Freedom Theatre: Le Siège – La résistance culturelle en Palestine

La salle débordait de monde pour la première de la pièce Le Siège. En nous faufilant à travers la foule, nous avons réussi à trouver des places, entassées au milieu….

La salle débordait de monde pour la première de la pièce Le Siège. En nous faufilant à travers la foule, nous avons réussi à trouver des places, entassées au milieu d’un public divers et animé. Nous étions au Freedom Théâtre, un théatre et centre culturel palestinien implanté dans un quartier du camp de réfugiés de Jénine, au nord de la Cisjordanie. Créé en 2006, le théâtre a pour but d’entraîner la résistance culturelle dans le champ de la culture populaire et de l’art comme catalyseurs du changement social dans les territoires palestiniens occupés. Ainsi, après deux mois de répétitions, ils étaient fin prêts à donner leur nouvelle pièce attendue avec impatience.

Cette journée a commencé par un hommage théâtral à Juliano Mer Khamis, un des fondateurs de l’école de théâtre, assassiné en 2011 par un homme armé et masqué. Nous avons ensuite assisté à la projection de Voyage d’un combattant de la liberté, un documentaire qui retrace l’histoire de Rabea Turkman, un étudiant talentueux de l’école de théâtre qui a évolué de la résistance armée à la résistance culturelle ; ce dernier a été ensuite blessé par l’armée israélienne et il est mort de ses blessures quelques années plus tard.

Inspiré par l’histoire véridique d’un groupe de combattants de la liberté, aujourd’hui exilés en Europe et à Gaza, Le Siège part de faits qui se sont passés au plus fort de la deuxième intifada en 2002. L’armée israélienne avait encerclé Bethléem sur terre et par les voies aériennes avec des snipers, des hélicoptères et des tanks qui boquaient toute entrée et sortie de personnes et de marchandises. Pendant 39 jours les gens ont vécu sous le couvre-feu et le rationnement, l’adduction d’eau étant coupée et l’électricité presque complètement. Avec des centaines d’autres Palestiniens, des moines, des bonnes sœurs et dix militants de ISM (International Solidarity Mouvement), ces cinq combattants de la liberté se réfugièrent dans l’Église de la Nativité, un des sites les plus sacrés au monde.

La pièce donne un aperçu de ce que c’était d’être pris au piège dans l’église et de survivre avec si peu, dans l’odeur de cadavres en décomposition à l’intérieur de ceux que des snipers israéliens avaient tués. Il montre le choix difficile auquel ils étaient confrontés entre se rendre ou résister jusqu’au bout. Mais quel que soit leur choix, ils n’ont pas eu d’autre option que de laisser leur famille et leur patrie pour toujours, puisque tous les combattants de la liberté – 39 en réalité – ont été déportés sans possibilité de retour à ce jour.

La pièce a dépassé toutes les attentes ! Tous les spectateurs semblaient impressionné par ce à quoi ils venaient d’assister. Nous avons parlé avec Osama, un ancien étudiant de l’école de théâtre et ami du Freedom Theatre qui a grandi dans le camp de réfugiés de al-Azzeh à Bethléem. Sous l’effet de l’émotion, ses mots ne sortaient pas, mais il a fini par réussir à dire : « j’aurais adoré jouer dans cette pièce ! ». Il n’avait que 12 ans quand les tanks sont entrés dans la ville : la pièce a tellement rappelé son enfance et a fait revenir beaucoup de souvenirs de cette époque de sa vie ! Il relate comment le « bang » très fort du début de la pièce remettait en scène le bombardement qui avait percé la réserve d’eau de la ville. Ce bruit est toujours enkysté dans sa tête parce que ce fut le début des jours longs et difficiles qu’allaient vivre les habitants. « Nous sommes sous occupation mais nous ne sommes pas faibles. Nous nous maintenons avec ce que nous pouvons, que ce soient nos corps, nos voix ou nos armes ! » – Osama croit à la résistance armée comme un des nombreux moyens de combattre l’occupation. Et, en tant qu’acteur, il trouve important de représenter ces résistants « d’une autre manière, une bonne manière. Nous mourons parce que nous voulons vivre ! »

Alaa Shehada, l’assistant metteur en scène de la pièce, a donné quelques explications sur sa création. Pendant la période de recherche, ils sont allés en Europe et ont interviewé 13 réfugiés afin d’avoir des récits de première main. Ils ont même réussi à interviewer un des 26 réfugiés de Gaza. Il a expliqué que cette histoire n’est pas seulement sur ce qui s’est passé en 2002 mais que c’est un microcosme de l’ensemble de la lutte palestinienne. Elle montre la propagande israélienne continue depuis 1948, qui représente les Palestiniens comme des terroristes à partir d’accusations mensongères. Dans le cas précis traité dans la pièce, l’armée israélienne a accusé les combattants d’avoir attaqué l’église et gardé les moines prisonniers à l’intérieur. Le mensonge a été prouvé ultérieurement. La vérité c’est que les moines avaient accueilli les combattants et qu’ils ont travaillé ensemble pendant toute la durée du siège. Enfin, pendant les 67 ans de l’occupation israélienne, sous les yeux du monde entier, il n’a jamais été fait justice au peuple palestinien. 50% des Palestiniens sont des réfugiés de leur propre pays et n’ont pas encore eu droit au retour.

Au Freedom Theatre, la résistance culturelle est leur façon de défier l’occupation. Ahmed Jamil Tobassi, un des acteurs de la pièce, a expliqué que parmi beaucoup d’autres choses, le théâtre crée un contexte sur lequel d’autres formes de résistance peuvent s’appuyer. Il réactive des histoires, il donne à des gens un moyen de s’exprimer et, en fin de compte, libère l’esprit. L’idée de la résistance culturelle est de travailler avec d’autres formes de résistance et non contre elles. Car, « si tu ne peux pas d’abord déconstruire l’occupation en toi-même, comment vas-tu être capable de libérer le pays de l’occupation extérieure ? » argumente Jonatan Stanczak, le directeur du Théâtre.

En mai et juin, cette pièce sera en tournée au Royaume Uni, un pays où la troupe de théâtre n’est pas encore allée. Il y a là aussi un message pour les Britanniques, afin qu’ils prennent leurs responsabilités face à leur rôle de premier plan dans le nettoyage ethnique de la Palestine et de l’occupation.

Plus d’information sur le site des Amis du Freedom Theatre au Royaume Uni:www.thefreedomtheatreukfriends.com

Frieda et Jenny