En partant des décombres : des victimes collatérales non comptabilisées ? Les effets à long terme de la dernière guerre d’Israël sur la santé de la prochaine génération à Gaza

Une réponse par Paola Manduca à l’article « Nous sommes tous médecins : un médecin palestinien écrit à un collègue israélien », par Izzeldin Abuelaish publié dans BMJ 349 (The British Medical Journal) le 13 août 2014.

La lettre du Dr. Izzeldin Abuelaish le 13 août souligne la question du dommage collatéral des attaques israéliennes sur Gaza, dans le passé et aujourd’hui.

Je commente ici d’autres dommages « collatéraux » de la guerre, d’ordinaire non comptabilisés, ceux des victimes de la guerre « in utero ».

Les dernières attaques ont dévasté Gaza, réduisant de vastes zones à des décombres, indiquant que les armes ont été utilisées en plus grand nombre que jamais auparavant. Or, nous avons des preuves de l’effet des résidus d’armes métalliques provoquant des dommages collatéraux sur la, voire les, prochaine(s) génération(s).

Nous avons identifié en résultats finaux mesurables la contamination par des résidus de guerre de la santé en matière de reproduction, la prématurité et les malformations structurales. Des données générales sur leur incidence sont disponibles et permettront des comparaisons temporelles.

Visualisez la destruction par des armes lourdes, le nivellement de structures [entières], des grands cratères, imaginez les débris pulvérisés flottant dans le vent, et pensez que les bombes apportent des produits toxiques et tératogènes, que le ciment contient d’autres produits toxiques et ce mélange vole au vent, s’introduit dans les maisons, les écoles, partout, y inclus les poumons, la nourriture en vente et les champs. On saura aussi bientôt quelles bombes à pénétration, et combien, ont été utilisées dans chaque zone, avec un potentiel de contamination radioactive par des isotopes de l’uranium. Voici ce qu’est Gaza aujourd’hui, dans de nombreuses zones.

Les décombres contenant des résidus de guerre sont une des sources permanentes de contamination qui persistent après la guerre, et des produits toxiques et des tératogènes stables dans l’environnement, comme les métaux, sont associés à l’armement (1, 2). Ces contaminants, une fois consommés par les mères qui ont été exposées au bombardement et au phosphore blanc (3) sont spécifiquement associés, comme on l’a découvert, respectivement avec des bébés prématurés et des bébés malformés, qui ont été contaminés in utero (avant la naissance, 4).

L’incidence des malformations à Gaza a augmenté par rapport à 1997, régulièrement depuis la première utilisation des attaques militaires par sol et air sur Gaza lors de la deuxième intifada (5). Après l’opération Plomb durci, alors qu’y ont été utilisées des munitions moins nombreuses et des bombes moins lourdes que depuis juillet 2014, et que s’est produite une destruction moins étendue, les contaminants étaient dans les corps des mères et sont passés dans les embryons et les foetus, même ceux conçus deux ans après les attaques (3).

En résumé, nous savons déjà que les attaques militaires vont surement avoir un effet environnemental sur la santé de ceux qui ne sont pas encore nés, et même de ceux qui ne sont pas encore conçus, pour un temps prolongé.

Donc il y a toutes les raisons de s’attendre à des dommages sur la santé génésique causés par les attaques étendues de juillet et d’août, plus sérieuses mêmes que les précédentes.

Nous avons maintenant besoin de surveiller et de mesurer les conséquences des attaques sur la survivance et la santé des enfants qui ne sont pas encore nés ou qui viennent de naître à Gaza afin d’être capables d’identifier les événements liés ou non à la guerre et de comptabiliser les « victimes in utero ».

À Gaza, l’incidence de la prématurité a augmenté dans les trois dernières années (6) ; elle concernait autour de 4, 8% des 60000 nouveaux-nés de 2011 (soit à peu près 2880 bébés par an). Juste avant la guerre, dans l’unité de soin intensif néonatal de l’hôpital al Shifa, environ 30% des prématurés mourraient (soit environ 860 morts par an). La prématurité est associée à la contamination spécifique in utero de l’enfant par des métaux, qui font aussi partie des composants des armes (4).

Dès le début d’août 2014, on a constaté une augmentation des naissances prématurées de 15-20% à al Shifa. Bien sûr, il y a des raisons physiologiques et psychologiques pour expliquer que cela puisse se produire à cause du stress important dû aux attaques, mais il est aussi vrai que les contaminants susceptibles d’agir comme des toxines chez la mère après leur absorption par la respiration peuvent contribuer à cette augmentation. L’augmentation dans l’incidence de la prématurité peut devenir dans le temps un fardeau mesurable. Nous devrions déterminer si cette composante, c’est-à-dire la contamination liée à la guerre, a un impact numérique et est pertinent qualitativement. Cela peut être fait,. Donc la première action, immédiatement, doit être de faire l’enregistrement, la recherche et l’analyse appropriés. Apprendre les causes de prématurité est important du point de vue de la santé publique, et dans la perspective de stratégies de réparation ; cela doit aussi nous dire si nous devons commencer à comptabiliser la perte de ces enfants comme des « victimes de la guerre in utero ».

L’apparition de malformations structurelles majeures, souvent sévèrement invalidantes et déterminant des contraintes familiales et sociales sérieuses, a été associée, on l’a montré, à l’exposition à la guerre (3), et plus spécifiquement à la contamination de l’utérus par des composantes d’armes (4). L’incidence des malformations a augmenté régulièrement, en comparaison avec la période 1997-2001, depuis l’usage aérien d’armes par l’IOF (les forces militaires israéliennes) à Gaza et de manière significative depuis 2004 (5) atteignant en 2011 une valeur de 2,5% (3, 7), similaire à celui de pays hautement industrialisés, alors qu’aucune industrie à impact chimique de quelque taille qu’elle soit n’est installée dans la région. Nous nous attendons à ce qu’il y ait une nouvelle augmentation de malformations de naissance pendant un certain temps après ces attaques récentes.

Ce que nous ne savons pas est l’étendue des augmentations prévues de naissances prématurées et malformées immédiatement après l’exposition et par la suite, et pour combien de temps elles peuvent se produire. Des ressources doivent être allouées pour étudier ces questions.

Le coût d’une mort périnatale et des handicaps chroniques chez les enfants représente un autre « dommage collatéral » et ceux-ci peuvent être considérés comme des « victimes in utero » qui devraient être pris en compte.

En écrivant « An open letter for the people in Gaza » (« Une lettre ouverte pour le peuple de Gaza« , 8) voici quelques-unes des préoccupations que j’avais à l’esprit, que j’ai détaillées ici, et des responsabilités pour les dommages à long terme sur les civils et des formes de punition collective que nous avons stigmatisés.

Et finalement : notre compréhension actuelle des effets environnements négatifs sur les organismes, même s’ils n’impliquent pas nécessairement des changements génétiques, indique une possibilité que ces changements puissent être transmis également à la deuxième et à la troisième générations.