En une nuit, une frappe israélienne a fait de la maison de ma famille un cimetière 

Au réveil j’ai entendu qu’un missile avait touché la maison de mes parents et tué neuf membres de ma famille qui attendaient d’être évacués. Cela m’a plongé dans une culpabilité si profonde que j’ai l’impression qu’ils ont survécu et moi, non.

Le 27 septembre je me suis éveillé à 5h10 du matin dans mon appartement en Turquie , suffocant et assoiffé.

J’étais mal à l’aise sans raison apparente. J’ai pris mon téléphone pour lire les dernières nouvelles de Gaza. J’ai vu un message sur le groupe d’échange de nouvelles de ma ville à Gaza, disant qu’une frappe aérienne israélienne avait visé la maison de ma famille.

J’ai envoyé un texto à mon frère, Abood, mais le message n’est pas passé. Un peu plus tard, ma mère, qui vit maintenant près de moi en Turquie, a appelé. Sa voix tremblait de peur quand elle m’a demandé si j’avais entendu les nouvelles. Je suis sorti tout de suite de mon appartement pour me précipiter chez elle.

J’avais le cœur glacé et un poids sur la poitrine. Je refusais de croire que mon pire cauchemar durant le génocide à Gaza était devenu réalité, mais le sentiment de suffocation ne s’en allait pas.

En chemin, j’ai appelé un ami à Gaza. Ensemble, nous avons réussi à joindre ma sœur, Sarah. Cette petite victoire m’a donné l’espoir que ma famille avait survécu. 

Mais peu après Sarah m’a dit qu’Abood, sa femme qui s’appelait aussi Sarah, et leurs deux filles, Houda et Zainab avaient été tués. La frappe aérienne avait aussi tué ma sœur Ghalia, son mari Yousef et leurs filles, Mariam et Zainab, de même que mon beau-frère, le Dr Khaled. 

Ma sœur Mariam et deux de ses cinq enfants ont été blessés. 

Le missile n’a pas seulement détruit les murs, les portes et les sols dans lesquels j’ai grandi. C’était comme s’il anéantissait aussi les souvenirs qui vivaient en eux. 

J’ai vécu des pertes immenses au cours du génocide à Gaza, mais c’est différent quand une frappe aérienne touche sa propre maison. Quelque chose de plus profond vous est pris lorsque le lieu qui a contribué à faire ce que vous êtes est détruit. 

Le missile n’a pas seulement détruit les murs, les portes et les sols dans lesquels j’ai grandi. C’était comme s’il anéantissait aussi les souvenirs qui vivaient en eux – que je partageais avec les membres aimés de ma famille dans cet espace. 

Une vague d’affliction m’a envahi, laissant un trou de douleur dans ma poitrine.

Je me sens impuissant et coupable. La nuit précédant la frappe aérienne sur notre maison, ma sœur m’avait envoyé une liste de 24 membres de la famille dont elle espérait que je pouvais aider à l’évacuation.

En faisaient partie mes frères et sœurs survivants, mes neveux et nièces. Ils étaient excités à l’idée d’être sauvés du génocide, de vivre sans peur ni destructions, de coucher leurs enfants sans se demander s’ils survivraient à la nuit. Tout cet espoir s’est évanoui en un seul instant. 

La force d’Abood

La mort de mon frère Abood m’a particulièrement fait mal. Dns notre famille, il était connu comme Baba Abood, ou « Père Abood », parce qu’il jouait un grand rôle pour maintenir ensemble notre famille à Gaza à travers le génocide.

Lorsque la famine s’est intensifiée, il sortait à la recherche de nourriture. Lorsqu’il n’y avait plus d’eau, il en trouvait encore. Il réparait ce qui se cassait, était débrouillard, habile pour circuler dans des conditions impossibles.

Le 26 septembre, il m’a envoyé un rapport médical montrant qu’l avait un problème à l’épaule, espérant que cela appuierait sa demande d’évacuation.

Mais un officier israélien avait un autre projet pour lui. Sa tête et un pied ont été sectionnés

À 4h15 du matin, un missile a été tiré sur notre maison, touchant l’appartement d’Abood en haut et celui de mes parents, en bas. Neuf membres de ma famille proche ont été tués. 

Abood tenait sa fille Zainab (Zozo) dans les bras quand son corps a été déchiqueté. Zozo a eu un bras arraché à son corps.

Le missile a aussi déchiré les corps de Houda et de Sarah et les sauveteurs ont trouvé des parties du corps de Sarah des dizaines de mètres plus loin sur un toit du voisinage. 

Ma sœur Ghalia, ses deux filles et son mari ont aussi été taillés en pièces et brûlés. Un voisin a posté ceci sur les réseaux sociaux : « Vérifiez les toits de vos maisons. Il pourrait y avoir d’autres restes quand le jour se lèvera ». 

Une famille détruite

Le corps de mon beau-frère, le Dr Khaled, pédiatre entré récemment en master, était étendu le long du mur de ce qui était ma chambre.

C’était devenu la pièce pour lui et sa famille depuis qu’ils avaient perdu leur maison, antérieurement au cours du génocide. Un shrapnel du missile l’a atteint par derrière alors qu’il révisait ses diapos médicales, et l’a tué sur le coup.  

La veille du jour où il a été tué, il était resté tard au travail pour l’UNWRA, (l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient), où il distribuait des médicaments à des écoles transformées en abris. Il était fier d’avoir donné tout ce qu’il avait comme médicaments. Ses patients l’aimaient pour son professionnalisme, son comportement auprès des malades et la profondeur de son savoir.

Ma sœur Mariam dormait près de lui sur le sol. Elle s’est évanouie et a été tirée de dessous les décombres, avec une blessure à l’œil et un bras cassé. Elle est encore en rétablissement. Ses deux jumeaux, Rakan et Kenan ont souffert de blessures mineures.

Ma famille est encore sous le choc. Nous n’avions jamais imaginé que l’armée israélienne ciblerait notre maison sans avertissement. Et lorsque le missile a frappé, mon frère Ismaïl s’est réveillé en pensant qu’il avait frappé une maison voisine. Même quand les voisins lui ont dit que c’était la nôtre, il lui a fallu plusieurs minutes pour saisir la vérité.

Les frappes aériennes font souvent plus de bruit aux oreilles de ceux qui en sont éloignés qu’aux personnes qui sont dans la maison visée et beaucoup de familles à Gaza ont dit avoir fait la même confusion avant de réaliser qu’il s’agissait de leur propre maison.

Notre maison était connue pour être remplie de frères et sœurs et de petits enfants. Ce n’est plus le cas. 

Depuis l’attaque, les membres survivants de ma famille ont été occupés à réparer ce qu’ils pouvaient dans notre maison pour pouvoir y retourner. « C’est mieux que de vivre sous une tente », disent-ils. 

Mais maintenant ils doivent vivre dans une maison qui est devenue le cimetière de mes frères et sœurs, de leurs conjoint.e.s et de leurs enfants. Je ne veux même pas imaginer ce que cela veut dire pour eux. À Gaza, les gens sont constamment obligés de choisir entre deux mauvaises options.

Un autre monde

Depuis le début du génocide, j’ai perdu 16 membres de ma famille proche.

La plupart du temps, j’ai le sentiment que ceux qui ont été tués sont les véritables survivants, tandis que nous qui restons sommes les porteurs d’une douleur envahissante sans fin. Ma culpabilité de ne pas avoir sauvé mes êtres chers augmente de jour en jour et je me dis que les Palestiniens de Gaza, en tant que communauté, appelés « survivants », ne seront plus jamais les mêmes.

J’imagine ma famille vivant en un lieu où nous célébrons sa vie plutôt que son souvenir.

L’oppression dans ma poitrine grossit avec chaque jour qui passe. L’ensemble du génocide semble irréel. Pour atténuer la douleur et essayer de m’échapper de cette réalité, j’imagine que je n’ai jamais vécu à Gaza et que cette Gaza qui m’a formé, cette Gaza qui n’est plus, n’a jamais existé.

Dans ce monde, j’imagine ma famille vivant en un lieu où nous célébrons sa vie plutôt que son souvenir. Dans ce monde, mes neveux grandiraient en paix et on n’aurait pas à ramasser ni leurs têtes ni leurs bras quelques mètres plus loin.

Dans ce monde, le Dr Khaled aurait achevé un autre master en pédiatrie. Abood aurait chanté pour notre famille et quitté Gaza, comme il l’avait toujours voulu. Houda et Zozo auraient rencontré mon nouveau-né. Mariam et Zeinab auraient essayé de nouveaux habits au lieu d’être brûlées dans les leurs.

Dans ce monde, il n’y a pas de génocide, et aucun dirigeant politique ne met en doute le droit des Palestiniens à la vie.

Peut-être un jour construirons ce monde ensemble.

Les opinions exprimées dans cet article son celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Yousef Aljamal prépare un MA au département d’études internationales et stratégiques et mène des recherches dans le programme malaysien d’études sur le Moyen Orient à l’université de Malaya

  • Photo : Une des nièces de l’auteur, photographiée à Gaza en décembre 2023 avant d’être tuée lors d’une frappe aérienne israélienne sur la maison familiale le 27 septembre 2025 (source : fournie).