La présidente d’Israel is forever récolte des centaines de milliers d’euros pour les forces armées israéliennes et voudrait recoloniser Gaza. Elle a invité à son gala, qui se tient mercredi soir, le ministre israélien d’extrême droite Bezalel Smotrich, « suprémaciste juif » revendiqué.
Les convives auront le choix entre les tables « Judée », « Golan » ou « Hevron » (Hébron), du nom de régions et villes que les ultranationalistes israéliens considèrent comme appartenant toutes à l’État d’Israël. Moyennant les 260 euros du ticket d’entrée, ils pourront écouter le chanteur David Lousky, qui donne des concerts pour les soldats israéliens sur leurs bases militaires.
Surtout, ils pourront écouter les prises de parole de personnalités qui nient l’existence d’un peuple palestinien, souhaitent recoloniser tous les territoires palestiniens et justifient les massacres en cours dans la bande de Gaza.
Pendant un temps, l’événement a semblé compromis : des élu·es de gauche, des organisations de défense des droits humains et des organisations propalestiniennes ont multiplié les interpellations et lancé une procédure judiciaire pour le faire annuler.
Sept ONG et syndicats ont dénoncé dès le 4 novembre, dans un communiqué commun, ce « gala de la haine et de la honte », dont la tenue « constituerait une injure au droit international ».
Quelques jours plus tard, une autre organisation, la Coordination des appels pour une paix juste au Proche-Orient EuroPalestine (CAPJPO-EuroPalestine) saisissait la justice afin de faire interdire l’événement, estimant qu’il présentait un « risque sérieux de trouble à l’ordre public », notamment d’atteinte à la dignité humaine.
Par une décision rendue le 8 novembre, les juges des référés du tribunal administratif de Paris ont rejeté cette demande, au motif que « l’existence d’une menace caractérisée et imminente » n’était « pas établie ».
Interrogé sur une éventuelle interdiction du gala, le préfet de police de Paris Laurent Nuñez a confirmé, dimanche 10 novembre au micro de BFMTV, que cela ne serait pas le cas : « Je ne le ferai pas, je n’ai pas de raison de le faire. » La préfecture de police de Paris n’a pas non plus interdit la manifestation contre la tenue du gala qui devrait se tenir mercredi 13 novembre à 18 heures dans la capitale, au départ de la gare Saint-Lazare.
« Reçu cerfa délivré »
Dans les posts qui promeuvent l’événement figure une précision, une mention qui peut apparaître comme un détail mais n’en est pas un. « Reçu cerfa délivré », peut-on lire, par exemple sur ce post Facebook d’Israel is forever, daté du 16 octobre. Les trois mots figurent au-dessus d’une affiche de promotion du gala et d’un lien d’inscription en ligne.
Une manière de suggérer que la somme déboursée pour la participation au gala peut donner lieu à des déductions fiscales liées à l’aide de l’État au monde associatif, Israel is forever étant une association loi 1901.
En France, les dons à des associations peuvent en effet faire l’objet, moyennant certaines conditions, de réductions d’impôts à hauteur de 66 % : pour 100 euros versés sous forme de don, un particulier peut en déduire 66 de ses impôts et donc ne payer effectivement que 34 euros. Les Cerfa sont les formulaires délivrés par les associations ayant reçu des dons à leurs généreux mécènes pour que ces derniers puissent justifier les déductions fiscales.
Le gala organisé par Israel is forever comptera, selon nos calculs (effectués sur la base du formulaire d’inscription en ligne) un minimum de 150 participant·es. En se basant sur un tarif d’entrée de 260 euros, et dans l’hypothèse où tou·tes les participant·es s’appliquent cette déduction fiscale proposée par l’organisation, l’État français pourrait indirectement financer la soirée à hauteur de 25 000 euros – sous la forme, donc, de remises d’impôt.
Or, l’identité et les déclarations passées des intervenants laissent peu de doutes sur le fait que l’événement sera l’occasion de diffuser des discours de haine et de justifier les massacres en cours à Gaza.
Bezalel Smotrich, « à la guerre comme à la guerre »
Le nom le plus marquant est certainement celui de Bezalel Smotrich. Les organisateurs de la soirée parisienne ont promis sa « présence exceptionnelle » – il était d’ailleurs déjà l’invité de marque de la précédente édition du gala.
Cet homme politique israélien se revendique « suprémaciste juif », adepte d’une théocratie juive,et assène, de sa voix douce mais absolument intelligible, que les homosexuels seraient « anormaux », les magistrats des « gauchistes » et que les patients juifs et arabes devraient être séparés dans les hôpitaux.
Ministre des finances d’Israël depuis décembre 2022, Bezalel Smotrich a également obtenu un poste moins connu et cependant décisif pour la mise en œuvre de son idéologie extrémiste : la tutelle de la Cisjordanie. « Sa mission est de développer les colonies et d’unifier leur administration avec celle du territoire israélien. À ce titre, il a dirigé les efforts clandestins d’Israël pour y annexer des territoires, d’abord comme un fait accompli, puis par la force du droit », explique à Mediapart Idan Yaron, sociologue spécialiste de l’extrême droite israélienne à l’université d’Ashkelon.
Bezalel Smotrich a publié en 2017 son « plan décisifd’Israël », où il expose comment régler, selon lui, une fois pour toutes la question palestinienne. Il y affirme que la solution dite « à deux États » est dans une impasse, que la société israélienne doit gagner le conflit plutôt que de le gérer (« une victoire fondée sur la compréhension du fait qu’il n’y a pas de place sur la terre d’Israël pour deux mouvements nationaux conflictuels », expose Idan Yaron) et qu’Israël doit annexer la Cisjordanie en laissant trois choix aux Palestinien·nes : rester à la condition de renoncer à leurs aspirations nationales et accepter un statut de non-citoyen·ne ; quitter volontairement le territoire ; combattre et s’attendre à être battu·es, chassé·es ou tué·es.
« Y compris les familles, les femmes et les enfants ? », lui était-il demandé lors d’une réunion de sionistes religieux auxquels il présentait son plan. « À la guerre comme à la guerre », a-t-il répondu, selon le récit du quotidien israélien Haaretz en mai 2017.
Deux jours avant la soirée, la présence de cette figure d’extrême droite lors du gala parisien ne semblait toutefois plus garantie. Selon nos informations, plusieurs ONG françaises avaient pour projet de profiter de sa présence sur le sol français pour déposer une plainte contre lui pour complicité de torture. Cette perspective l’a-t-elle dissuadé ? Les autorités françaises, qui n’apprécient guère le personnage, lui ont-elles suggéré en coulisses de ne pas faire le déplacement, en échange d’un maintien de l’événement ?
Pour l’heure, nul ne le sait. Mais même sans sa présence physique, nul doute que les idées de Bezalel Smotrich seront là. Un plan B pourrait être son intervention en visioconférence. Mardi 12 novembre au matin, la présidente d’Israel is forever postait encore, comme une provocation, une vidéo de l’un de ses discours, avec ce commentaire en majuscules : « UNE SEULE SOLUTION : LA SOUVERAINETÉ JUIVE SUR TOUTE LA TERRE D’ISRAËL ! »
Nili Kupfer-Naouri et le « mythe du peuple palestinien »
Si son nom est moins connu du public, les idées exprimées par l’organisatrice du gala, Nili Kupfer-Naouri, ne sont pas beaucoup moins extrêmes que celle de Bezalel Smotrich.
Israel is forever, qu’elle préside, a déclaré officiellement aux autorités françaises lors de son enregistrement en 2017 que ses domaines d’activité étaient « l’action socio-culturelle », la « défense de droits fondamentaux » et les « activités civiques ». C’est en réalité une organisation « ultranationaliste » qui « s’inscrit dans l’héritage » de son père, le militant sioniste Jacques Kupfer, rappelle le sociologue Idan Yaron. « L’activisme de son père remonte à son adolescence au sein du mouvement de jeunesse sioniste Betar en France », replace-t-il.
Aujourd’hui, l’association, qui promeut l’alya (le fait pour un juif ou une juive d’aller s’installer en Israël), est « impliquée dans des visites dans les colonies de Cisjordanie, des conférences, et de la propagande sur les réseaux sociaux et dans les médias israéliens et français », détaille encore Idan Yaron.
De fait, Nili Kupfer-Naouri ne cache pas le fond de sa pensée et déploie beaucoup d’énergie pour la partager. Pour la présidente d’Israel is forever, les Palestinien·nes n’existent pas et n’ont pas de place sur la « Terre d’Israël » (« Eretz Israel »).
Elle répète que la « terre de la mer au Jourdain » (incluant les territoires occupés de Jérusalem-Est, de Gaza et de Cisjordanie) est « juive et exclusivement juive » ; qu’à Gaza, Israël doit « appliquer [sa]souveraineté » et « refaire fleurir [ses] implantations » ; et invite à se « comport[er] en propriétaire » sur le mont du Temple, aussi appelé esplanade des Mosquées, lieu saint du judaïsme comme de l’islam sunnite et terrain d’affrontement régulier entre juifs et musulmans.
Ses sorties prennent régulièrement des accents haineux, comme lorsqu’elle affirme, dans un texte d’une rare violence publié en 2018, qu’il faut « exploser le mythe du peuple palestinien », ce « ramassis de peuplades » dont les réfugiés (terme qu’elle emploie avec des guillemets) « se lèguent ce titre de génération en génération pour continuer de toucher les subventions internationales ».
Depuis la fin 2023, elle justifie les massacres commis par l’armée israélienne à Gaza, en jurant qu’il « n’y a pas de population civile innocente à Gaza » et en ajoutant que « Gaza doit pleurer des larmes de sang ».
Dons défiscalisés à l’armée israélienne
L’association ne fait pas que propager ces discours : elle agit aussi concrètement, notamment à travers des appels aux dons.
Là encore, on est très loin de l’« action socio-culturelle » déclarée aux autorités françaises. Dans une campagne de dons lancée après les attaques du 7-Octobre, Israel is forever indiquait récolter de l’argent pour « répondre aux besoins urgents » d’une « unité de forces spéciales qui a besoin de matériel ». 2 500 euros finiront par être récoltés.
L’un des instigateurs de la collecte précise : « Nous avons fait un partenariat avec l’association Israel is forever pour vous permettre de pouvoir donner en France (don avec cerfa). »
Les sommes en question peuvent être très importantes. En octobre 2023, Israel is forever lançait une autre campagne de dons à destination de l’armée israélienne, motivée par les mots suivants : « ISRAËL EST EN GUERRE ! Tsahal riposte et nous nous devons de les aider : par nos prières mais également en leur faisant parvenir du matériel dont ils ont besoin. »
L’association précise dans d’autres publications que le matériel comprend « des manteaux », « des polaires », des accessoires religieux ou encore des « uniformes tactiques, montres [et] lampes frontales ». La campagne récoltera… 205 259 euros. « Remise d’un Cerfa automatique par e-mail pour chaque don effectué », garantit de nouveau la plateforme utilisée pour récolter des dons, CharityClic.
La pratique de la déduction fiscale aux associations est pourtant illégale lorsqu’il s’agit de financer une armée étrangère, a précisé à plusieurs reprises (y compris à Mediapart) le ministère de l’économie et des finances français, confronté à une vague d’associations proposant des dons défiscalisés pour financer l’armée israélienne.
Si tous les donateurs et donatrices de la campagne pour les « soldats de Tsahal »ont effectivement procédé à une déduction fiscale, ce sont potentiellement jusqu’à 135 000 euros qui ont été versés par l’État français sous forme de réduction d’impôt lors de cette seule collecte, finançant indirectement la guerre d’Israël à Gaza.
Le ministère de l’économie et des finances français ne commente pas les cas particuliers d’associations en raison du « secret fiscal », rendant impossible la connaissance du montant des ristournes qui ont pu effectivement être octroyées. Interrogés par Mediapart, ni Nili Kupfer-Naouri ni Israel is forever n’avaient répondu à l’heure où nous publions cet article.