Écouter les informations palestiniennes tous les matins est une torture

Fatma Sleiman, une enseignante du village de Tuqu au sud de la Cisjordanie, a été tuée jeudi dans un accident de voiture. Des témoins ont dit qu’un camion israélien avait….

Fatma Sleiman, une enseignante du village de Tuqu au sud de la Cisjordanie, a été tuée jeudi dans un accident de voiture. Des témoins ont dit qu’un camion israélien avait heurté sa voiture. Cela n’a pas été rapporté en Israël et ne fera certainement jamais l’objet d’une enquête comme collision suspecte de voitures. Même la couverture des media palestiniens a été maigre et des nouvelles sur les événements qui ont suivi sa mort n’ont été trouvées que sur Facebook et sur des sites locaux d’actualités. Plus d’éléments ci-après.

Écouter les informations palestiniennes tous les matins est une torture. Tout d’abord, le contenu dégonfle la bulle illusoire de normalité, le désir d’un peu de tranquillité, l’oubli que chaque bulle est environnée de barbelés. L’oubli des nombreux camps militaires, des barrages routiers où les soldats pointent leurs fusils directement sur vous, la prospérité des colonies, les avant-postes hostiles, les routes à plusieurs voies qui connectent Amona avec la Californie et qui réduisent les villages palestiniens à une architecture de blocs d’échoppes de réparation automobile, d’ateliers de couture, de stands de falafels enfumés alternant avec des maisons, des immeubles densément peuplés, des tas de voitures démontées, des villas kitsch qui ont l’air parachutées du Texas ou de Doha, et quelques belles constructions anciennes ou modestes des années 1950, couvertes de panneaux et de slogans défraîchis sur la libération de la Palestine.

Une deuxième raison pour laquelle les actualités sont une torture est qu’elles sont données de façon généralement laconique, dans le moule de formules toutes faites – seuls la date et le lieu variant. Il n’y a pas beaucoup d’initiative journalistique ici sur laquelle compter, juste les nombreux détails qu’on ne peut pas saisir au quotidien : L’armée d’occupation a arrêté 12 personnes en Cisjordanie et à Jérusalem, des colons ont envahi Al Aqsa, quatre jeunes hommes ont été blessés par des tirs de l’armée lors d’une confrontation sur le territoire du village, l’armée a attaqué les villages X et Y, un enfant a perdu un œil en recevant une grenade lacrymogène, le Président Mahmoud Abbas a pris un vol pour le Kazakhstan, l’occupation a exproprié 400 dounams (40 hectares) de terre agricole fertile pour revêtir une route de contournement pour les colons, des colons ont frappé des habitants dans leur verger.

Et cela continue comme ça : le passage de Rafah a été ouvert et 200 personnes ont quitté Gaza, 20 000 autres attendent leur tour. L’occupation a démoli une tente à Sousya et une maison à Koubar, un garçon de 15 ans a été tué par un tir de soldats à Al Boureij à Gaza et 38 personnes ont été blessées, un homme a démoli sa propre maison à Jérusalem pour ne pas avoir à payer de frais à la municipalité d’occupation. Le Président Mahmoud Abbas a dit que sans Gaza il n’y a pas d’État et qu’il n’y aura pas d’État seulement à Gaza, l’occupation a annoncé la construction de 200 logements dans la colonie de Gilo, la justice israélienne a permis aux autorités d’occupation de déporter/détruire/exproprier/arrêter, des soldats ont exécuté une jeune femme, prétendant qu’elle avait mené une attaque au couteau. Et ainsi de suite. Chaque jour, presque chaque bulletin d’information. Chaque station palestinienne d’actualités.

Ces nouvelles sont aussi une torture pour une troisième raison : elles ne parviennent même pas aux gens qui devraient les entendre – c’est à dire les Juifs israéliens. Ne serait-ce que pour les rassurer sur le fait que tout est sous leur contrôle. Théoriquement, ce devrait être notre tâche, la tâche des journalistes, de remplir les écrans et les pages de reportages sur ce que l’armée du peuple juif est en train de faire, tout le temps, sans pause.

Mais les media d’information aiment ce qui est nouveau et inhabituel. « Un juge militaire a, contrairement aux habitudes, libéré un prisonnier en détention administrative » ; « Pour la première fois en 38 ans, un dounam de terre appartenant à l’État dans la vallée du Jourdain a été rendu a la compétence d’un village palestinien » ; « Deux hyènes malades du zoo de Gaza ont reçu un permis de sortie pour un traitement médical de la part du coordinateur des activités gouvernementales dans les territoires ». Tout le reste ce sont des nouvelles qui se répètent et donc ce ne sont pas des nouvelles. Puis c’est le tour de Facebook qui ajoute le tourment à la torture avec des détails de son cru. Pour quiconque pense pouvoir éviter l’arabe, Tamar Goldschmidt de Jérusalem est là pour traduire, mot à mot, les reportages, notamment la traduction de ce qui s’est passé jeudi à Tuqu.

Au cours des dix dernières années, l’armée a fermé toutes les sorties de Tuqu. Seule une route secondaire conduit à la route principale, où l’amélioration n’est du ressort que d’Israël. Il n’y a pas de panneaux avertisseurs ni de feux de signalisation et « les colons conduisent à une vitesse folle, dit le reportage (bien que je me permette d’ajouter qu’ils ne sont pas le seuls dans ce cas). L’enseignante Sleiman a été tuée, l’enterrement a eu lieu jeudi. Des habitants ont imputé sa mort à l’occupation, aux routes dangereuses et aux Israéliens. L’enterrement a pris fin, les jeunes ont manifesté. Ils ont peut-être lancé des pierres ; quelle autre façon auraient-ils de dire aux suzerains israéliens qu’ils en ont assez ?

La police des frontières et l’armée ont arrêté un jeune, l’ont menotté, lui ont bandé les yeux avec un sous-vêtement blanc. Il est assis, penché en avant et menotté, au sol. Un soldat casqué pointe son arme vers lui. Une scène humiliante. Les jambes entravées, le jeune homme, un lycéen, s’est éloigné des soldats en titubant. Quel courage ! Un soldat l’abat. Quelle cruauté.

Une vidéo et des photos sur Facebook montrent le Palestinien blessé alors qu’un paramédic palestinien le soigne et qu’un autre soldat pointe son fusil vers une femme qui s’approche. Courageusement elle pousse le soldat armé et va vers le Palestinien blessé. Quel courage ! Un coup de feu en l’air. Un soldat vise avec son arme de poing, des habitants avancent néanmoins. Quel courage ! ils portent le Palestinien blessé vers la voiture qui va l’emmener se faire soigner. Les villageois lui souhaitent un prompt rétablissement.