De Gaza à Oxford : l’obstination triomphe de la tyrannie

Alors que je me prépare à quitter le Royaume Uni pour rentrer à Gaza, ma tête déborde d’un trop-plein de pensées. Lorsque j’ai tout d’abord rempli ma demande de visa….

Alors que je me prépare à quitter le Royaume Uni pour rentrer à Gaza, ma tête déborde d’un trop-plein de pensées. Lorsque j’ai tout d’abord rempli ma demande de visa pour pouvoir aller étudier au Royaume uni, mon esprit était en pleine confusion. Je poursuivais un rêve et j’étais au supplice ne sachant pas s’il allait se concrétiser. Pendant le mois qui a précédé mon arrivée enfin le 18 juin, je souffrais de lassitude et d’épuisement à force de remplir des demandes et d’essayer de suivre les bonnes procédures pour obtenir l’autorisation de quitter Gaza. Je me demandais : « Dois-je continuer à essayer de sortir de Gaza alors que cela semble impossible, ou devrais-je simplement abandonner mon rêve ? »

C’est il y a deux ans que j’ai été accepté dans un programme de formation clinique à l’Université d’Oxford. Jusque là, je n’avais jamais cru que de tels rêves pouvaient se réaliser. Je ne pouvais croire que j’aurais réellement la chance de partir pour étudier dans l’une des plus grandes universités du monde. Tout le monde me disait que je n’avais pas la moindre chance d’être accepté, aussi lorsque je le fus, je ne pouvais y croire. Je faisais partie des 50 étudiants venus du monde entier en vue d’être sélectionnés pour suivre cette formation à Oxford. C’est un cursus de deux mois seulement mais, regardons les choses en face, c’était une occasion unique dans une vie.

Ce qui m’a le plus inquiété pendant les deux mois qui ont précédé mon arrivée ici, c’était de savoir comment sortir de Gaza. La seule façon de quitter Gaza, c’est de passer par Rafah sur la frontière avec l’Egypte, ou par Erez qui permet d’entrer sur les terres palestiniennes occupées par Israël. Et à cette époque, il apparaissait que l’une et l’autre voie m’étaient impossibles.

J’avais abandonné l’Egypte, puisque la frontière de Rafah était fermée jusqu’à plus ample informé. Les perspectives pour que cela change étaient minces, puisqu’elle n’avait été ouverte que pour un total de deux mois au cours des deux dernières années. (Les autorités égyptiennes n’ouvrent généralement le passage que pour pas plus de trois jours par mois ou tous les deux mois.) Pourquoi me donnerait-on la priorité sur des milliers de malades et d’étudiants qui avaient besoin de quitter Gaza ?, pensai-je.

Aussi ai-je essayé Erez comme un ultime espoir. Le passage d’Erez est étroitement contrôlé et limité à certains types de personnes telles que des journalistes, des politiques et des employés d’ONG. Si vous avez la chance d’être l’une de ces personnes, vous passez la frontière vers les terres palestiniennes occupées, puis vous traversez la Cisjordanie jusqu’en Jordanie. De là, vous pouvez prendre un avion, puisque nous ne sommes pas autorisés par nos occupants à avoir un aéroport à nous. Malgré toutes ces difficultés, je me suis inscrit pour avoir la permission de passer par Erez.

La procédure est complexe. Vous devez d’abord faire une demande pour quelque chose appelé « non-objection » à l’ambassade de Jordanie à Ramallah. J’ai attendu environ six semaines pour une réponse ; lorsque j’ai reçu un « oui », il restait cependant encore une série d’obstacles. Le papier devait voyager de Ramallah à Gaza, puisque les deux « ailes » de la Palestine sont séparées l’une de l’autre par Israël (qui était originellement le reste de notre Palestine). Et après tout cela – j’ai reçu un « non »des autorités israéliennes qui n’en tenaient pas compte.

J’ai perdu espoir ; rien ne se passait normalement. J’essayais de sortir de mon pays seulement pour deux mois et tout ce que je rencontrais, c’était des obstacles. Mais je n’ai pas renoncé. Cette opportunité, c’était mon rêve. Je décidai de continuer et, pour la seconde fois, je demandai aux autorités israéliennes la permission de passer par le passage d’Erez. Je contactai des organisations concernées. Je demandai de l’aide à mon école de médecine de Gaza. Je me suis adressé au ministère de la Santé, au ministère de l’Intérieur, au ministère des Affaires Civiles, à l’Organisation Mondiale de la Santé, à la Croix Rouge, à l’UNRWA et à plein d’autres institutions. J’ai travaillé tous les jours du matin au soir, à écrire des mails, passer des coups de fil et naviguer d’une institution à l’autre.

Début juin, nous avons reçu des nouvelles comme quoi le passage de Rafah ouvrirait juste une semaine dans les prochains jours. Mon numéro d’enregistrement pour passer par là était dans les 3.000, et quotidiennement, seuls 200 ou 300 étudiants étaient autorisés à passer. Je perdis à nouveau espoir.

C’est alors que j’eus un coup de chance inattendu. Le 16 juin, cinquième jour d’ouverture du passage, je vis mon nom sur la liste des « étudiants autorisés » pour le vendredi, le dernier jour. J’étais extrêmement heureux et inquiet en même temps, car il n’était pas garanti que le passage serait ouvert aussi longtemps. Je contactai quelques connaissances et m’arrangeai pour tirer les bonnes ficelles afin de sortir le lendemain, le mercredi.

Après deux longues et dures journées de voyage, j’arrivai finalement à Londres le 18 juin. Le vendredi, la frontière était fermée et l’est depuis.

J’ai réussi à saisir ma chance d’étudier à Oxford. Cependant, d’autres ont échoué et beaucoup d’autres essaient encore. Dans ma classe à l’université, il y avait environ 18 étudiants qui étaient supposés voyager et suivre un cursus semblable en Malaisie, en Turquie, en Jordanie et en Allemagne. Mais, à cause de la fermeture des frontières et de huit ans de blocus, ils ont perdu cette chance et sont toujours à Gaza après des années et des mois à essayer d’avoir une opportunité pour étudier à l’étranger.

Maintenant, alors que je suis sur le point de terminer ma formation à Oxford, mon visa va expirer dès le 21 août. Je ne serai plus autorisé à rester au Royaume Uni. Et pourtant, je ne serai pas autorisé à entrer sur la terre égyptienne tant que le passage ne sera pas ouvert à nouveau. Je ne peux pas demander une prolongation de mon visa, parce que c’est trop cher et que j’ai besoin d’avoir mon passeport en main quand le passage s’ouvrira subitement. Par ailleurs, pour aller dans n’importe quel autre pays, j’aurais besoin d’un visa d’entrée, ce qui exigerait beaucoup de temps. Aussi, mon seul vrai choix, c’est de ne rien faire d’autre qu’attendre. En croisant à nouveau les doigts.

Etre Palestinien signifie un processus sans fin de souffrances. Et si vous êtes Gazaoui, votre souffrance sera encore pire. Cela va-t-il jamais cesser ? Personne ne le sait.