Des milliers de Palestiniens dans les limbes alors qu’Israël double les temps d’attentes pour les visas de sortie de Gaza

Les Palestiniens qui s’efforcent de quitter la Bande de Gaza doivent braver la bureaucratie israélienne et faire face à des semaines de délai accumulées.

Eman Alswaity de Gaza envisage de développer des éoliennes pour promouvoir l’énergie renouvelable dans la Bande de Gaza. Deux projets d’éoliennes à Gaza ont échoué, mais Alswaity espère trouver des solutions aux problèmes que ces efforts ont révélés dans le cadre de son doctorat en études d’énergies alternatives à l’université de Cambridge.

Alswaity, 35 ans, n’a appris qu’en septembre qu’elle était acceptée, avec une bourse, dans cette prestigieuse université. Les cours commencent le 1er octobre, mais on lui a dit qu’elle pouvait arriver en retard à condition d’être là pour le 9 novembre.

Elle a immédiatement commencé à affronter la bureaucratie, passage indispensable pour obtenir des visas d’entrée à la fois pour la Grande Bretagne et pour la Jordanie, que les Gazaouis utilisent comme point de transit, quand Israël le permet. Elle a reçu son passeport, frappé du visa britannique, trois semaines après avoir rempli les formulaires en ligne. (Il est parti à Amman et revenu par courrier express.)

Son visa de transit pour la Jordanie, qui dépendait de l’obtention de son visa britannique, est arrivé en deux semaines. Armée de ces deux documents, elle est allée le 18 octobre à la Commission des affaires civiles palestiniennes pour lui demander de remettre au Bureau israélien de Liaison et de Coordination sa demande de voyage de Gaza en Jordanie via Israël.

Mais lorsque Alswaity a remis sa demande il y a trois semaines, elle a découvert qu’Israël avait changé les règles et qu’elle ne pouvait espérer une réponse avant deux mois.

Restrictions accrues

En mai dernier, le Bureau israélien de Liaison a dit à la Commission des Affaires Civiles palestiniennes que, sauf cas d’urgence, le temps de traitement des demandes de permis de sortie passerait de 24 jours ouvrés à 50 à 70 (sans tenir compte du fait que la réponse soit positive ou négative). Les jours ouvrés ne comportent pas les vendredis, les samedis ou les vacances juives. C’était un nouveau pas dans la tendance à restreindre encore davantage la liberté de circulation des Gazaouis, devenue évidente dès la fin de 2015.

Le Coordinateur israélien des Activités Gouvernementales dans les Territoires (COGAT) n’a publié ces nouvelles règles que cinq mois plus tard, en octobre. Et le temps maximum pour faire une demande s’est révélé encore plus long qu’on ne l’avait dit originellement aux fonctionnaires palestiniens : 23 jours ouvrés pour les demandes de sortie pour soins médicaux non urgents, 50 jours pour rendre visite à des parents malades en Cisjordanie ou en Israël ou pour assister à des mariages, des rencontres de travail, des conférences et des rendez-vous à l’ambassade ou au consulat, et 70 jours pour faire des études, assurer un internat de médecine, faire du commerce en Israël ou aller à l’étranger. Mais pour assister à des funérailles en Israël, on promettait des réponses immédiates.

Alswaity, tendue et inquiète, avait déjà dit à son superviseur en Grande Bretagne qu’elle aurait du retard. Mais sa crainte est que, même après 70 jours, elle n’ait pas encore de réponse à sa demande de permis de sortie. C’est ce qui est arrivé à beaucoup d’autres étudiants.

Parfois, au moment où ils reçoivent une réponse positive de la part d’Israël, leur visa pour le pays où ils comptent étudier, ou leur visa de passage par la Jordanie, a expiré, les obligeant à recommencer l’ensemble du processus . Parfois, ils perdent tout un semestre, ou même une année entière – et leur bourse.

Au cours de l’année dernière, quelques 16.000 demandes pour sortir de Gaza se sont empilées dans le Bureau israélien de Liaison et attendent toujours une réponse. C’est ce qu’a dit le COGAT au Centre Juridique Gisha pour la Liberté de Circulation en réponse à une requête de liberté de l’information.

Le COGAT n’a dit ni à Gisha ni à Haaretz depuis combien de temps ces demandes avaient été remplies. Mais la Commission des Affaires Civiles palestiniennes a dit que 14.000 des demandes qu’elle avait transmises à Israël depuis le début de l’année attendaient encore une réponse. Parmi elles se trouvent 3.052 demandes faites par des gens de plus de 60 ans, 5.533 par des commerçants (dont 400 de plus de 60 ans) et 3.372 par des gens qui cherchent à passer par Israël pour aller en Jordanie (dont 383 personnes de plus de 60 ans et 315 étudiants).

Louay Habil, 25 ans, fait partie de ces statistiques qui portent sur les nerfs. Aucune de ses demandes pour un permis de sortie, faites en novembre 2016 et en août 2017, n’a reçu de réponse.

Habil est un citoyen américain (ainsi qu’un résident de l’Autorité Palestinienne), parce qu’il est né il y a 25 ans aux Etats Unis alors que son père préparait un doctorat en mathématiques. A sa sortie du lycée, il est retourné en Amérique, sachant que là seulement il pourrait trouver du travail et progresser.

En mai 2016, il venait juste d’obtenir sa licence en systèmes d’information électronique quand sa famille l’appela pour lui dire que son père était mort d’une crise cardiaque. A la suite de gros efforts, il réussit à obtenir un permis pour voyager de la Jordanie à Gaza via Israël pour passer quelques mois avec sa mère, sa sœur et ses trois frères, dont le plus jeune avait 15 ans.

Habil était déchiré entre son désir d’être auprès de sa famille et le besoin de retourner en Amérique et d’y trouver du travail pour soutenir sa famille. Après la mort de son père, gagne-pain de la famille, la situation financière familiale s’est rapidement dégradée. Et pendant le séjour forcé de Habil à Gaza, avec son énorme taux de chômage, il n’a pas pu trouver de travail.

Interrogatoire remis à plus tard

Début octobre, Gisha a commencé à écrire en son nom au Bureau de Liaison. Vers la fin d’octobre, n’ayant reçu aucune réponse, Gisha a dit au chef du Bureau pour Gaza, le colonel Fares Attila, qu’ils allaient devoir adresser une requête à la Haute Cour de Justice parce que le visa d’entrée de Nabil pour la Jordanie expirait le 15 novembre.

A 9 H. du matin le 29 octobre, une lettre du Bureau de Liaison arriva dans les bureaux de Gisha qui étaient fermés annonçant que Habil était convoqué pour un interrogatoire de sécurité le 30 octobre. Le lendemain, il s’est précipité au checkpoint d’Erez entre Israël et Gaza.

Il a été retenu à l’extérieur du checkpoint de l’AP, car le Bureau de Liaison ne leur avait pas dit qu’il arrivait. Et quant il a enfin pu atteindre la partie israélienne d’Erez, il a attendu trois heures rien que pour s’entendre dire par l’officier de liaison, ou un fonctionnaire du service de sécurité du Shin Bet (il ne sait pas très bien), que l’interrogatoire aurait lieu une autre fois.

Des tracas comme ceux-là attendent la plupart de ceux qui essaient de quitter Gaza. Ainsi, le 31 octobre, le procureur Moran Gur de Gisha a présenté une requête devant la Haute Cour au nom de Habil et de deux femmes dont le départ avait été retardé.

L’une essaie depuis 2013 d’obtenir la permission d’aller en Cisjordanie dans la ville de Tulkarem pour rendre visite à sa mère malade à la suite d’une attaque. Elle a à chaque fois reçu une réponse négative pour raison non spécifiée, ou n’a pas reçu du tout de réponse. Sa dernière demande a été enregistrée en août et l’état de sa mère continue de se dégrader.

La seconde, Hadeel Firwana, est une pédiatre de 25 ans qui doit se marier au Qatar le 25 novembre. Son visa d’entrée dans ce pays a expiré le 8 novembre, ce qui veut dire qu’elle devrait en obtenir un autre après cette date.

Sous pression d’une requête de la Haute cour, le Bureau de Liaison a annoncé que tous les trois auraient l’autorisation de quitter Gaza cette semaine. Israël limite sévèrement le nombre de Gazaouis autorisés à traverser le pays vers la Jordanie et ne les laisse pas passer ne serait-ce qu’une journée en Cisjordanie pendant le trajet. Ils voyagent dans une navette directement d’Erez au Pont Allenby en traversant la Cisjordanie et la Jordanie, et la navette ne fonctionne qu’une fois par semaine, le mardi. Par ailleurs, il y a un plafond de 100 personnes par navette, ou de 400 par mois.

Lundi, le Bureau de Liaison a annoncé que la navette avait été reportée à mercredi. Mais, comme le visa de Firawana a expiré le 8 novembre, elle a eu droit à un « véhicule d’urgence » spécial.

Au Pont Allenby, les employés israéliens lui ont fait signer l’engagement de ne pas revenir avant un an. Elle a dit à Haaretz qu’on a demandé à deux personnes qui partaient au même moment à l’étranger pour un traitement médical de signer un engagement similaire. N’ayant pas le choix, ils ont signé, même s’ils n’avaient pas prévu d’être éloignés si longtemps.

Ces deux dernières semaines, l’assistance juridique de Gisha a également obtenu des permis de sortie en dernière minute pour quelques 30 étudiants, dont 19 qui sont partis la semaine dernière pour le Qatar et la Chine. Sous la menace d’une requête de la Haute Cour, les demandes sont soudain traitées très vite.

Mais qu’en est-il des milliers d’autres personnes ? La réponse du COGAT à la demande de liberté de l’information de Gisha fut que son manque de réponse à 16.466 demandes (au 6 septembre) était dû à « diverses raisons liées à la sécurité ainsi qu’à des contraintes intérieures ».

Depuis 1991, où Israël a commencé à exiger des Gazaouis qu’ils obtiennent des permis pour aller en Israël ou en Cisjordanie, le nombre de requérants, le nombre de permis délivrés et les catégories de personnes qui reçoivent ces permis ont constamment changé, généralement en pire. L’explosion de la seconde Intifada en 2000, la sortie de Gaza en 2005, et la conquête militaire de Gaza par le Hamas en 2007 sont les trois moments où les restrictions d’Israël sur la liberté de circulation, les importations et les exportations des Gazaouis sont devenues plus rigoureuses.

D’ailleurs, depuis que le gouvernement des Frères Musulmans en Egypte est tombé en juillet 2013, le passage de la frontière de Gaza avec l’Egypte a été fermé la plupart du temps et le voyage vers Le Caire est devenu dangereux et inquiétant.

Au cours de la dernière décennie, Israël n’a autorisé qu’une poignée d’étudiants qui avaient reçu une bourse de la part de l’Amérique à traverser son territoire vers la Jordanie. Il a graduellement étendu cette autorisation à d’autres étudiants faisant aussi leurs études à l’étranger, bien que leur nombre n’ait jamais excédé quelques centaines. Israël n’a pas permis aux Gazaouis d’étudier en Cisjordanie depuis 2000, et cette interdiction est toujours en vigueur.

A la suite de son raid mortel sur une flottille qui essayait de briser le blocus de Gaza en mai 2010, Israël a assoupli quelques interdits. En 2009, des Gazaouis sont sortis du territoire en moyenne 1.199 fois par mois (ce qui ne veut pas dire que 1.199 Gazaouis sont sortis, car beaucoup de détenteurs de permis sortent et entrent plusieurs fois par mois). Parmi eux, 838 le faisaient pour des traitements médicaux. Mais vers 2015, a dit Gisha, la moyenne mensuelle avait grimpé à 14.276.

Depuis lors cependant, le nombre moyen de départs mensuels a à nouveau chuté, spécialement pour les commerçants et les hommes d’affaires – d’environ 3.600 commerçants par mois fin 2015 à 765 au 1er septembre, 703 au 1er octobre et 598 au 1er novembre.

En 2016, le nombre de départs mensuels était de 12.150 en moyenne. Mais, dans la première moitié de 2017, la moyenne mensuelle a plongé à 6.302, dont un tiers pour raisons médicales. En octobre, d’après Gisha, le nombre était de 4.812 – une chute de 24 % en comparaison avec le début de l’année.

Un porte-parole du COGAT a répondu : « L’évaluation de la situation parmi les organes de sécurité compétents exige d’ajuster les processus de contrôle de sécurité au développement des menaces. Ces derniers mois, nous avons engagé un travail d’équipe avec les agences de sécurité compétentes et, dans le cadre de ce travail, nous établissons un calendrier pour réaliser le traitement des demandes d’entrée en Israël dans un sens qui permette un processus de contrôle professionnel. »

« Ce travail d’équipe s’est déroulé par étapes, et la Commission des Affaires Civiles palestiniennes a été informée des différentes étapes. Ultérieurement, si nécessaire, nous envisagerons une mise à jour de ce calendrier en nous fondant sur l’évaluation de la situation. »