Des stars de la science rejoignent les militants : un éminent professeur palestinien arrêté et relâché – à nouveau

Le professeur et astrophysicien Imad Al-Barghouti a été arrêté par les autorités israéliennes pour la deuxième fois en 15 mois.

Récemment, pour la deuxième fois en 15 mois->http://mondoweiss.net/2016/04/palestinian-astrophysicist-arrested-and-jailed-for-second-time-in-15-months/], l’éminent professeur et astrophysicien Imad Al-Barghouti a été arrêté par les autorités israéliennes. Barghouti, professeur de physique spatiale à l’université al-Qods, a été arrêté à un checkpoint de Cisjordanie alors qu’il rentrait chez lui. D’après la source d’informations [New Arab, Barghouti, « chercheur éminent, qui a fréquemment écrit dans les revues universitaires d’astrophysique », a précédemment travaillé pour la NASA. Dans ce qui apparaît maintenant comme la poursuite d’un jeu manipulatoire pratiqué par le gouvernement israélien, Barghouti a été arrêté, relâché, ré-arrêté, disculpé, et cependant non libéré comme cela aurait dû être le cas. Et même, après que le procureur qui a prononcé l’accusation initiale ait dit qu’il n’avait aucune preuve l’obligeant à garder Barghouti en détention, et alors que le tribunal militaire avait dit qu’il libérerait Barghouti, une nouvelle accusation pour « incitation » a été concoctée pour le garder en détention.

Barghouti n’a jamais été mis en accusation par le tribunal militaire. Sa détention administrative a été fondée sur une « information secrète » qui n’a jamais été révélée ni à lui, ni a son avocat. Ce système de détention administrative est en violation flagrante de la législation internationale. D’après la Quatrième Convention de Genève, une force occupante est dans l’obligation de protéger les droits fondamentaux de la population occupée. Ce que l’on soupçonne, c’est que les deux détentions étaient dues aux posts de Barghouti condamnant l’occupation israélienne sur Facebook. En réalité, depuis quelque temps, Israël surveille les comptes Facebook des Palestiniens, arrêtant des individus et fermant des comptes. L’inconsistance de cette affaire a été mise en évidence par son avocat.

Quelques jours auparavant, on a appris que Barghouti allait être libéré le 29 mai, suite à une énorme réaction internationale, traduite dans une Lettre Ouverte signée par 340 intellectuels et militants du monde entier, dont Angela Davis, Noam Chomsky et Judith Butler. Pourtant le même jour, Israël annonçait que cela ne se ferait pas. La libération autorisée par le tribunal militaire a été annulée.

Comme le rapporte l’Electronic Intifada :

Dimanche, le Club des Prisonniers Palestiniens a dit dans un communiqué que les forces d’occupation avaient annulé la libération attendue de Barghouti après que les procureurs militaires aient porté des accusations à propos de déclarations que le professeur de l’université d’Al-Qods aurait faites sur Facebook.

Jawad Boulos, avocat membre du Club des Prisonniers Palestiniens, a qualifié ce dernier coup d’Israël de « scandaleux ».

Boulos a dit que le procureur militaire israélien avait dit au juge militaire qu’il avait examiné le dossier de Barghouti et qu’il n’y avait pas de preuves suffisantes pour l’accuser.

C’est sur cette base que le procureur avait demandé au juge militaire de prolonger la détention administrative de Barghouti, ce que le tribunal militaire avait refusé de faire.

Boulos a dit que le cas de Barghouti « démontre à quiconque aurait encore besoin de preuves que toutes les procédures ‘juridiques’ instituées par les forces d’occupation… sont inconsistantes et truquées et ne prêtent aucune attention aux principes juridiques ».

Ceux qui s’activent pour assurer la libération de Barghouti multiplient leurs efforts, avec d’autant plus de volonté après cette dernière action flagrante d’intimidation et de harcèlement. Et ils doivent entraîner le cercle de plus en plus large de leurs soutiens. Ce qui est peut-être le plus significatif dans la liste des signataires, c’est la présence écrasante de flambeaux de la communauté scientifique internationale, que l’on n’associe habituellement pas à ceux qui manifestent contre le traitement des Palestiniens par l’État d’Israël. Parmi ceux qui signent le communiqué, on trouve l’éminent physicien Freeman Dyson de l’institut d’Etudes Avancées de Princeton, David Mumford, lauréat 1974 de la Médaille Fields (le « prix Nobel de Mathématiques »), et Chandler Davis, professeur émérite de mathématiques à l’université de Toronto.

La lettre, écrite conjointement par la Campagne Américaine pour le Boycot Académique et Culturel d’Israël (USACBI), Voix Juive pour la Paix, et l’organisation française AURDIP (Association des Universitaires pour le Respect du Droit International en Palestine), a été envoyée au premier ministre d’Israël Benjamin Netanyahu. Elle dit entre autres :

Nous vous écrivons pour vous exhorter à ordonner la libération immédiate du Dr. Imad Ahmad Barghouti de sa détention dans une prison militaire israélienne.

Dr. Barghouti, Palestinien résident de Cisjordanie, est astrophysicien et professeur de Physique à l’université Al-Qods de Jérusalem. On dit qu’il a été arrêté par des soldats israéliens le 24 avril 2016 au checkpoint militaire de Nabi Saleh en Cisjordanie, au nord-ouest de Ramallah. Le Times d’Israël a raconté que « ni les forces de défense israéliennes, ni la police israélienne ne voulaient évoquer cette affaire, et il est toujours difficile de savoir quelle branche des forces de sécurité israéliennes est responsable de son arrestation. » Le Centre d’Information de Palestine a dit que, le 2 mai 2016, « Un tribunal israélien… a émis un ordre de détention administrative contre le professeur Barghouti ». Le professeur Barghouti est détenu sans charges, grave violation des droits de l’Homme.

Comme il est raconté dans la revue Nature, le professeur Barghouti avait précédemment été arrêté sans charges le 6 décembre 2014 par la police des frontières israélienne alors qu’il tentait de passer la frontière entre la Cisjordanie et la Jordanie pour prendre un vol vers les Emirats Arabes Unis afin d’assister à une réunion de l’Union Arabe d’Astronomie et de Sciences de l’Espace, organisation qu’il avait aidé à créer.

Avocat du professeur Barghouti à cette époque, Jawad Boulos a plaidé que le Dr. Barghouti avait été arrêté à cause de ses déclarations de soutien aux activités palestiniennes pendant l’invasion de la Bande de Gaza par Israël l’été précédent, et qu’au cours des interrogatoires, on avait demandé au Dr. Barghouti quels commentaires il avait faits sur Facebook et qu’est-ce qu’il avait dit à la télévision contre l’occupation israélienne (3). Après des lettres de protestation d’organisations scientifiques internationales, dont le Comité des Scientifiques Concernés aux Etats-Unis, le Dr. Barghouti a été libéré le 22 janvier 2015.

La ré-arrestation du professeur Barghouti fait partie d’un schéma plus large de démantèlement et de suppression des systèmes éducatifs palestiniens. L’université de Gaza a été bombardée de multiples fois. L’université de Birzeit en Cisjordanie a été fermée au moins 15 fois par l’armée israélienne, et son ancienne présidente, Dr. Hanna Nasir, physicienne, a été déportée et vit toujours en exil depuis 19 ans. Les arrestations de professeurs et d’étudiants, parfois à cause de posts sur Facebook contre l’occupation militaire, se sont poursuivies jusqu’en 2016. Israël a détruit ou endommagé des centaines d’écoles palestiniennes, même des jardins d’enfants.

L’article 26 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, dont Israël est signataire, garantit à toute personne le droit à l’éducation. Par conséquent, nous vous exhortons à respecter ces principes et à ordonner la libération immédiate du Professeur Imad Barghouti.

J’ai demandé aux chercheurs scientifiques du monde entier pourquoi cette question les avait attirés et ce qu’ils ressentaient de plus significatif à propos de cette protestation. En entendant les nouvelles, Ahmed Abbes, mathmaticien français, à dit à AlterNet : « La décision du tribunal militaire de libérer Imad Barghouti après une campagne internationale de la communauté scientifique et universitaire montre qu’Israël est sensible à la pression internationale. La nouvelle accusation portée par les procureurs militaires, après que le tribunal militaire ait refusé de prolonger la détention administrative de Barghouti à leur demande, dévoile le caractère arbitraire du système juridique auquel les Palestiniens sont soumis. »

David Klein, professeur de Mathématiques à l’université Northridge de l’État de Californie et membre du Collectif d’organisation de l’ USACBI, remarque : « Un grand nombre de signataires de la lettre ouverte sont des étudiants diplômés, des postdoctorants externes, des professeurs assistants. Ils ont pris des positions courageuses et de principe à cause de la probable opposition de collègues plus anciens. Mais nous avons besoin de plus de soutien. La détention prolongée du Professeur Barghouti est une illustration de la façon dont le système juridique d’Israël tout entier n’est qu’un réseau de tribunaux bidons.Qu’est-ce que c’est que cette accusation d »incitation’ ? Ce n’est rien de plus qu’une accusation contre l’opposition de principe à la politique raciste du régime d’apartheid israélien. Nous devrions tous exiger d’être accusés d »incitation’.  »

Mario Martone, chercheur italien en physique des particules, a lui aussi attiré l’attention sur « les nombreux chercheurs non titulaires qui ont pris une position courageuse faisant preuve d’un soutien sans équivoque à la libération du professeur Barghouti. Parce que j’ai payé un lourd tribut pour mes positions pro-palestiniennes alors que j’étais un étudiant diplômé, je connais trop bien l’importance de la pression exercée sur les jeunes chercheurs pour qu’ils se taisent à ce sujet. Dr. King a dit un jour : ‘L’arc de l’univers moral est long, mais il penche vers la justice.’ En fait, en dépit de tout cela, le soutien à la justice et à un traitement équitable des Palestiniens grandit vite, même dans les institutions universitaires américaines. »

Le Dr. Chanda Prescod-Weinstein, chercheur en physique théorique à l’université de Washington, a eu cette vision importante concernant l’élément raciste contenu dans la persécution de Barghouti :

La prolongation de l’emprisonnement de l’astrophysicien Imar Barghouti démontre clairement pourquoi Moshe Ya’alon a récemment démissionné de son poste de ministre de la Défense d’Israël alors qu’il décriait la politique israélienne comme extrémiste et raciste. Ces sortes d’actions sont fascistes par nature. Bien sûr elles ne sont pas nouvelles, mais l’État d’apartheid devient de plus en plus impudent dans ses efforts pour empêcher la liberté de débattre de son traitement ségrégationniste et violent des Arabes israéliens, des migrants africains et des Palestiniens dans les territoires occupés.

En tant qu’Américain noir et juif, je comprends les dangers très réels que pose un système d’incarcération et de mort, fondé sur la race, qui pénalise des gens qui osent à peine respirer. Je reconnais aussi dans le profeseur Barghouti un compagnon en astrophysique théorique, passionné par l’univers sous tous ses aspects, que ce soit en comprenant le fonctionnement interne de l’étoile que nous habitons ou en demandant l’égalité et la justice dans les communautés d’où nous sommes issus. Je suis écoeuré de voir Israël attaquer le fondement même d’une société libre et démocratique – la liberté d’expression – sous prétexte de protéger des Juifs comme moi. Pas en mon nom.

Enfin, j’ai parlé avec le Dr. Anat Matar, maître de conférence au département de Philosophie de l’université de Tel Aviv et à la tête du Comité Israélien pour les Prisonniers Palestiniens, qui a fait cette déclaration essentielle :

Dans le tableau élargi de l’oppression exercée par Israël sur la société palestinienne, l’aspect de la communauté universitaire palestinienne est très rarement mentionné. Mais les campus palestiniens subissent souvent des raids de l’armée israélienne ; des professeurs et des étudiants sont arrêtés et mis en détention administrative, ou condamnés pour toutes sortes d’atteintes à la « sécurité » ; les difficultés pour aller à l’étranger ou pour obtenir des permis de visite pour les conférenciers étrangers sont moins dramatiques que ces phénomènes, mais handicapent quand même la vie universitaire dans les TPO.

L’absence de toute mention de ces obstacles à la vie universitaire palestinienne est particulièrement frappante à côté des cris d’indignation d’Israël (et d’une partie de l’international) contre l’appel palestinien au boycott, désinvestissement et sanctions contre les institutions universitaires israéliennes. A l’exception de quelques universitaires israéliens, on peut difficilement déceler le moindre intérêt de la communauté israélienne pour la situation des universités palestiniennes.

Tout ceci est vrai en général. La récente arrestation arbitraire du professeur Imad al-Barghouti nous rappelle à la fois l’oppression quotidienne que subit la communauté universitaire palestinienne mais aussi le silence pesant qu’elle rencontre habituellement.

Ce n’est pas la première fois qu’une indignation internationale fait que les procureurs militaires changent de cap et qu’au lieu de la détention administrative, ils portent des accusations concrètes. Il y a quelques mois, nous avons été témoins d’une procédure similaire dans l’affaire de la députée au parlement palestinien, Khalida Jarrar. Elle avait d’abord été placée en détention administrative, mais, dans un délai très court – et à la suite d’une campagne internationale énergique – elle a subi un procès pour toutes sortes d’infractions ridicules.

Il est évident que le procureur militaire croit que la communauté internationale sera réduite au silence par ce genre de changement, puisque le statut juridique est maintenant « normalisé » et qu’il semble qu’il n’y ait pas de détention arbitraire à durée indéfinie. Le cas de la députée Jarrar montre précisément que : le procès se poursuit sans fin, on produit un défilé infini de témoins – ou souvent on ne les produit pas car les témoignages sont remis – et ainsi la période d’arrestation se révèle beaucoup plus longue que la peine prévue. Et alors, l’accusé signe un compromis, admettant avoir commis une partie des infractions. Bingo.

Ainsi, techniquement, ce peut être le cas pour le professeur Barghouti. Mais la pression internationale ne doit pas s’arrêter – et elle ne s’arrêtera pas, et le boycott non plus.

Lors de sa première libération, Barghouti a dit à la revue scientifique Nature qu’il croyait que les « lettres de soutien des organisations scientifiques internationales, qui avaient été présentées au juge par son avocat, avaient réussi à persuader le tribunal de le libérer  ». Il a déclaré : « Je suis un scientifique et je me consacre à la recherche, mais je suis aussi un ferme opposant à l’occupation. » Autant il y a très peu de doute sur le fait qu’Israël poursuivra son schéma de harcèlement et d’intimidation, autant nous pouvons être sûrs qu’il rencontrera la même résistance. Et cette résistance de la part des Palestiniens est maintenant soutenue par un groupe croissant d’éminents scientifiques – ce genre d’attaques contre l’un des leurs les rendant, ainsi que la communauté mondiale, de plus en plus conscients de la nature du régime israélien.

Quand ceux qui plaident contre le boycott universitaire d’Israël expriment des inquiétudes sur la façon dont il pourrait « menacer » la liberté académique, ils devraient s’intéresser à ces attaques, très réelles et persistantes, contre la liberté académique des Palestiniens et de leurs supporters. Exactement comme Anat Matar a attiré l’attention sur le fait que les critiques israéliennes du boycott ne tiennent pas compte des dénis de la liberté académique des Palestiniens, le mathématicien Michael Harris a lui aussi parlé à AlterNet du paradoxe qu’on trouve dans l’université américaine : « Quand nos collègues attaquent le boycott académique d’Israël pour incompatibilité avec la liberté académique, on devrait leur demander, et leur redemander : Où étiez-vous quand un astrophysicien palestinien a été emprisonné sans charges et sans procès ? Pourquoi ne vous sentez-vous pas concernés quand on refuse à un universitaire palestinien, non seulement la liberté académique, mais même les plus élémentaires protections de l’État de droit ? »