Aucun mot ne peut mieux décrire la réalité à Gaza aujourd’hui que ceci : nous mourons.

Aucun mot ne peut mieux décrire la réalité à Gaza aujourd’hui que ceci : nous mourons. Chaque jour, de toutes les façons imaginables, nous mourons. La mort vient par missile, par balle, par effondrement d’immeuble, par manque de médicaments et par peur. Et maintenant, une fois de plus, elle va venir par la faim puisque Israël a fermé les approvisionnements humanitaires — avec non seulement l’accord de l’administration Trump, mais aussi l’appui tacite des peuples des États-Unis et de l’Europe qui ont élu des gouvernements indifférents à la primauté du droit et à l’arrêt des atrocités.
Les responsabilités sont nombreuses pour les petits corps gaspillés que l’on reverra bientôt sur les écrans de télévision occidentaux.
Le premier ministre israélien Benjamin Netanyahou et le président Trump se sont rencontrés de nouveau ce mois-ci, décidant depuis leurs positions de pouvoir et de confort du sort de personnes qu’ils ne rencontreront jamais. Dans leurs décisions, les enfants de Gaza sont réduits à quantités négligeables. Les mères, les pères et les familles entières sont des pions sur un échiquier, jetables.
Avant, nos cuisines avaient une odeur familière — épices chaudes, huile d’olive, pain cuit en début d’après-midi. Maintenant, elles ne sentent plus rien. Juste les boîtes de conserve en métal et les produits secs quelconques que nous parvenons à récupérer. Les stocks qui ont pu affluer en quantité pendant le cessez-le-feu “sont pratiquement épuisés”, selon John Whyte, de l’agence de secours des Nations Unies pour les Palestiniens. Depuis six semaines, aucune aide n’est entrée à Gaza, en raison du blocus israélien en cours. Le Programme Alimentaire Mondial des Nations Unies a déclaré vendredi être à cours de nourriture à Gaza. Plus de 2,1 millions de personnes sont prises au piège, bombardées et affamées.
Lorsque nous parvenons à manger, c’est seulement pour survivre, pas pour être rassasiés. Pas pour ressentir de la joie. Des enfants font la queue pour des repas de charité, sacs plastiques à la main. Des mères s’effondrent en essayant de calmer les cris affamés de leur bébé. Des pères fixent le sol, honteux de ne pouvoir subvenir aux besoins de leur famille. Nous essayons de transformer presque rien en quelque chose, mais même l’imagination est fatiguée.
Les fruits, les légumes, la viande, ne sont plus que des souvenirs. Par le passé, même assiégés, nous partagions le peu que nous avions. Mais cette fois, c’est différent. Nos étagères sont vides.
Comment en est-on arrivé là ? Comment le monde est-il arrivé au point où la famine, sous forme de punition collective, est mise à profit pour façonner les termes d’un cessez-le-feu ?
Ce n’est pas une conséquence de la guerre. C’est une stratégie. Un effort israélien délibéré et systématique — avec l’accord des occidentaux — pour faire de la faim une forme de contrôle. Une façon de transformer un peuple en une population trop affaiblie pour résister à l’oppression. Ce n’est pas du rationnement. C’est de l’élimination.
Et pourtant, nous nous rappelons qui nous sommes. Nous nous souvenons de 1948, lorsque nos grands-parents ont été forcés de quitter leurs maisons. Nous nous souvenons de 1967, lorsque nous avons été déracinés à nouveau. À chaque chapitre, nous nous sommes accrochés à la terre, plantés dans son sol. Mais cette fois, Israël a aussi pris les champs. Israël s’est emparé de l’eau, des semences et des mains qui les cultivaient autrefois. Selon le groupe de défense des droits de l’homme Al-Haq, plus de 70% de la bande de Gaza est désormais inaccessible à ses habitants, et des rapports indiquent qu’Israël s’est emparé de plus de 37% des terres.
Et pourtant, comment le sauriez-vous ? On me dit que CNN ne parle plus que rarement de nous. Les habitants de Gaza n’apparaissent pas dans les actualités brûlantes. Nous sommes rendus invisibles par les décisions éditoriales de gens qui trouvent notre vie trop politique, trop gênante — et dont le public a accepté la banalisation de nos souffrances.
Avez-vous vu une mère partager un seul morceau de pain entre cinq enfants ? Avez-vous entendu parler de l’enfant qui est mort ébouillanté après avoir été renversé dans une marmite de nourriture alors qu’une foule se bousculait pour un repas? Les histoires semblent irréelles, mais elles ne le sont pas.
Même ma chatte est affamée, et je ne sais pas comment l’aider. Mais certaines personnes peuvent regarder des communautés entières mourir de faim et ne rien ressentir.
Les mêmes nations qui parlent des droits de l’homme dans les conférences de presse restent silencieuses lorsque ces droits sont bafoués à Gaza. Même lorsque l’Afrique du Sud a porté l’accusation de génocide devant la Cour internationale de Justice, la Cour a répondu prudemment – non pas un jugement, une simple demande : cessez de bombarder des civils, laissez entrer l’aide. Même cela a été ignoré. Les bombes sont tombées quand même. L’aide a été bloquée. La demande a été étouffée par les alliés d’Israël — la France, l’Allemagne, les États-Unis — exhortant le tribunal à ne pas prononcer le mot de “génocide”. Comme si le langage pouvait cacher les corps.
Il ne s’agit pas seulement de Gaza. Il s’agit de l’effondrement de l’idée même de justice. Si la loi s’incline devant le pouvoir, que reste-t-il à ceux qui n’en ont pas ?
Les gens doivent choisir l’héritage qu’ils veulent laisser derrière eux. S’agira-t-il d’un silence face à la famine et aux exactions israéliennes ? Ou d’un héritage courageux, où la justice n’est pas que rhétorique ?
Nous n’avons pas besoin de pitié. Nous n’avons pas besoin de sympathie. Nous avons besoin de droits. Nous avons besoin de nourriture. Nous avons besoin de sécurité. Un cessez-le-feu n’est qu’un début. Le siège, l’apartheid, les déplacements multiples, ne sont pas des notes de bas de page. Ils sont l’histoire.
Et un jour, lorsque cela sera terminé — lorsque l’horreur apparaîtra au grand jour —, on demandera au monde : comment avez-vous laissé faire cela ?
Nour Khalil AbuShammala est un avocat stagiaire palestinien et défenseur des droits de l’homme basé dans la ville de Gaza.
- Photo : (alt : Une femme en deuil s’agrippe au cadavre d’un être cher) Un certain nombre de Palestiniens, dont des enfants, auraient été tués lundi lors d’une attaque israélienne. (Ali Jadallah / Anadolu / Getty Images)