Les autorités françaises pourraient retirer à Selma sa carte de séjour. En cause, la participation de la chercheuse à une manifestation interdite en soutien au peuple palestinien le 15 mai à Paris et le port d’une banderole contre l’occupation israélienne
Depuis près de deux mois, Selma*, 37 ans, vit dans l’angoisse. Installée en France depuis onze ans, l’universitaire turque spécialiste en art ne pensait pas être un jour menacée d’expulsion.
Tout commence le 15 mai 2021. Ce jour-là, elle est arrêtée au cours d’un rassemblement en soutien au peuple palestinien en pleine attaque israélienne à Gaza et à Jérusalem-Est occupée. Un rassemblement interdit par la préfecture de police de Paris à la demande de Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur.
Ce jour-là, 45 manifestants sont interpellés et conduits au commissariat. Il leur est notamment reproché de ne pas avoir obéi à l’ordre de dispersion des forces de l’ordre.
Des faits que Selma nie en bloc : « J’étais seule, un peu à l’écart, je ne faisais partie d’aucun groupe », indique-t-elle à Middle East Eye.
Après une nuit en garde à vue, Selma est relâchée et écope d’un rappel à la loi. Pas d’enquête plus approfondie, pas de procès, pas de jugement, l’affaire semble close.
Mais le 20 mai, elle reçoit à son domicile un courrier de la préfecture de police de Paris auquel elle ne s’attendait pas : « J’envisage le retrait de votre titre de séjour », écrit un adjoint du préfet de police. Un peu plus haut sont cités plusieurs articles de loi qui « prévoient la possibilité de retrait de la carte de séjour si son titulaire constitue une menace à l’ordre public ».
Une pancarte anti-occupation comme motif d’infraction
Pour Selma, aucun doute, la « menace à l’ordre public », c’est cette pancarte qu’elle a brandie lors de la manifestation.
« Sur ma pancarte, il était écrit ‘’Je suis contre l’occupation israélienne et solidaire avec le peuple palestinien’’, ça, ce n’est pas de l’antisémitisme ! », s’insurge la chercheuse.
« Quand j’ai reçu la lettre de la préfecture, j’ai trouvé cela inacceptable », poursuit-elle. « C’est une atteinte à ma liberté d’expression et de manifester. Je ne pensais pas que cela pouvait arriver en France. Pour moi, j’étais dans le pays où on peut se rassembler. »
Sur la fiche d’interpellation de Selma, datée du 15 mai 2021 et que MEE a pu consulter, un policier note clairement dans la partie consacrée aux motifs de l’infraction : « Porteur d’une banderole contre l’occupation israélienne ». Aucune mention de violence ou de refus d’obtempérer.
« Cette menace d’expulsion est une décision politique », assure maître Raphaël Kempf, l’avocat de Selma.
« Le préfet de police de Paris a décidé d’interdire ce rassemblement du 20 mai parce qu’il était en soutien aux Palestiniens, comme si en France, manifester pour ce peuple représentait un danger ! Aujourd’hui, clairement, Selma est punie pour avoir exprimé son soutien à la Palestine. »
Par l’intermédiaire de son avocat, la chercheuse a demandé aux autorités françaises de revenir sur leur décision. « J’ai adressé plusieurs courriers à la préfecture pour que ma cliente soit fixée sur son sort mais, pour le moment, pas de réponse », explique maître Kempf.
Si les autorités françaises lui retirent sa carte de séjour, Selma envisage déjà de saisir le tribunal administratif.
« Ma vie est en France », confie l’universitaire à MEE. « Je vis ici depuis plus de dix ans. Je ne suis pas quelqu’un de dangereux pour l’ordre public, au contraire, je suis chercheuse, je travaille pour le bien commun. » Selma avait engagé récemment des démarches pour obtenir la nationalité française.
Joints par MEE, la préfecture de police de Paris et le ministère de l’Intérieur n’avaient pas donné suite au moment de la publication.
* Le prénom a été modifié à sa demande.