En défense d’Ilana Feldman et des sympathisants de BDS

Quand Ilana Feldman a été nommée le mois dernier doyenne par intérim de l’École des relations internationales Elliott [Elliott School of International Affairs, ESIA] à l’université George Washington (GWU), c’était….

Quand Ilana Feldman a été nommée le mois dernier doyenne par intérim de l’École des relations internationales Elliott [Elliott School of International Affairs, ESIA] à l’université George Washington (GWU), c’était un choix évident. Feldman est une universitaire très respectée qui a déjà été vice-doyenne, sans aucune plainte sur son travail. Mais l’affaire est devenue rapidement ce qui est probablement la nomination la plus largement contestée d’un doyen par intérim dans toute l’histoire de l’enseignement supérieur, et ceci pour une seule raison : Feldman soutient le mouvement de Boycott, désinvestissement et sanctions (BDS) contre le gouvernement israélien.

Une pétition de « GW pour Israël » signée par près de 3000 personnes a appelé GWU à annuler la nomination de Feldman. Des groupes d’étudiants et des organisations nationales pro-Israël se sont mobilisés pour dénoncer la nomination de Feldman, et des intellectuels conservateurs, bien connus pour décrier la perte de la libre pensée sur les campus, ont fait des pirouettes mentales pour essayer d’expliquer pourquoi Feldman devrait partir. Finalement, GWU s’est senti contraint à rendre publique une dénonciation des opinions politiques de sa doyenne par intérim.

La pétition de « GW pour Israël » se concluait par la demande que GWU « choisisse un candidat plus approprié comme doyen permanent de l’ESIA ». C’était le véritable objectif de cette campagne : empêcher Feldman d’être prise en considération pour la position de doyen. Et cela a réussi.

M. Brian Blake, provost et vice-président des affaires académiques, a annoncé en mai dans un courrier électronique à la communauté universitaire : « Dr. Feldman ne sera pas candidate à la position permanente ». Cela a poussé les opposants de Feldman à célébrer leur succès dans sa mise sur liste noire.

Le Forum pour le Moyen-Orient, de droite, a déclaré que la décision était « due à la pression de donateurs scandalisés et, peut-être, à la crainte de répercussions après des violations possibles de l’article VI de la loi sur les droits civiques… ».

Ce n’était pas une vaine menace. L’administration de Trump en décembre 2019 a annoncé par décret que toute critique virulente d’Israël était officiellement une forme d’antisémitisme que les établissements d’enseignement supérieur doivent censurer afin d’éviter toute violation de l’article VI.

Cela montre le grave danger de définir des opinions politiques comme s’ils étaient des harcèlements discriminatoires.

C’était l’argument des étudiants conservateurs qui ont demandé le départ de Feldman. Le président des « Jeunes Américains pour la liberté » de GW, Zev Siegfeld, a dit que recruter une sympathisante de BDS comme doyenne montre « à quel point GW se soucie peu des étudiants juifs ». Selon Siegfeld : « Promouvoir quelqu’un qui soutient un mouvement vilipendant la patrie juive et boycottant les institutions universitaires montre l’indifférence de GW vis-à-vis de sa population juive ».

Mais si vous devez montrer que vous vous souciez des étudiants juifs en bannissant les critiques du gouvernement israélien, cela signifie-t-il que les universités doivent montrer qu’elles se soucient des étudiants noirs en bannissant les critiques du gouvernement de Barack Obama ? Ou en bannissant quiconque soutient le suprémaciste blanc Donald Trump ? C’est un monde étrange que celui dans lequel le licenciement d’une personne juive est réclamé en signe de soutien pour les étudiants juifs.

La désignation de Feldman a même vu des conservateurs, qui conspuent d’habitude la « police de la pensée » sur les campus, en train de pratiquer une gymnastique intellectuelle pour justifier l’attaque contre une doyenne à cause de ses opinions politiques.

David Bernstein, directeur général du Centre Liberté et Loi de l’université George Mason, situé à droite, a appelé au retrait de Feldman dans Reason, lançant une attaque vraiment choquante contre la liberté académique. Bernstein a demandé : « est-ce qu’être une sympathisante des boycotts académiques d’Israël est cohérent avec le fait d’occuper une position administrative comme celle de doyenne ? ».

Cela veut-il dire que Bernstein devrait être renvoyé de sa position administrative ? Selon sa propre logique, oui, puisque son soutien pour la répression de la liberté académique dans ce cas est incompatible avec le fait d’être un des principaux administrateurs d’un programme consacré à la liberté intellectuelle.

Heureusement, sa logique est complètement fausse. Selon Bernstein, « presque toutes les universités s’opposent aux boycotts universitaires d’Israël. Je suis assez sûr que GW figure parmi ces institutions qui ont publiquement pris cette position officiellement. Si c’est le cas, l’université ne devrait pas recruter dans des positions administratives des universitaires qui se sont publiquement consacrés à la position opposée. »

Selon William Jacobson de Legal Insurrection « Il n’est absolument pas possible de s’attendre à ce que Feldmann respecte la politique anti-BDS de GWU. Ce serait demander à Feldman de renier qui elle est, d’être une imposteuse dans cet emploi. Accepter de telles restrictions serait pour Feldman admettre que l’œuvre de sa vie était une fraude, qu’elle ne pensait pas vraiment toutes les choses qu’elle a dites sur la nécessité de boycotter. »

Oh, quelle stupidité. Avec cette logique, quiconque croirait à quoi que ce soit de controversé ne peut être autorisé à être un adminsitrateur. C’est évidemment faux et moralement indéfendable.

Jacobson a écrit : « Il y a une leçon que GWU et d’autres universités doivent tirer de cet épisode. Vous pouvez avoir la liberté académique, ou vous pouvez avoir un doyen pro-BDS, mais vous ne pouvez pas avoir les deux ». Cette attaque orwellienne contre la liberté académique au nom de la liberté académique est un signe de l’ampleur de l’attaque contre BDS.

Ironiquement, Jacobson lui-même a été confronté à des appels à l’université Cornell pour le punir de ses opinions. Quand Cornell a défendu sa liberté académique, alors même que son doyen critiquait les opinions de Jacobson, Bernstein s’est précipité pour dénoncer cette opinion parce qu’« une école de droit qui n’a pas d’affiliation religieuse n’est pas censée avoir ‘un point de vue’ sur une quelconque question d’intérêt public qui ne soit pas directement liée au fonctionnement de l’école de droit ».

Selon l’opinion de Bernstein, les établissements d’enseignement supérieur ne devraient avoir aucun point de vue politique, mais les sympathisants de BDS devraient être bannis parce qu’ils violent le point de vue politique de l’établissement.

Quand j’ai commenté l’article de Bernstein, il a répondu ainsi : « Quelle partie de l’engagement qu’elle a non seulement signé, mais co-parrainé, avez-vous raté : ‘Nous nous engageons à ne pas collaborer à des projets et à des événements impliquant des institutions universitaires israéliennes, à ne pas enseigner ou assister à des conférences ou à d’autres événements dans ces institutions et à ne pas publier dans des revues scientifiques basées en Israël’ » ?

C’est un argument très inquiétant, puisque Bernstein suppose que quiconque fait une promesse ou prend un engagement personnels imposera donc cet engagement à l’institution pour laquelle cette personne travaille. Si une personne croyante s’engage à promouvoir ses valeurs religieuses, devra-t-elle être bannie de toute position administrative selon l’hypothèse qu’un doyen se servirait de son rôle pour imposer sa religion sur tout le monde ?

Ce qui est aussi inquiétant est l’hypothèse que seuls les enseignants devraient avoir la liberté académique et que les positions adminsitratives devraient être accompagnées d’une camisole de force qui empêche quiconque avec des opinions polémiques d’être engagé. Ceci est parfois justifié par le « pouvoir » que les administrateurs possèdent pour imposer leurs opinions. Mais les administrateurs ont rarement le pouvoir unilatéral d’imposer leurs idées et les enseignants ont beaucoup de pouvoir, également — du pouvoir sur les étudiants dans la classe, du pouvoir pour influencer le recrutement et la promotion du personnel enseignant, et de beaucoup d’autres façons. Dès que vous supposez qu’avoir du pouvoir vous rend trop dangereux pour que vous ayez des idées polémiques, toute liberté académique est mise en danger.

Les conservateurs veulent-ils vraiment que ceci soit le standard pour recruter des administrateurs, où toute déviation personnelle de l’orthodoxie du campus serve de justification pour être banni de toute position administrative ? Après tout, les établissement d’enseignement supérieur ont souvent des politiques en faveur de la diversité, des programmes d’actions positives, ou en faveur des étudiants sans papier bénéficiant d’un sursis d’expulsion, de certains programmes d’études et de beaucoup d’autres positions contraires aux convictions de beaucoup de conservateurs. Est-ce que les conservateurs soutiennent le fait de bannir les conservateurs des positions administratives pour les mêmes motifs qu’ils utilisent pour demander à ce que les sympathisants de BDS soient bannis ?

Jonathan Marks dans Commentary s’est joint aux efforts pour chasser Feldman, mais il a admis l’embarrassante conclusion logique de sa position : « Je n’aimerais pas la voir devenir un principe général selon lequel les individus dont les opinions publiques contredisent la mission de l’établissement doivent nécessairement désavouer ces opinions avant d’accepter une position administrative. Pas plus que je ne voudrais voir des sympathisants de BDS formellement exclus de positions universitaires de direction. » Bien sûr, c’est exactement ce qui est arrivé à GWU et ce que les critiques de Feldman ont demandé. Selon Marks : « Particulièrement à la lumière des récentes inquiétudes sur l’antisémitisme à l’université George Washington, ce n’est juste pas suffisant. Pour les étudiants juifs qui se sont exposés pour identifier le problème, c’est une gifle. »

Si recruter quelqu’un qui critique Israël est une « gifle » aux étudiants juifs, alors en quoi dénoncer simplement BDS encore une fois les dé-giflerait ?

Marks sait que demander aux administrateurs d’être d’accord avec toutes les politiques de leurs institutions est une idée épouvantable qui serait contraire à la fois à la liberté académique et à l’avenir des administrateurs conservateurs. Mais parce qu’il déteste BDS, il pense qu’une petite hypocrisie ne peut pas faire de mal, juste pour cette occasion.

Cela me rappelle la défense du mccarthyisme par Sidney Hook : Heresy Yes, Conspiracy No [l’hérésie oui, la conspiration non] qui appelait à licencier tous les communistes sur la base de la liberté académique — puisque les communistes ne pouvaient pas penser par eux-mêmes et devaient obéir au parti communiste et qu’ils avaient donc sacrifié leur propre liberté académique, qui était essentielle pour être un universitaire. Les critiques de BDS imaginent la même chose à propos de tous les sympathisants de BDS, à savoir qu’en soutenant cette idée ils sont obligés d’imposer une sorte de dogme BDS sur leur campus.

Les attaques contre BDS sont le nouveau mccarthyisme sur les campus. Un étudiant de l’université de Californie du Sud, Gabi Golenberg, a même écrit une colonne sur Feldman pour le Jewish News Syndicate intitulée : « La nécessité d’éjecter BDS des campus universitaires ».

Je suis en total désaccord avec le mouvement BDS, mais je défends le droit des gens de penser par eux-mêmes. La réponse correcte quand vous êtes en désaccord avec quelqu’un est d’argumenter avec eux, pas de les bannir. Je suis d’accord avec l’AAUP qui s’oppose à tous les boycotts universitaires mais défend les droits de sympathisants de BDS.

Ce qui est arrivé à Feldman fait partie d’un courant inquiétant qui se répand dans toute l’université, depuis les listes noires contre les administrateurs dirigeants qui soutiennent BDS jusqu’aux puissants efforts utilisant l’action gouvernementale pour bannir les idées dissidentes.