Un agent de l’Institut français de Gaza est mort le 16 décembre des suites d’un bombardement israélien. Depuis plus d’un mois, une partie de sa famille évacuée en France et lui-même demandaient au ministère des affaires étrangères de le rapatrier avec quatre de ses fils. En vain.
LeLe 16 décembre, Ahmed S*., 59 ans, agent du ministère des affaires étrangères, est mort des suites de ses blessures lors d’un bombardement israélien à Rafah. Le Quai d’Orsay a déclaré le jour même dans un communiqué avoir appris « avec beaucoup d’émotion » son décès tout en exigeant « que toute la lumière soit faite par les autorités israéliennes sur les circonstances de ce bombardement dans les plus brefs délais ».
Mais, cette réaction contraste amèrement avec les pratiques et l’attitude que le Quai d’Orsay a jusqu’à présent réservées à cet agent. En effet, depuis plus d’un mois, Ahmed demandait au ministère à être évacué avec ses fils. Sa famille, aidée par une avocate, a relancé à plusieurs reprises le Quai d’Orsay et le consulat général de Jérusalem, sans jamais obtenir la moindre réponse.
Mediapart publie les différentes demandes de l’agent laissées lettre morte. Interrogé sur les raisons d’un tel abandon, le Quai d’Orsay n’a de son côté pas répondu précisément au sort réservé à son agent Ahmed et ses quatre fils. De façon très générale, le ministère des affaires étrangères déclare que « la France s’est fortement mobilisée pour organiser la sortie de la bande de Gaza des ressortissants français et des agents de l’Institut français de Gaza ».
« Les départs de la bande de Gaza sont conditionnés à une autorisation au cas par cas des autorités israéliennes et égyptiennes, poursuit le Quai. Le consulat général et le ministère de l’Europe et des affaires étrangères ont reçu plusieurs milliers de messages pendant cette crise. Même si tous les messages ne font pas l’objet d’une réponse, chaque cas fait l’objet d’un suivi individuel précis et constant » (voir l’intégralité des réponses du Quai d’Orsay en annexes).Un suivi pour le moins défaillant, voire inexistant pour Ahmed et ses enfants.
Depuis plus de vingt ans, Ahmed travaillait pour l’Institut français, en tant qu’agent administratif au service des visas. Il vivait dans le nord de la ville de Gaza, avec son épouse Reem, 50 ans, leurs six fils âgés de 17 à 28 ans et leur petite-fille de 2 ans dont la mère était décédée.
Le septième fils, Majed, 25 ans, est arrivé en France en 2021 pour poursuivre des études supérieures d’ingénierie à l’université Paris-Saclay. Recruté par une société française, il s’est installé en région parisienne.
Lorsque les bombardements israéliens sur la bande de Gaza ont commencé, ciblant des maisons voisines de la leur, Ahmed et sa famille quittent leur domicile et, le 9 octobre, trouvent refuge dans un local commercial pendant quatre jours, avant de descendre vers le sud de l’enclave. Ils sont alors accueillis chez des proches dans la ville de Deir el-Balah, à 35 km de Rafah, à la frontière égyptienne.
Depuis le début du conflit, le consulat général de France à Jérusalem, dont dépend l’Institut français, assure tenter d’évacuer le personnel, français comme palestinien, ainsi que leurs proches. Très vite, Ahmed et sa famille demandent aux autorités françaises à être évacués. Le 1er novembre, l’ouverture de la frontière égyptienne permet les premières évacuations.
Le 4 novembre, au lendemain des bombardements qui ont touché le bâtiment de l’Institut français, la famille reçoit des nouvelles du consulat de général de France à Jérusalem qui leur demande de se diriger vers la frontière égyptienne à Rafah.
Mais, lorsque Ahmed et sa famille se présentent à la frontière, quatre de ses fils ne figurent pas sur la liste des personnes évacuées. Ne pouvant laisser leurs enfants seuls, Ahmed et son épouse Reem se résignent à se séparer. Le 7 novembre, Reem rejoint l’Égypte avec leur petite-fille, Salma, et leurs deux fils Abdalrahman, 17 ans et Akram, 19 ans.
Ahmed, quant à lui, reste donc dans la bande de Gaza avec ses quatre autres fils, Mohammed, 28 ans, Basel, 27 ans, Mustafa, 23 ans, et Yousef, 21 ans. Ahmed tente alors de contacter le consulat de France à Jérusalem afin qu’il rectifie, ce qu’il pense être une erreur, pour que ses fils puissent, enfin, être rapatriés avec lui.
Dans un message que Mediapart a pu consulter, Ahmed lance un appel à l’aide, dès le 4 novembre, à l’adjoint du consul de France à Jérusalem, Quentin Lopinot. « J’ai été surpris par l’accord qui ne permet qu’à moi, ma femme, la petite Salma et deux de mes fils de quitter la bande de Gaza, ignorant mes quatre fils qui vivent avec moi et sont aussi sous ma responsabilité »,lui écrit-il avant de lui demander de les évacuer en urgence. Et de conclure : « Nous espérons que vous y réfléchirez et trouverez une solution. Merci pour votre intérêt pour nous. »
À cette urgence, Quentin Lopinot lui répond par SMS, le 5 novembre, que « malheureusement, il est très difficile d’obtenir des places de sortie. […] Ce n’est pas notre choix. À ce stade ce n’est pas possible de faire plus. Mais si l’opportunité se présente de rajouter des gens sur la liste, soyez assuré que nous ferons tout notre possible ».
L’indifférence du Quai d’Orsay et du consulat
Le 1er décembre, soutenus par une avocate, Reem, son épouse, et Majed, le fils vivant en France, sollicitent la cellule de crise du Quai d’Orsay et le consulat de France pour demander l’évacuation d’Ahmed et de ses quatre fils. Mais là encore, ni le ministère ni le consulat ne répondent.
Le 6 décembre, désemparé et très inquiet, Majed questionne le directeur de l’Institut français à Gaza, François Tiger. « S’il vous plaît, écrit-il, j’espère que vous pourrez les aider à quitter Gaza dès que possible avant que quelque chose de mauvais ne leur arrive et ne les perde. »
Le lendemain, le directeur qui sait que « la situation se dégrade », précise néanmoins ne pas avoir de nouvelle pour « l’ajout sur la liste » concernant ses quatre frères, avant de rajouter que « la décision ne dépend pas uniquement de nous ».
Le 9 décembre, l’avocate de la famille relance une nouvelle fois les autorités françaises. « Pourriez-vous revenir vers moi dès que possible ?,demande-t-elle dans un courriel. La menace permanente de mort imminente des membres de leur famille leur est insupportable et ils ne comprennent pas le silence des autorités françaises. »
Démarche qui se heurte, à nouveau, au silence assourdissant du Quai d’Orsay et à celui du consulat. Le 13 décembre, Ahmed est grièvement blessé et un de ses fils est également touché lors d’un bombardement sur la maison d’un de ses collègues du consulat général, dans laquelle ils sont réfugiés à Rafah. L’avocate de la famille adresse alors un courriel aux autorités pour les informer des blessures d’Ahmed et alerte sur l’urgence de l’évacuation.
Le lendemain, elle reçoit la réponse suivante : « Le ministère de l’Europe et des affaires étrangères accuse bonne réception de votre message. […] Les services compétents ne manqueront pas d’apporter avec diligence toute l’attention requise à votre démarche, en lien avec notre consulat général à Jérusalem. »
Ahmed décède le samedi 16 décembre à l’hôpital de Khan Younès. Son avocate renvoie de nouveau un message aux autorités, message resté sans réponse à ce jour. Ses quatre fils sont encore à Gaza et n’ont aucune garantie d’être rapatriés par le ministère des affaires étrangères. En revanche, le Quai d’Orsay n’hésite pas, en interne, à communiquer auprès de son personnel son attachement pour son agent Ahmed qui travaillait « avec toute loyauté et gentillesse ».