Frappes sur Gaza: pourquoi BFMTV a-t-elle supprimé une interview dans laquelle Alain Gresh met en cause Israël?

L’extrait, dans lequel le directeur d’«Orient XXI» affirme que «c’est Israël qui est à l’initiative» de l’escalade de violence à Gaza, n’est plus disponible sur le site de BFMTV. La suppression visait à «éviter toute manipulation», assure la chaîne qui a, depuis, invité à nouveau le journaliste.

Question posée par Vincent (et sur Twitter) le 8 août 2022.

Bonjour,

Vous nous demandez s’il est «vrai que BFMTV a supprimé une interview pro palestinienne après diffusion sur son antenne». Vous faites ainsi référence à une interview d’Alain Gresh dans l’émission Non Stop de BFMTV, dimanche 7 août. Ce spécialiste du Proche-Orient, directeur du journal en ligne Orient XXI et ancien rédacteur en chef du Monde diplomatique, y était interrogé sur l’escalade de tensions entre Israël et le Jihad islamique (groupe armé palestinien) dans la bande de Gaza.

Au moment du passage à l’antenne d’Alain Gresh, à 17 heures, Israël disait avoir accepté la trêve proposée par l’Egypte et attendre une réponse du Jihad islamique. La journaliste Fanny Wegscheider l’interroge donc sur l’issue potentielle de ces tractations. Alain Gresh déroule alors son point de vue, dans une réponse de deux minutes mettant en cause l’Etat israélien : «D’abord, il faut rappeler que cette escalade a été déclenchée par Israël, sans qu’Israël, au moment où elle a mené ses opérations, n’ait subi aucune attaque […] C’est Israël qui est à l’initiative […] C’est la quatrième ou cinquième guerre qu’Israël mène contre Gaza, avec des centaines de gens tués […] Le peuple palestinien vit sous occupation, à Gaza comme en Cisjordanie. Et cette situation ne peut que déboucher sur des violences, que sur des affrontements […] C’est cette situation [de blocus total à Gaza] qui crée les escalades successives. Malheureusement, Israël ne tire aucune leçon […] Israël n’accepte pas de se plier aux résolutions de l’ONU [qui lui demande de se retirer des territoires occupés] et se plaint d’être l’agressé, ce qui est quand même un paradoxe.»

Cette longue réponse avait initialement été mise en ligne, en tant que telle, sur le site de BFMTV, dans un article titré «Pour Alain Gresh, “c’est Israël qui est à l’initiative de l’escalade des frappes en cours avec Gaza”». Mais dans la soirée, le directeur d’Orient XXI a remarqué que cet extrait vidéo avait disparu du site, comme il l’a signalé sur Twitter. L’URL de l’article qui avait été dédié à ces deux minutes de réponse existe toujours, mais laisse désormais place au message «404 | Page introuvable». Des internautes ont, depuis, retrouvé et publié l’extrait sur Twitter.

La suppression de cette vidéo a suscité de nombreuses réactions en ligne, certains s’étonnant de ce qu’ils qualifient de «censure». Principale raison invoquée : Alain Gresh serait considéré comme «trop critique envers Israël» ou «pro-Palestine». Certains y voient même directement la main du propriétaire de BFMTV, le franco israélien Patrick Drahi (également ancien propriétaire de Libération, et toujours lié au titre via un «fonds de dotation pour une presse indépendante»).

Le retrait de l’interview a également fait parler de lui à l’étranger, évoqué entre autres par l’agence de presse turque Anadolu.

«Le sujet de la Palestine suscite des peurs»

Joint par CheckNews, Alain Gresh estime en tout cas que c’est sa position vis-à-vis d’Israël qui a conduit BFMTV à supprimer le passage mettant en cause l’Etat hébreu. «Aujourd’hui, le sujet de la Palestine suscite des peurs, notamment quand on l’aborde comme moi je fais, donc de manière un peu radicale, déroule-t-il. Pour moi, ce ne sont pas deux peuples qui se battent pour se partager la terre, mais il y a un occupant et un occupé.» Ce spécialiste de l’actualité arabe et musulmane nuance cependant : «Ils peuvent tout à fait ne pas être d’accord avec ce que je dis […] Moi je ne pense pas qu’il y ait une vision objective des faits, c’est bien d’avoir plusieurs opinions quand on parle de quelque chose.»

De son côté, la chaîne rappelle à CheckNews que «l’intégrale de la tranche est évidemment disponible sur RMC BFM PLAY et donc accessible à qui veut». Si cet extrait spécifique a été retiré, c’est «pour éviter toute manipulation» car il «était tronqué, pas entier», explique auprès de CheckNews François Raineteau, directeur de la communication d’Altice France, le groupe propriétaire du quinzième canal de la TNT. Une explication également livrée (au mot près) par le directeur général de la chaîne, Marc-Olivier Fogiel, au site Puremédias.

La chaîne, qui publie régulièrement des bouts d’interviews sur son site, n’a pas été en mesure de citer d’autres cas de suppression visant à éviter des manipulations.

Il n’existe «aucune censure sur BFMTV», insiste François Raineteau. «Plusieurs dizaines d’interviews sont réalisées chaque jour sur l’antenne de BFMTV. Toutes les opinions et toutes les parties au conflit sont présentes à l’antenne, en interview ou dans des sujets, ainsi que sur notre site. Chacun peut le constater, avec des représentants ou spécialistes de la société israélienne comme palestinienne, des représentants politiques israéliens comme des représentants du Jihad islamique, des universitaires, des diplomates.»

«Recalé»

Par la suite, un nouveau «rebondissement» mentionné sur Twitter par Alain Gresh a relancé la polémique. Alors qu’«une heure après» son passage à l’antenne de BFMTV dimanche, il avait été sollicité pour une nouvelle interview ce lundi matin à 11 heures, il a finalement appris que cette seconde intervention avait été «annulée», «une heure avant» l’appel calé, relate-t-il.

En fait, il s’agissait d’un simple report, explique BFMTV, et Alain Gresh a été «recalé» ce lundi après-midi. L’actualité autour de Gérald Darmanin a en effet pris le dessus. En déplacement à Marseille, le ministre de l’Intérieur s’est notamment exprimé sur les rodéos urbains, ou encore la suspension de l’expulsion de l’imam Hassan Iquioussen.

Alain Gresh est finalement intervenu à 15 heures sur la chaîne, où il a été interrogé sur la durabilité de la trêve conclue entre Israël et le groupe armé palestinien. L’échange a, dans la foulée, été mis en ligne sur le site de BFMTV. L’article qui contenait son intervention de dimanche, lui, reste indisponible.