Dans la plus grande université du Canada, d’importants groupes juifs perdent une bataille contre l’antisémitisme

Quand l’Université de Toronto a annoncé qu’elle avait accepté toutes les recommandations d’un groupe de travail du campus sur l’antisémitisme, beaucoup dans l’institution juive canadienne ont réagi avec frustration et….

Quand l’Université de Toronto a annoncé qu’elle avait accepté toutes les recommandations d’un groupe de travail du campus sur l’antisémitisme, beaucoup dans l’institution juive canadienne ont réagi avec frustration et colère.

« Ce rapport est plus que décevant » a déclaré Michael Mosty, dirigeant de B’nai Brith Canada, dans un communiqué. Friends of Simon Wiesenthal Center, un groupe basé à Toronto, a déclaré que le rapport montrait « un manque d’engagement et de courage », tandis que StandWithUs Canada déclarait qu’il utilisait un « cadrage trompeur ».

Mercredi dernier, l’université la mieux classée du Canada s’est engagée à prendre des mesures pratiques et à procéder à des changements structurels pour accueillir les Juifs sur le campus et combattre le sectarisme anti-juif – depuis garantir la disponibilité en nourriture casher, ne pas programmer d’évènements importants durant les jours fériés juifs, jusqu’à ajouter l’antisémitisme au portefeuille de son Bureau pour la lutte contre le racisme et la diversité culturelle.

Mais la colère provenait de la décision de l’école de rejeter une définition controversée de l’antisémitisme qui, selon ses partisans, vise nécessairement à protéger les étudiants juifs contre un activisme fanatique dirigé contre Israël.

« Les groupes juifs à l’extérieur sont extrêmement déçus que la définition de l’IHRA n’ait pas été acceptée » a dit Anna Shternshis, membre du groupe de travail, en se référant au langage promu par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste.

La décision du groupe de travail de ne pas adopter la définition est une perte notable pour les organisations juives qui ont travaillé assidûment ces dernières années afin de convaincre les universités, les gouvernements et d’autres institutions d’accepter la définition comme une première étape pour répondre aux taux croissants de l’antisémitisme.

Les organisations juives et universitaires progressistes qui s’étaient regroupés l’an passé pour résister à la définition de l’IHRA, qu’ils considèrent comme un outil visant à cibler les Palestiniens, ont affirmé que la décision de l’université était une victoire.

« Les institutions de droite pro-israéliennes ont exercé une forte pression » a dit Jonathan Brown Gilbert, membre d’IfNotNow Toronto, « mais beaucoup de personnes l’ont repoussée ».

Plus de 300 universitaires juifs ont signé en mars la Déclaration de Jérusalem sur l’antisémitisme, approuvant une définition qui rompt avec le langage de l’IHRA, et qui suggère que maintenir un double langage à l’égard d’Israël ou s’opposer à un État juif dans la région est antisémite.

Le désaccord sur la façon de définir l’antisémitisme cadre bien avec la controverse sur le niveau de discrimination auquel font actuellement face les étudiants juifs des universités aux USA et au Canada.

B’nai Brith Canada, l’un des groupes ayant exprimé leur colère contre le rapport de l’université, a publié l’an dernier un compte rendu sur l’antisémitisme à l’école qui brosse un tableau alarmant. Sa liste des incidents comprenait un graffiti antisémite, une professeure qui encourageait ses étudiants à effectuer « un décompte des Juifs » parmi les membres du corps enseignant, ainsi que plusieurs votes par des associations étudiantes sur le campus pour boycotter Israël.

Mais Independent Jewish Voices Canada, qui a fait campagne contre la définition de l’IHRA, a affirmé l’an dernier dans sa propre appréciation, que B’nai Brith utilise systématiquement une méthodologie qui surestime le niveau de l’antisémitisme afin de s’adapter à un ordre du jour politique qui inclut un soutien ferme à Israël.

Shternshis, qui dirige le Centre d’études juives sur le campus, a dit que les niveaux croissants de l’antisémitisme dans la société se reflétaient sur les campus, mais que la préoccupation suscitée par l’activisme israélien avait valu à l’école une réputation imméritée de foyer d’antisémitisme.

« Ces discussions ne sont pas aussi centrales à l’expérience universitaire que le pensent de nombreux parents juifs » dit Shternshis, dont le fils est étudiant à l’Université de Toronto. « Ce qui est plus troublant pour moi, c’est qu’en raison de cette réputation qui monte – ‘cette université est bonne mais elle devient antisémite’ – des étudiants juifs choisissent des universités de moindre qualité ».

Controverse limitée – ou tendance ?

Le rapport du groupe de travail de Toronto donne plusieurs exemples d’antisémitisme, et il affirme que le sectarisme envers les Juifs se manifeste parfois en lien avec Israël et que les stéréotypes anti-juifs visent souvent les « sionistes ». Mais il a refusé d’approuver toute définition de l’antisémitisme, déclarant qu’il existait des « opinions très divergentes » parmi les Juifs sur le campus et qu’en tant qu’université, il ne pouvait pas adopter un langage qui pourrait empiéter sur la liberté d’expression.

Cette incertitude autour de la définition a joué un rôle dans la décision de l’Université de Toronto de la rejeter. Le Jewish Faculty Network a été créé par des universitaires canadiens l’été dernier pour s’opposer à la définition de l’IHRA et l’Association canadienne des enseignants et enseignantes d’université, qui représente 72 000 membres du corps enseignant, a voté en novembre contre la définition.

Arthur Ripstein, un juriste de l’école qui a présidé le groupe de travail sur l’antisémitisme, a refusé une demande d’entretien, mais le rapport note qu’en plus de Hillel et d’autres grands groupes d’étudiants, son équipe avait rencontré des représentants d’Independent Jewish Voices.

Ripstein a déclaré dans un communiqué de presse que son objectif était d’aborder l’antisémitisme sur le campus « d’une manière qui soit sensible à la position particulière de l’université en tant que lieu d’érudition et lieu de désaccord universitaire ».

Pourtant, malgré la décision de l’Université de Toronto de ne pas délimiter strictement ce qui constitue l’antisémitisme, la définition de l’IHRa continue d’être largement approuvée par la plupart des grandes organisations juives aux États-Unis, et malgré la résistance, ce sont au moins une douzaine d’universités états-uniennes qui l’ont adoptée cette année.

Mark Weitzman, qui a conduit la définition par le biais du groupe de commémoration de l’Holocauste, a affirmé que sa défaite à l’Université de Toronto soulignait la domination continue de l’IHRA.

« La controverse est vraiment limitée », dit Weitzman. « Le monde juif dominant – et le monde non juif dominant – reconnaît vraiment la valeur et l’utilité de l’IHRA, et c’est une réaction de frustration à son égard ».