Esther Duflo, refusez le Prix israélien Dan David

BDS France | 26 February 2013 | Esther Duflo est une économiste franco-américaine, professeur au Massachusetts Institute of Technology où elle détient la « chaire Abdul Latif Jameel sur la….

BDS France | 26 February 2013 |

Esther Duflo est une économiste franco-américaine, professeur au Massachusetts Institute of Technology où elle détient la « chaire Abdul Latif Jameel sur la réduction de la pauvreté et l’économie du développement »

Chère Madame,

Vous êtes en 2013 l’une des lauréates du Dan David Prize, remis chaque année à une personnalité ou une institution sur la base de son excellence dans le domaine de la recherche, sans discrimination de genre, de « race », d’ethnie, de couleur, de religion, de langue, de nationalité, de handicap ou d’opinions politiques. Le but affiché de ce prix est d’encourager et de promouvoir les valeurs universelles de justice, de démocratie et de progrès afin d’améliorer le monde. Vaste programme !

Il vous est attribué pour votre travail, reconnu internationalement, sur « les conditions sociales, les stratégies de réduction de la pauvreté en lien avec la prévention des maladies ».

En contrepartie de ce prix d’un million de dollars vous devez vous engager à reverser 10% pour des bourses de graduate students. Seulement, on ne peut qu’être sous le choc du décalage entre l’affichage humaniste du prix remis par un organisme israélien officiel, l’université de Tel Aviv, qui fait partie intégrante de la politique israélienne, et la réalité de la vie quotidienne des Palestiniens qui vivent depuis 60 ans dans un Etat qui pratique l’apartheid légalisé, ou de ceux qui vivent sous occupation ou encore de ceux qui ont dû se réfugier à l’étranger depuis trop longtemps.

Vous qui travaillez avec passion à la réduction de la pauvreté dans le monde entier, qui vous préoccupez sincèrement de la santé et de l’éducation des populations les plus défavorisées, vous qui avez même créé un laboratoire, le J-Pal, spécialisé sur ces questions et dont le travail est très ancré dans le réel, savez-vous ce qu’est la vie des enfants palestiniens, rien que dans le domaine de l’éducation :

44,4% des enfants palestiniens sont des réfugiés 1. 26,9% des enfants sont considérés comme pauvres, 19% en Cisjordanie et 38,4% dans la bande de Gaza 2. Pendant l’opération Plomb durci, 18 écoles ont été détruites (UNRWA, Autorité palestinienne, et écoles privés) et 260 ont été endommagées 3. Entre 2009 et 2010, 615 enfants ont été déplacés et 8 316 ont été touchés par des démolitions de maisons ou de structures de vie en Cisjordanie 4. Depuis le début de la seconde Intifada (en 2000), près de 7 500 enfants palestiniens (entre 12 et 17 ans) ont été arrêtés et emprisonnés 5.Chaque année, 700 enfants palestiniens sont arrêtés et jugés par les cours militaires israéliennes en Cisjordanie 6 , la plupart du temps pour lancer de pierre 7. Entre 2005 et Juin 2011, la période moyenne d’emprisonnement des mineurs entre 14 et 15 ans étaient de 2 mois et demi et de quatre mois pour ceux âgés entre 16 et 17 ans 8.

De nombreuses mesures dans la société israélienne favorisent les citoyens ayant effectué leur service militaire, discriminant ainsi les Palestiniens qui ne sont pas autorisés à le faire. C’est le cas en matière d’offre d’emploi, mais aussi dans le domaine universitaire.

Souvent ces mesures sont explicites, mais elles sont parfois plus insidieuses. En décrétant un âge minimum de 20 ans pour entrer dans certains programmes universitaires (ce qui correspond à la sortie du service militaire pour les citoyens Juifs), on force les Palestiniens à patienter deux ou trois ans sans pouvoir s’y inscrire… Dans toutes les universités israéliennes, des bourses d’étude, dispenses de droits d’inscription, gratuité de logement et autres aides financières sont accordées pendant cinq ans aux étudiants qui sortent de l’armée. Ces critères discriminatoires dans l’attribution de bourses est général en Israël, tant dans la plupart des bourses provenant de l’université et d’organismes publics, que de celles qui proviennent de fondations privées, et ces mesures ont été accrues pendant et après les massacres de Gaza en janvier 2009.

20% des citoyens d’Israël sont des Palestiniens. Pourtant, moins de 10% sont en premier cycle, moins de 5% en deuxième cycle, 3% en troisième cycle et seuls 1% sont enseignants. En revanche, les Palestiniens ont trois fois plus de chance de voir leur candidature rejetée et, parmi ceux qui sont acceptés, les étudiants palestiniens sont trois fois plus souvent traduits devant le conseil disciplinaire des universités israéliennes, en particulier dans les cas où ils s’opposent trop ouvertement à la politique d’occupation israélienne.

Aucune ville palestinienne n’a été retenue dans le système d’assistance aux étudiants en difficulté.

L’Université de Tel Aviv est un des fers de lance de la collaboration entre le monde universitaire et l’armée israélienne, puisqu’ils ont ensemble de nombreux contrats de recherche. En 2009 cette université était « fière » d’avoir conduit 55 projets avec l’armée israélienne.

L’’Université de Tel-Aviv vient de se compromettre avec l’organisation de colons extrémistes Elad pour une campagne de « fouilles » dans le quartier palestinien de Silwan à Jérusalem Est, ce qui, pour les Palestiniens, place la science au service de la colonisation.

Ces fouilles servent en réalité de prétexte à l’expulsion de familles palestiniennes.

Le campus de l’université de Tel Aviv est situé sur le village palestinien détruit de Sheikh Muwanis, dont les habitants ont été expulsés, mais l’université ne l’a jamais reconnu.
L’Université de Tel Aviv a nommé comme professeur de droit international un colonel (le colonel Pnina Sharvit Baruch) dont un des faits d’armes a été de superviser les bombardements militaires sur la population civile de Gaza en 2008/2009, bombardements qui violent ouvertement le droit international.

En acceptant ce prix, et bien que nous soyons on ne peut plus conscients de la somme d’argent qu’il représente, vous offrez votre image à Israël, vous lui donnez de la crédibilité sur la scène internationale, vous lavez les mains pleines de sang du gouvernement israélien.

Comme pour l’Afrique du sud du temps de l’apartheid, il est temps que les citoyens du monde que nous sommes, et dont vous faites partie de manière extraordinaire, disent stop et refusent de cautionner de quelque manière que ce soit la politique de ce pays.

Nous vous invitons donc instamment, au nom de toutes les personnes que vous aidez chaque jour par votre travail, à ne pas vous rendre en Israël et à refuser ce prix par souci de cohérence. Vous ne pouvez pas être récompensée par un des Etats les plus oppresseurs du monde pour votre travail en faveur des opprimés.

Nous restons à votre plus entière disposition pour plus de renseignements,

Très fraternellement,

La campagne BDS France.