De passage à Paris, Hagai El-Ad, le directeur de l’ONG B’Tselem, dresse un tableau très sombre de la situation dans les Territoires occupés et appelle à un sursaut international.
Il y a un an, Hagai el-Ad, directeur de B’Tselem (ONG israélienne de défense des droits humains dans les Territoires occupés) prononçait un discours décrivant sans concession l’avancée de la colonisation de la Cisjordanie occupée et de Jérusalem-Est devant un panel de l’ONU. El-Ad réclamait un engagement de la communauté internationale et des sanctions. De quoi déclencher l’ire de Benyamin Nétanyahou et son gouvernement de coalition avec l’extrême droite. Deux mois plus tard, l’ONU vote la première résolution condamnant officiellement la colonisation depuis 1979, grâce à l’abstention des Etats-Unis d’Obama.
Soixante-dix ans après le vote du plan de partage de la Palestine par l’ONU et cinquante ans après la première résolution condamnant l’occupation des Territoires palestiniens, El-Ad sera à Paris lundi pour un colloque organisé au Sénat par l’Institut de recherche et d’études Méditerranée Moyen-Orient intitulé «Israël-Palestine : que la France s’engage».
Quel bilan tirez-vous de l’année écoulée ?
La seule avancée positive fut la résolution 2334 de l’ONU. C’était un moment exceptionnel – même si elle reste à être suivie par Israël. Au-delà de ça, ce fut une année très décevante, une année de plus d’occupation israélienne, avec un développement significatif des colonies et des destructions de maisons palestiniennes qui menacent des communautés entières.
Votre diagnostic est toujours plus alarmiste mais on dirait que vous n’arrivez plus à le faire entendre…
L’occupation est une réalité tolérée par le monde depuis maintenant cinquante ans. Il est difficile d’injecter un sentiment d’urgence. Cette tolérance est due à plusieurs facteurs. D’abord, il y a la façon dont Israël profite des désaccords entre les acteurs internationaux et les retourne à son avantage. Ensuite, l’instrumentalisation des accusations d’antisémitisme, très efficace pour réduire l’autre au silence. Le gouvernement israélien essaye de mettre un signe d’égalité entre deux choses qui n’ont rien à voir : le rejet de l’occupation, qui se base sur la morale et la raison ; et l’antisémitisme, qui est une chose inadmissible pour tous. Leur raisonnement est le suivant : rejeter la colonisation est synonyme du rejet d’Israël, lui-même considéré comme de l’antisémitisme et un soutien au terrorisme.
Pour la communauté internationale, l’occupation reste l’obstacle majeur à la solution à deux Etats…
Nous n’avons pas de position là-dessus en tant qu’organisation – un Etat, deux Etats, il existe plusieurs solutions… Nous demandons la fin de l’occupation parce qu’elle bafoue les droits humains, point. Pour ce qui est des scénarios politiques, du moment que celui choisi satisfait les concepts d’autodétermination, de justice et d’Etat de droit, nous le soutiendrons. Le seul scénario incompatible est l’occupation perpétuelle.
Pourquoi définissez-vous la colonisation comme «perpétuelle» ?
A l’origine, l’occupation a été présentée par Israël comme temporaire, une conséquence de la guerre de 1967. Mais trois observations nous permettent de dire qu’on est passé à un stade perpétuel. Le passage du temps, un demi-siècle, ça n’a rien de temporaire ; les investissements massifs des gouvernements, et particulièrement l’actuel, dans des infrastructures permanentes en Cisjordanie ; les prises de position de plus en plus assumées par l’ensemble du leadership israélien.
En mai 2016, vous avez annoncé la fin de votre collaboration avec les tribunaux militaires pour enquêter sur les abus commis par les soldats dans les Territoires occupés…
Pendant trente ans, nous avons tenté de mettre en place de la responsabilité et de la transparence, en recensant systématiquement les cas des Palestiniens abusés, blessés ou tués par les unités de sécurité israélienne dans les cas où la force n’était pas nécessaire. Depuis 2000, nous avons monté plus de 700 dossiers qui, selon nous, justifiaient l’ouverture d’une instruction. Ces quinze dernières années, des charges ont été portées dans seulement 3 % des cas. La plupart du temps, il n’y a même pas eu d’instruction. Le système n’est pas défaillant : il installe l’impunité à travers une fausse impression de transparence. Et cela dépasse les tribunaux militaires. C’est également le cas dans les cours de justice civile, voire jusqu’à la haute cour de justice, qui offre une apparence de légalité à l’occupation.
Ces derniers mois, le gouvernement est monté d’un cran dans ses attaques contre les ONG anti-occupation comme la vôtre…
Les politiciens ont découvert que ce type de propagande négative à usage «interne» était très efficace auprès de l’opinion publique israélienne. Ces gesticulations – nous qualifier de «quatrième colonne», de «traîtres à la patrie», «d’agents étrangers» – sont non seulement devenues banales mais surtout très populaires et utiles pour s’ériger en tant que patriote. Le niveau d’intimidation et d’appels à la haine que l’on voit en ce moment est sans précédent.