Alors que les regards étaient braqués sur le conflit entre l’Etat hébreu et la République islamique, les extrémistes juifs ont multiplié les attaques contre les villages palestiniens. Mercredi, à Kafr Malik, l’armée israélienne a tué trois civils après « des jets de pierres ».

Sur son lit d’hôpital, Amir, 15 ans, esquisse un pâle sourire. La balle qu’il a reçue dans le dos est sortie de son épaule droite, lui éraflant la tempe au passage. L’adolescent, dont les parents ont préféré taire le nom de famille, a eu de la chance. Sous les fenêtres de sa chambre, trois corps sans vie sont sortis des ambulances. Murshed Hamayel, 35 ans, Mohamad Al-Naji, 21 ans, et Lotfi Baerat, 18 ans, ont été tués quelques heures plus tôt, mercredi 25 juin, lors d’un raid d’une violence inouïe mené par des colons juifs contre le village de Kafr Malik, situé à 17 kilomètres au nord-est de Ramallah, au centre de la Cisjordanie occupée. Venue sur place, l’armée a israélienne a tiré.
Huit autres blessés palestiniens ont été amenés avec Amir dans le même établissement peu avant minuit. Devant l’entrée des urgences, des hommes s’effondrent en pleurs. D’autres grimpent dans les ambulances pour caresser le visage d’un défunt. Les corps sont déjà enveloppés dans le drapeau palestinien. « Les colons se connectent sur WhatsApp avant d’attaquer, ce sont des monstres. A cause d’eux, deux jours avant, un de mes amis est mort », balbutie Amir Birat, 15 ans, en état de choc.



C’est précisément ce mercredi, jour des funérailles de Moataz Hamayel (un nom courant dans le village), 13 ans, tué lui aussi par un tir israélien, le 23 juin, que les assaillants juifs, très nombreux – plus d’une centaine selon les témoins – sont réapparus semant la terreur. « Ils sont arrivés vers 19 heures, 19 h 30, ils ont commencé à incendier des voitures et à s’en prendre à nos maisons, on a essayé de se défendre avec des pierres et nos mains, qu’est-ce qu’on pouvait faire d’autre ? », dit en soupirant Hamdi, 27 ans, allongé dans la même chambre qu’Amir, la jambe gauche touchée par un tir.
« Plus de différence entre un colon et un soldat »
A Kafr Malik, alors que s’organisent les funérailles des trois morts, prévues le lendemain, jeudi, comme le veut la tradition, les traces de l’attaque sont bien visibles. A l’extrémité du village juché sur une colline, devant le portail noirci d’une belle demeure, la carcasse d’un SUV fume encore. A côté, jetés à même le sol, un rideau et un matelas finissent de se consumer. L’odeur âcre prend à la gorge. Dans l’une des pièces du rez-de-chaussée, une large tache noire macule un mur. Un berceau est posé dans un coin, intact. « Ma femme allaitait notre petite dernière de 20 jours ; moi, j’étais encore aux funérailles, on a couru aussi vite qu’on pouvait, explique Bilal Hamayel, 43 ans. Mais les soldats étaient derrière les colons et ils ont commencé à tirer. » A quelques centaines de mètres en contrebas de son domicile, un véhicule militaire blindé est toujours là.
Visage en larmes, des femmes se sont regroupées un peu plus loin, dans la maison de Murshed Hamayel. « Il est mort, là, au pied de ce pilier, explique, la gorge nouée, Shireen Saïd, une cousine, en désignant le seuil de la maison. Il voulait fermer la porte. » Jusqu’au deuxième étage, les débris de verre des fenêtres brisées jonchent le sol. « Les colons lançaient des pierres et criaient en arabe “vengeance ! vengeance ! ”, je ne sais pas pourquoi », poursuit la jeune femme. Le même mot a été tagué, en hébreu, sur le mur d’enceinte de la maison de Bilal, avec le nom d’un colon de 17 ans, Nachman, tué deux ans auparavant au nord de Ramallah.


En cartes en 2024 | Article réservé à nos abonnés Cisjordanie : l’autre guerre d’Israël en cartes
A la mi-journée, sous une chaleur écrasante, l’émotion déborde. Les drapeaux de la Palestine et du Fatah, le principal parti de la Cisjordanie occupée, flottent partout dans les rues, bientôt envahies par des dizaines d’hommes courant derrière les corps des trois « martyrs », portés sur des civières par-dessus la foule. « Les colons sont maintenant au-dessus des lois (…) ; il n’y a plus de différence entre un colon et un soldat. Voici ce que le gouvernement israélien est devenu, un gouvernement de l’annexion et des exécutions », assène Abbas Zaki, membre du Comité central du Fatah.
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Sollicitée par Le Monde sur le drame de Kafr Malki, l’armée israélienne dit avoir voulu s’interposer entre les assaillants juifs et les habitants mais reconnaît avoir fait usage d’armes à feu, après avoir essuyé, affirme-t-elle, des « jets de pierre ». Or, les termes même qu’elle emploie soulignent la différence dans la manière dont elle traite les colons et les Palestiniens : les premiers sont désignés comme des « civils israéliens », les seconds comme des « terroristes ». L’armée n’a pas bronché non plus lorsque, mercredi, le même soir qu’à Kafr Malki, à quelques kilomètres à peine, des colons ont attaqué un modeste hameau bédouin au sortir de la localité chrétienne de Taybeh. Des voitures ont été incendiées. De l’essence a été répandue sur la fenêtre d’une chambre où se tenaient une mère et ses deux petites filles. « Ils nous avaient attaqués, il y a un an et demi, mais c’est la première fois qu’ils sont aussi violents », s’inquiète Souleimane Kaabnah.
Dépourvus d’abris ou de système d’alarme
La situation, déjà explosive en Cisjordanie, se dégrade encore. Tandis que le monde entier avait les yeux tournés vers la guerre entre Israël et l’Iran, les extrémistes juifs semblent avoir mis à profit cette période pour multiplier les exactions. Entre le 17 et le 23 juin, le Bureau des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA) a recensé 23 attaques de colons sur le territoire ayant fait des victimes et provoqué des dégâts matériels, « ou les deux ». Entre le 13 juin, jour du début de l’offensive de l’Etat hébreu contre la République islamique, et le 23 juin, date du cessez-le-feu, l’organisme onusien note également « au moins 32 incidents au cours desquels des soldats israéliens ont temporairement pris le contrôle de 240 maisons palestiniennes habitées ou inhabitées, expulsé ou détenu de force les résidents et utilisé leurs maisons comme avant-postes militaires et centres d’interrogatoire ».


« Ce n’est peut-être pas encore la mort de la solution à deux Etats [projet de règlement du conflit Israël-Palestine], mais c’est en bonne voie de l’être, on ne voit plus d’issue », constate Husam Shakhshir, le maire de Naplouse, dans son bureau. « Ici, poursuit-il, les Israéliens n’ont même pas besoin de faire la guerre, ils contrôlent déjà tout, ils font ce qu’ils veulent, ils ont libre accès à tout. »
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Dépourvus d’abris ou de système d’alarme, les habitants de cette grande ville du nord de la Cisjordanie ont donc observé, depuis le toit de leurs maisons, les missiles et drones iraniens passer au-dessus de leurs têtes avant d’être interceptés par la défense aérienne, avec un mélange d’amertume et de satisfaction. Certains ont applaudi. Des débris sont tombés sur le territoire sans faire de victimes.
L’extension inexorable des colonies
Le conflit israélo-iranien s’est surtout traduit par un nouveau tour de vis, lorsque la cité historique s’est retrouvée littéralement confinée : « Plus rien ne rentrait, plus rien ne sortait », témoigne Ayman Shakaa, un notable de la vieille ville, qui gère un centre d’action sociale. Naplouse, déjà cernée par sept checkpoints – auxquels s’ajoutent 130 postes de contrôle, barrières, routes bloquées au niveau du gouvernorat – s’est enfoncée un peu plus dans la paralysie économique.
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Rapidement, l’essence est venue à manquer. Les stations-service n’ouvrent plus que quelques heures par jour et limitent la délivrance de carburant, provoquant de longues files d’attente d’automobilistes. Les salaires des fonctionnaires, dépendants du reversement des taxes par l’Etat hébreu, se sont réduits comme peau de chagrin : 75 % il y a un mois, 35 % aujourd’hui. Les descentes brutales de l’armée et de la police israéliennes dans la vieille ville et dans le camp de Balata tout proche, le plus grand de Cisjordanie – 40 000 réfugiés sur 1 km2 – sont devenues encore plus fréquentes. Mais ce qui inquiète le plus le maire, qui étale devant lui une carte, c’est l’extension inexorable des colonies. « Vous voyez, nous sommes de plus en plus isolés, déplore-t-il. Et tout autour, les villages sont eux-mêmes encerclés. »
A mi-chemin entre Naplouse et Ramallah, la petite commune de Sinjil, qui borde la route 60, a vu sa situation changer dès avril. Une clôture métallique de 4 kilomètre de long et de 4 mètres de hauteur a été installée le long du seul point de passage encore ouvert – une barrière métallique jaune – sur les quatre existants. Depuis sa maison perchée en hauteur, Adel Fuqahaa a une vue imprenable sur le grillage : « Nous sommes en prison mais, au moins, cela nous protège des colons », dit-il, en confiant sans détour la peur grandissante qu’ils lui inspirent.
