée.

Ce plan entraînerait la disparition de Khan al-Ahmar, localité déjà menacée de démolition, y compris l’école, et de déplacement forcé, et il en serait de même pour Jabal al-Baba – où l’unique jardin d’enfants du village a été détruit en août 2017, un mois avant le début de l’année scolaire.

Des groupes de défense des droits ont affirmé que les mesures prises par Israël en zone E1 répondent à la définition du transfert forcé – rigoureusement interdit par le droit international humanitaire et constituant une violation de la Quatrième Convention de Genève.

« Les communautés bédouines de la région de Jérusalem sont ici depuis les années 1950, depuis que nous sommes devenus des réfugiés, ayant été chassés de nos terres d’origine dans le désert du Néguev, et on ne nous laisse même pas avoir de l’électricité, de l’eau, ou un réseau routier », a dit Dawoud al-Jahalin à MEE.

« Pendant ce temps Maale Adumim, construite illégalement dans les années 1980, a plus de 70 jardins et terrains de jeu, 12 écoles, et ils ont des bus pour conduire leurs gamins à l’école et les ramener.

« Nous vivons au 21e siècle, et les enfants palestiniens n’ont toujours pas accès à l’un des droits humains les plus fondamentaux : le droit à l’éducation. »

Une terrible course d’obstacles

Le ministère de l’Éducation a également souligné les conséquences sur le droit et l’accès sécurisé à l’éducation du réseau dense de checkpoints et de zones militaires fermées mis en place par Israël.

Selon le rapport 2017 du ministère palestinien de l’Éducation, les élèves et enseignants palestiniens de 51 écoles ont été retardés à des checkpoints et barrages militaires pendant qu’ils se rendaient à leur école ou en revenaient.
Pour ces raisons, 26 808 élèves et 1 029 enseignants n’ont pas pu se rendre à l’école ou ont subi des retards considérables, et il en est résulté « 35 895 cours perdus ».

Dans le sud de la Cisjordanie, dans les collines au sud d’Hébron, 210 enfants palestiniens demeurant dans les 12 petits villages de Masafer Yatta affrontent une épreuve quotidienne lorsqu’ils cherchent à aller en classe dans une zone active d’entraînement militaire.

Apprendre en zone de tir

Le gouvernement israélien ayant déclaré ce secteur Zone de Tir 918 à la fin des années 1970, les Palestiniens habitant cette zone de 3 500 hectares subissent les caprices de l’armée israélienne, qui s’entraîne régulièrement avec des munitions réelles.

Nidal Younis, chef du conseil municipal de Masafer Yatta, a dit à MEE que les enfants de cette communauté sont souvent les plus exposés aux exercices militaires.

« Il n’y a que trois écoles dans tout le secteur, et la plupart des villages n’ont pas accès aux bus scolaires, ce qui force les enfants à faire plusieurs kilomètres à pied pour aller à l’école et en revenir », explique Nidal Younis.
Lorsqu’on parvient à trouver des bus pour transporter les enfants, ajoute-t-il, les militaires israéliens les forcent souvent à s’arrêter et à repartir dans l’autre sens sur le chemin de l’école.

« Quand les enfants vont à l’école à pied, des hélicoptères militaires les survolent à faible altitude, soulevant des nuages de poussière et de sable autour des enfants, ce qui leur fait mal aux yeux et ralentit leur déplacement », poursuit-il.

De plus, dit-il, au cours des périodes d’entraînement actif, les soldats ferment parfois certains secteurs donnant accès aux écoles pour une durée qui peut atteindre dix jours, et les enseignants comme les élèves doivent rester à la maison jusqu’à ce que l’armée ouvre de nouveau le secteur.
Selon Nidal Younis, Israël a empêché les habitants de donner aux routes un revêtement correct, d’installer les infrastructures nécessaires pour l’électricité ou l’eau à l’intérieur de cette zone.

« En été, les enfants qui marchent sur des chemins de terre doivent éviter les serpents et les scorpions, et lorsqu’ils arrivent enfin à l’école ils souffrent de l’excès de chaleur, ils ont soif – et ils n’ont même pas accès à l’eau courante.
« Ailleurs dans le monde, peut-on se représenter ce que cela veut dire pour un enfant, pour nos enfants, d’essayer de faire des études correctes dans ces conditions?

« C’est insupportable, c’est presque impossible. Mais en Palestine, c’est ce que nos enfants doivent subir pour apprendre. »