D’éminents intellectuels libéraux se déclarent pour la première fois favorables à un boycott sélectif d’Israël – Mais, est-ce suffisant ?

La New York Review of Books n’est pas connue pour être un lieu de diffusion de débats sur Israël-Palestine, et c’est pourtant exactement ce qui s’est passé. Récemment, deux déclarations….

La New York Review of Books n’est pas connue pour être un lieu de diffusion de débats sur Israël-Palestine, et c’est pourtant exactement ce qui s’est passé. Récemment, deux déclarations ont été publiées qui mettent très clairement en relief à la fois une rupture radicale des sionistes libéraux avec l’occupation israélienne et le chemin qu’il leur reste à parcourir pour prendre en compte les véritables racines de l’occupation.

Tout d’abord, dans l’édition du 13 octobre de la NYRB, un groupe d’éminents intellectuels, dont Todd Gitlin, Peter Beinart, Michael Walzer et plus de 70 autres, a publié une déclaration intitulée « Pour un Boycott Economique et une Non-reconnaissance Politique des Colonies Israéliennes dans les Territoires Occupés ».

Après avoir d’abord refusé un boycott académique d’Israël, les auteurs ont ensuite préconisé un boycott très ciblé d’Israël :

« Nous appelons à un boycott ciblé de tous les produits et services issus des colonies israéliennes dans les Territoires Occupés, et de tous les investissements qui favorisent l’occupation, jusqu’à ce qu’un accord de paix soit négocié entre le gouvernement israélien et l’Autorité Palestinienne. »

Ils terminent en affirmant que c’est la seule voie vers une solution à deux Etats :

« Notre espoir est que des boycotts ciblés et des changements dans la politique américaine, limités aux colonies israéliennes dans les Territoires Occupés, encourageront toutes les parties à négocier une solution à deux Etats à ce si durable conflit. »

C’est en vérité une déclaration importante,venant comme elle le fait d’un groupe qui comprend des individus qui ont jusqu’ici décrié toute notion d’un boycott d’Israël et ont en fait été réticents à la critiquer en des termes aussi forts. Cette déclaration peut et devrait être prise comme un signe de la frustration croissante des sionistes libéraux concernant la politique de l’État d’Israël qui devient de plus en plus profondément impliquée dans l’extension et la perpétuation de l’occupation illégale israélienne. La déclaration reconnaît en réalité que le « dialogue » et des « échanges ouverts », deux choses prétendument menacées par le boycott, se sont avérées inefficaces pour changer une situation qui empire sans cesse.

Mais cette déclaration contient deux réels problèmes. Le premier, c’est son but – les auteurs continuent à croire que rien d’autre qu’une « solution à deux Etats » ne pourrait être possible, étant donné la déclaration clairement faite par Netanyahu lors des élections de 2014 que cela n’arriverait jamais sous son gouvernement. Et on peut même considérer maintenant Netanyahu comme un modéré dans ce gouvernement de plus en plus ancré dans une politique d’extrême droite. Au vu de cette situation, même Roger Cohen, qui a longtemps été un défenseur de la solution à deux Etats, a écrit dans le New York Times :

« Une solution à deux Etats du conflit israélo-palestinien est plus lointaine que jamais, tellement inimaginable qu’elle apparaît comme à peine plus qu’une illusion soutenue par un raisonnement paresseux, un intérêt pour le statu quo ou un simple épuisement… Un plus grand Israël est ce que connaissent les Israéliens ; le plus petit Israël, à l’ouest de la Ligne Verte, qui est sorti de la guerre d’indépendance est un souvenir estompé. Le gouvernement droitier du premier ministre Benjamin Netanyahu, avec son mépris des Palestiniens et ses voix dissidentes en général, préfère les choses en l’état, comme le démontre l’expansion continue des colonies. »

Ceci appelle en effet l’ouverture d’échanges plus ouverts sur des alternatives possibles à cette idée maintenant moribonde.

Mais l’adhésion à une « solution » problématique n’est pas le principal défaut de leur proposition. Le principal défaut c’est que, en cherchant à isoler l’Occupation et à la désigner comme l’objet exclusif de son boycott, la lettre omet la logique structurelle qui soutient l’occupation – ce qui veut dire que mettre fin à l’Occupation ne mettra pas fin aux violations des droits fondamentaux des Palestiniens, dont l’Occupation n’est qu’une des manifestations. Et ceci signifie alors que la lettre de Gitlin manque de fermeté morale – elle ne prend pas en compte les mécanismes qui perpétuent les torts aux Palestiniens.

Dans une réponse faite à cette lettre, un groupe, qui comprend Angela Davis, Richard Falk, Rashid Khalidi, Joan Scott, Roger Waters et 117 autres personnes, a publié sa propre déclaration, « Sur le Boycott des Colonies Israéliennes », qui démontre combien les colonies sont inséparables du plus large projet colonial d’Israël.

Après avoir d’abord reconnu l’avancée de Gitlin et ales, les auteurs de la seconde déclaration expliquent en quoi ce n’est pas suffisant.

« Nous saluons le fait que cette déclaration brise le tabou du boycott des entités israéliennes qui – au moins sélectivement – sont complices des violations des droits fondamentaux des Palestiniens. Cependant, défiant tout bon sens, la déclaration appelle au boycott des colonies tout en laissant Israël, l’État qui a illégalement construit et maintenu ces colonies pendant des décennies, hors d’atteinte…

En omettant les autres graves violations du droit international commises par Israël, cette déclaration échoue au test de fermeté morale. Les réfugiés palestiniens, la majorité des Palestiniens, ne sont-ils pas habilités à jour de leurs droits tels que stipulés par l’ONU ? Les citoyens palestiniens d’Israël ne devraient-ils pas jouir de l’égalité des droits en abrogeant les dizaines de lois par lesquelles Israël leur fait subir une discrimination raciale ?

La société civile palestinienne a appelé au boycott, désinvestissement et sanctions (BDS) contre toutes les entités, israéliennes ou internationales, qui sont complices du déni des droits des Palestiniens, où qu’ils soient. »

L’idée d’un boycott limité et ciblé, comme suggéré par Gitlin et les autres, peut paraître attirante à certains qui souhaitent prendre leurs distances avec les violations des droits de l’Homme de plus ne plus criantes perpétrées par Israël contre les Palestiniens. Mais, si on veut être moralement et éthiquement conséquent, on ne peut laisser de côté les trois zones dans lesquelles ces droits sont déniés – dans les Territoires Palestiniens Occupés, dans Israël-Palestine même, et le déni des droits des Palestiniens en diaspora. Ne cibler que les TPO, c’est laisser intacts les mécanismes qui soutiennent le projet colonial de peuplement continu de l’État d’Israël.

En cherchant à tracer une ligne nette entre ce qu’elle condamne (les activités dans les Territoires Palestiniens Occupés) et ce qu’elle laisse libre de toute condamnation (les activités à l’intérieur de la prétendue Ligne Verte), la lettre de Gitlin ignore les contradictions fondamentales que révèlent la puérilité de leur effort – dans la réalité pratique, le projet d’Israël a très peu de respect pour la frontière sur laquelle cette Lettre fonde ses espoirs. En fait, Israël est précisément déterminé à l’effacer grâce à son incessante et implacable annexion des TPO par divers moyens, processus confirmé par les cartes d’Israël qui manquent à présenter des frontières.

Par exemple, Israël interdit à ses banques et sociétés de séparer leurs affaires à l’intérieur d’Israël de celles qui se trouvent dans les colonies. Ainsi, les signataires de cette lettre boycotteraient-ils les banques qui ne sont pas situées dans les TPO mais aideraient à financer et à faciliter les affaires dans les colonies illégales, ces banques incluraient la Banque Hapoalim, la Banque Leumi, la Première Banque Internationale d’Israël, la Banque Israélienne de Discount et la Banque Pizrahi Tefahot ? Suivraient-ils l’exemple de l’énorme fond de pension néerlandais, PGGM, qui a décidé d’exclure ces banques à cause de leur implication dans le financement des colonies israéliennes des territoires occupés et de décourager d’autres banques et corporations de lancer des projets liés aux colonies, alléguant de possibles violations du droit international ?

La Lettre détourne son attention du fait évident, et pour eux inconfortable, que la colonisation ne commence pas dans les colonies – elle commence chez et est soutenue par un colonisateur dont les intérêts se manifestent dans un programme systémique qui incorpore les colonies grâce à des structures et des mécanismes qui ne peuvent être dissociés sans mettre en danger le coeur de l’entreprise. Israël n’est pas susceptible de mettre fin à l’Occupation, parce qu’il ne voit tout bonnement pas l’Occupation comme telle, mais prétend depuis très longtemps que la Cisjordanie est un territoire à la « souveraineté disputée » qu’elle appelle depuis longtemps par ses noms bibliques de Judée et Samarie.

L’arme que choisit la Lettre ne vise pas au coeur – menacer d’un boycott économique des affaires dans les TPO n’a pas grand sens – les colonies comptent pour moins de 2 % dans l’économie israélienne. Il n’y a aucun espoir de faire pression sur Israël en ne ciblant que moins de 2 % de l’économie.

Plus important – une morale conséquente exige le respect des droits stipulés par l’ONU de tous les Palestiniens et pas simplement le choix des seuls droits de ceux qui vivent sous Occupation tout en ignorant les autres qui souffrent des mêmes atteintes systémiques à leurs droits à l’intérieur d’Israël. Tout comme il y a une continuité entre l’illégalité de l’Occupation et l’illégalité de l’inégalité des droits pour les Palestiniens d’Israël et le déni du droit au retour, internationalement reconnu, pour les Palestiniens de la diaspora, nous avons tout autant besoin du boycott, désinvestissement et sanctions contre l’État qui est l’agent qui se trouve derrière ces dénis systémiques des droits.

Le boycott, par définition, n’est pas un but mais une stratégie non violente, ou un ensemble de stratégies, pour atteindre un but. Le but de la majorité absolue de la société civile palestinienne, comme elle fut exprimée dans l’Appel BDS de 2005, est d’obtenir la liberté, la justice et l’égalité, ainsi que de parvenir à une paix juste avec Israël. Ancré dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, BDS est une stratégie éthiquement conséquente et efficace pour obtenir les droits des Palestiniens, tout en rejetant catégoriquement toute forme de racisme et de discrimination, y compris l’antisémitisme.

Dans l’esprit de la solidarité mondiale avec la lutte anti-apartheid en Afrique du Sud et avec le Mouvement pour les Droits Civiques aux Etats Unis, tous ceux qui veulent sérieusement s’intéresser à la situation du peuple palestinien devraient soutenir les mesures efficaces et contextuelles de boycott et de désinvestissement contre le régime israélien d’occupation, de dépossession et d’oppression coloniale et contre les institutions académiques et culturelles ainsi que les corporations qui se rendent complices du déni des droits des Palestiniens selon le droit international.