Comment le plus grand festival de films de Palestine défie les murs, les barrages routiers et le manque de moyens

Comment créer un festival national du film dans un pays morcelé et étouffé par le manque de financement? Screen Daily rend visite aux « Palestine Cinema Days ».

La cinquième édition des « Palestine Cinema Days » – le plus grand festival de cinéma de Palestine – s’est déroulée en octobre avec un programme généreux de projections de 60 titres, réparties dans les villes de Ramallah, Bethléem et Naplouse, ainsi qu’à Jérusalem et dans la Bande de Gaza déchirée par une situation conflictuelle.

L’événement a été lancé par le Filmlab Palestine de Ramallah en 2014 afin d’encourager les jeunes Palestiniens à s’emparer du cinéma pour témoigner de leur vécu, de construire une structure de production et de promouvoir une culture du cinéma. «Les Palestiniens ont principalement accès au cinéma par le biais de chaînes de télévision par satellite, qui ont tendance à diffuser des films commerciaux hollywoodiens», explique Hanna Atallah, directeur artistique du Filmlab Palestine. «Au début, il n’y avait q’une poignée d’invités, principalement nos amis. Nous leur disions : « Viens, puis fais marcher le bouche à oreille. » »

L’édition de cette année accueillait les deuxièmes Rencontres du Film Palestinien (PFM), animées par le cinéaste Muayad Alayan, qui a récemment réalisé le film « The reports on Sarah and Saleem » plusieurs fois primé. Ces rencontres présentaient des projets de longs métrages locaux, dont sept avaient participé à un atelier proposé par « l’European Audiovisual Entrepreneurs » (EAVE) organisé à Ramallah en mars dernier.

Il y avait aussi un riche programme de rencontres et débats dont une discussion très suivie sur la possibilité pour la Palestine de suivre le modèle de Malte et de se transformer en un lieu de tournage international – une session dirigée par la productrice maltaise Joyce Grech et Laura Hawa, productrice des films palestiniens « Wajib » d’Annemarie Jacir et « The Idol » d’Hany Abu-Assad.

Quelque 50 invités internationaux ont répondu à l’invitation des organisateurs, dont Bero Beyer, directeur artistique du Festival international du film de Rotterdam, Maike Mia Höhne, responsable du court métrage à la Berlinale, Kiva Reardon, qui programme les films d’’Afrique et du Moyen-Orient au Festival international du film de Toronto, et une douzaine de représentants de festivals de films Palestiniens à l’étranger, dont beaucoup se rendaient en Palestine pour la première fois.

Parmi les nouveaux projets les plus remarqués présentés lors des PFM, citons le thriller « The Girl » de Said Zagha, explorant les divisions de la société palestinienne à travers le récit d’un officier de sécurité dont la fille est kidnappée par des militants, et la comédie dramatique « Barzakh » de Laila Abbas, à propos de deux sœurs qui cachent le fait que leur père est décédé afin de contourner les lois sexistes en matière de succession, ce dernier a remporté trois prix à la plate-forme de projet « CineGouna » au festival du film d’El Gouna en Égypte, en septembre.

Nous avons aussi pu repérer des projets documentaires forts, tels que « The children of smuggled sperm » de Sawsan Qaoud, évoquant la conception de quelque 60 enfants par insémination artificielle grâce à la récupération clandestine du sperme de leurs pères prisonniers palestiniens dans les prisons israéliennes, et « We carve words in the earth » de Mahasen Nasser-Eldin, à la recherche de l’histoire oubliée des femmes palestiniennes.

TROUVER LES FINANCEMENTS

Lina Bokhary, en charge du cinéma au ministère palestinien de la Culture, estime qu’une nouvelle génération de cinéastes est en train d’émerger en Palestine, mais que l’absence de subventions d’Etat et le manque d’infrastructures locales rendent difficile la bataille pour la naissance de projets sur place.

«Le gouvernement subit des pressions financières sur de nombreux fronts. La culture, et à fortiori le cinéma, ne figurent pas en tête des priorités », a déclaré Lina Bokhary, qui a indiqué que son budget annuel ne dépassait pas 100 000 dollars.

Les « Palestine Cinema Days » se déroulaient à la fin d’une année éprouvante pour la Palestine. Alors qu’Israël célébrait le 70e anniversaire de sa création en mai 1948, les Palestiniens commémoraient ce qu’ils appellent la « Nakba », ce qui signifie « catastrophe » : 700 000 personnes avait été chassées de chez elles.

La décision du transfert de l’ambassade de Etats-Unis de Tel-Aviv à Jérusalem en mai, ainsi que l’annulation de la contribution annuelle de 300 millions de dollars à « l’United Nations Relief and Works Agency for Palestinian Refugees in the Near East » (UNRWA) ont également exacerbé le sentiment général d’abattement.

La sélection reflétait ce sentiment, associant les succès de festivals internationaux évoquant les thèmes de la souffrance humaine, de la résilience et une vitrine de courts métrages de fiction et de documentaires locaux concourant dans la compétition du prix Sunbird.

Le film d’animation « The Tower », qui raconte la vie à travers les yeux d’une fillette de 11 ans dans le camp de réfugiés palestiniens du Burj el-Barajneh au Liban, a donné le coup d’envoi lors d’une projection de gala au palais de la culture de Ramallah, en présence du réalisateur norvégien du film Mats Grorud et de son producteur Frode Sobstad.

Parmi les autres titres internationaux, citons le film français « Le procès contre Mandela et les autres » de Nicolas Champeaux et Gilles Porte, reconstitution du procès de Nelson Mandela entre 1963 et 1964, le film égyptien d’A.B. Shawky, « Yomeddine », sur un survivant de la lèpre qui entreprend un voyage à la recherche de ses racines, accompagné d’un orphelin de rencontre, et le film irakien « The Journey » de Mahamed Al-Daradji, l’histoire d’une femme kamikaze à Bagdad.

La restriction des mouvements en Cisjordanie occupée – en raison des checks-points israéliens permanents ou volants, du mur de séparation et de la sécurité renforcée autour des colonies israéliennes illégales – était un thème récurrent dans de nombreux films locaux.
Hanna Atallah a indiqué que c’était une des principales raisons pour lesquelles le festival avait lieu sur cinq sites. «Il y a un manque de mobilité», dit-il. «Il peut être difficile de de sortir de sa ville pour rejoindre un site unique. Répartir les projections dans des endroits différents a plus de sens. »

Les invités professionnels ont eu la chance de vivre l’expérience d’une heure et demie de bus de Ramallah à Bethléem, deux villes distantes de 22 km, pour participer à une journée d’évènements professionnels au nouveau « Dar Yusuf Nasri Jacir for Art and Research Cultural Center », créé par la réalisatrice du film « Wajib », Annemarie Jacir, et sa sœur, l’artiste plasticienne Emily Jacir, dans la maison de leurs grands-parents décédés. La journée s’est terminée par une promenade le long du mur de séparation israélien avant de reprendre le bus. Le conducteur a franchi des checks-points et des contrôles impromptus du vendredi tout le long de la route de montagne sinueuse qui mène au centre principal du festival, Ramallah.


UN SANCTUAIRE CULTUREL

Le nouveau « Dar Yusuf Nasri Jacir for Art and Research Cultural Center » est un projet passionnant, donnant ainsi un nouveau souffle à la maison arabe traditionnelle en pierre qui abritait autrefois les grands-parents des sœurs Jacir.

Construite en 1890 sur la route historique reliant Hébron à Jérusalem, la maison se trouve à seulement 200 mètres d’une partie particulièrement sensible du mur de séparation israélien construite autour du site sacré juif de la tombe de Rachel, à la limite de Bethléem. Les camps de réfugiés de la ville, Aida, Dheisheh et Azza, se trouvent également à proximité.

Ces dernières années, les alentours de la maison sont devenus une zone de violents affrontements entre soldats israéliens et palestiniens, mais cela n’a pas dissuadé les sœurs Jacir, descendantes d’une riche famille de marchands de Bethléem qui a perdu sa fortune dans les années 1930, mettant en œuvre leurs plans pour restaurer le bâtiment et le transformer en un centre d’art et de recherche dynamique, tissant des liens locaux et internationaux.

Sa restauration est encore en cours, les activités à venir comprennent un projet de jardin potager destiné aux enfants du camp de réfugiés d’Aida, un atelier d’écriture animé par le cinéaste et artiste Duncan Campbell, une résidence de l’artiste palestinien Mohamed Saleh et une création paysagère de l’artiste Vivien Sansour.

«Nous allons y organiser de plus en plus de projections de films cette année et un certain nombre de master classes animées par des producteurs, des critiques, des directeurs de la photographie et des réalisateurs», déclare Annemarie Jacir.

Les deux sœurs tiennent également à valoriser et numériser les archives conservées par leur arrière-grand-père et leur grand-père ; Elles invitent des chercheurs et des universitaires pour des résidences d’étude.

« Ils ont tout gardé, depuis l’occupation ottomane de la Palestine suivie de l’occupation britannique jusqu’à l’occupation israélienne d’aujourd’hui. Ce sont des archives d’une richesse incroyable et nous les numérisons pour que les chercheurs et les universitaires puissent les utiliser », déclare Annemarie Jacir.