Des craintes que la ligne « temporaire » de cessez-le feu à Gaza ne devienne une nouvelle frontière permanente

Des blocs jaunes posés par les FDI renforcent la division qui coupe la bande de Gaza en deux, tandis que l’espoir de passer à la phase suivante de la trêve s’amenuise.

Une ligne jaune supposément temporaire marquant le cessez-le feu à Gaza prend forme de façon de plus en plus décisive alors que cette trêve précaire montre des signes de stagnation qui pourraient avoir des conséquences dramatiques pour l’avenir de la Palestine.

Les Forces de Défense Israéliennes (FDI) ont commencé à installer des plots jaunes en béton tous les 200 m pour délimiter la zone sous contrôle israélien pendant la première phase du cessez-le feu.

Cette ligne coupe grosso modo Gaza en deux. Dans la partie ouest, le Hamas cherche à réaffirmer son contrôle dans le vide laissé par le retrait partiel israélien, en procédant à des exécutions publiques de milices rivales ou de membres de gangs dont il déclare qu’ils sont appuyés par Israël.

Dans l’autre moitié de Gaza, qui couvre l’est de la bande ainsi que les bordures nord et sud, les FDI ont renforcé nombre d’avant-postes militaires et tiré sur quiconque s’approche de la ligne, qu’elle soit jalonnée de blocs jaunes ou non.

« Dans notre zone, les lignes jaunes ne sont pas clairement perceptibles. Nous ne savons pas où elles commencent et où elles finissent. Je pense qu’elles sont plus visibles dans d’autres lieux, mais ici rien n’est défini » a dit Mohammad Khaled Abu al-Hussain, un père de cinq enfants, âgé de 33 ans. Sa maison de famille se trouve à al-Qarara, au nord de Khan Younis et juste à l’est de la ligne jaune, dans la zone contrôlée par les FDI.

« Dès que nous approchons de nos maisons, les balles sifflent dans toutes les directions et parfois de petits drones, les quadricoptères, passent au-dessus de nous en observant chaque mouvement » a-t-il dit. « Hier, j’étais avec mon ami quand nous nous sommes trouvés soudain sous un feu nourri. Nous nous sommes jetés à terre et sommes restés ainsi jusqu’à ce que les tirs cessent. Je n’ai pas pu arriver chez moi.

« Pour moi, c’est comme si la guerre n’était pas vraiment finie. A quoi sert un cessez-le feu si je ne peux pas rentrer chez moi ? »

Il a ajouté : « Ça me fend le cœur de voir sur mon chemin des gens qui retournent chez eux alors que je reste coincé entre espoir et peur. Mais ce qui m’ennuie le plus est l’idée que cette ligne pourrait rester et qu’aucune décision ne nous permettra jamais de rentrer ».

Dimanche, Israël a insisté sur le fait qu’il maintiendrait le contrôle de la sécurité à Gaza. Le premier ministre, Benjamin Netanyahou, a dit aux ministres que le gouvernement déciderait lui-même quand frapper ses ennemis et quels pays seraient autorisés à envoyer des troupes pour faire respecter la trêve.

« Israël est un État indépendant. Nous nous défendrons par nos propres moyens et nous continuerons à décider de notre avenir » a-t-il dit. « Nous ne recherchons l’approbation de personne pour cela. Nous contrôlons notre sécurité ».

La politique de tir sans restriction le long de la ligne – a été ordonnée par le ministre israélien de la défense, Israel Katz – après une attaque le dimanche 19 octobre dans la ville de Rafah au sud, au cours de laquelle deux soldats israéliens ont été tués.

En deux semaines de cessez-le feu, plus de 20 Palestiniens sont encore tués en moyenne au quotidien, dont un bon nombre près de la ligne jaune. En conséquence, très peu de ceux qui ont été déplacés retournent dans la zone sous contrôle israélien.

Les obstacles politiques vers une seconde phase du cessez-le feu demeurent considérables ; cette seconde phase impliquerait le désarmement du Hamas qui serait remplacé par une force multinationale de stabilisation, ainsi qu’un retrait des FDI en deçà de la ligne jaune pour se positionner plus près de la limite de Gaza. L’aile droite du gouvernement de coalition du premier ministre Benjamin Netanyahou est férocement opposée à un retrait plus poussé et à l’internationalisation du contrôle de Gaza.

Dans cette impasse, la ligne jaune continue à prendre une forme plus permanente et les médias israéliens s’y réfèrent de plus en plus comme à une « nouvelle frontière ».

Dans le journal Yedioth Ahronot, Yoav Zitoun, le correspondant militaire, a prédit que la ligne jaune pourrait évoluer en « une barrière élevée et sophistiquée réduisant la bande de Gaza, agrandissant l’ouest du Néguev et permettant la construction de colonies israéliennes dans cet espace ».

« On dirait une annexion rampante de facto de Gaza » a dit Jeremy Konyndik, le président du groupe de défense international des réfugiés, qui est un ancien responsable de l’aide humanitaire étatsunienne.

Selon les termes du cessez-le feu négocié par les États-Unis, qui a pris effet le 10 octobre, le retrait des FDI jusqu’à la ligne jaune les maintiendrait en occupation de 53% de la bande de Gaza, mais une analyse par satellite de la BBC  sur les nouveaux blocs jaunes suggère qu’ils ont été placés à plusieurs centaines de mètres au-delà de la ligne proposée, ce qui représente une saisie supplémentaire de terres substantielle.

Un porte-parole des FDI a déclaré que le rapport de la BBC ne donnait lieu à aucun commentaire officiel. Une déclaration antérieure des FDI disait seulement que le travail avait commencé sur le marquage de la ligne jaune par une « barrière de béton munie d’un poteau peint en jaune, de 3,5 m de haut », censé « établir une clarté tactique sur le terrain ».

Ce qui devient clair, c’est une partition plus nette que jamais de Gaza, entassant plus des 2,1 millions de survivants sur la moitié du territoire, au milieu des ruines résultant de deux années de bombardements israéliens.

« La ligne jaune, pour ce qu’on nous en a dit, s’étend sur environ 1km après la route Salah al-Din », a dit Ayman Abu Mandel en se référant à l’artère principale qui va du sud au nord, au milieu de la bande de Gaza.

Abu Mandel a 58 ans, il a neuf enfants. Les restes de sa maison sont dans l’est d’al-Qarara, mais il a peu d’espoir de pouvoir y retourner prochainement. « L’armée israélienne a installé de grues, des tours de contrôle et des tanks là-bas. Ils surveillent tout mouvement et ouvrent le feu sur quiconque s’approche ».

« Nous n’avons pas vu de blocs jaunes nous-mêmes, parce que quiconque essaie d’atteindre ces zones est immédiatement ciblé » a-t-il dit. « Les quadricoptères n’hésitent pas à tirer sur quiconque se déplace vers eux, comme si se rapprocher de nos propres terres était devenu un délit ».

Ce qui fonde la poursuite de la division et de la violence est le caractère vague de la trêve. Le « plan de paix de Trump » était une liste de 20 principes et objectifs , sans suite ni sens sur comment un objectif s’inscrirait après un autre ».

« C’est incroyablement vague » a dit Rohan Talbot, le directeur du plaidoyer et de la communication pour l’association Aide Médicale aux Palestiniens. « Nous sommes maintenant à un moment où beaucoup d’acteurs différents, incluant évidemment le gouvernement israélien, les Américains, la communauté internationale et des acteurs humanitaires se mettent tous à interpréter et à influencer la suite.

« Un des principes directeurs que nous devrions apprécier à partir de décennies de sinistre expérience, est que tout élément temporaire sur le territoire palestinien occupé devient très rapidement permanent ».

Pendant ce temps, le statu quo met au moins la moitié de la population de Gaza dans l’impossibilité de rentrer chez soi, voire de même penser à reconstruire. Les espoirs suscités par le cessez-le feu s’évanouissent rapidement .

« Chaque fois que nous essayons de nous rapprocher de notre maison, nous voyons de nouvelles destructions, de nouveaux bombardements et de nouvelles avancées de véhicules militaires. Les tirs d’artillerie, des tanks et des drones n’ont pas cessé, comme si la guerre ne s’était jamais arrêtée » a dit Salah Abu Salah d’Abasan al-Kabira, à l’est de Khan Younis, qui est maintenant du « mauvais » côté de la ligne jaune.

Je ne peux m’empêcher de craindre que l’armée ne tente maintenant d’établir de nouvelles frontières que nous n’aurons plus jamais le droit de franchir ».