Chomsky : Hillary Clinton craint le BDS parce qu’il s’oppose à des décennies de soutien US à l’agression israélienne

Nous évoquons avec le dissident politique bien connu Noam Chomsky les positions prises par les candidats démocrates à la présidentielle sur la question d’Israël et du mouvement de Boycott, Désinvestissement….

Nous évoquons avec le dissident politique bien connu Noam Chomsky les positions prises par les candidats démocrates à la présidentielle sur la question d’Israël et du mouvement de Boycott, Désinvestissement et Sanctions, ou BDS. « Le boycott et les sanctions vont parfaitement dans le bon sens quand ces tactiques sont appliquées correctement, comme elles le sont souvent », dit Chomsky. « Vous pouvez comprendre pourquoi Hillary Clinton en a peur. Elles pourraient miner la politique de son mari et de ses prédécesseurs, et d’Obama tout autant, consistant à soutenir la violence et l’agression israéliennes ».

Transcription

(Transcription en urgence. Copie qui pourrait ne pas être dans sa forme définitive).

AMY GOODMAN : Noam, je veux revenir au débat des Démocrates qui a eu lieu ici à Brooklyn. Bernie Sanders et Hillary Clinton se sont affrontés sur la question d’Israël et de la Palestine. Nous commençons avec une question de l’animateur, Wolf Bllitzer.

WOLF BLITZER : Mme la ministre Clinton, êtes-vous d’accord avec le sénateur Sanders quand il dit qu’Israël réagit de façon excessive aux attaques palestiniennes, et que, pour qu’il y ait la paix entre Israël et les Palestiniens, Israël doit, je le cite « mettre fin à ses réponses disproportionnées » ?

HILLARY CLINTON : Je peux vous le dire maintenant, parce que je suis allée là-bas, avec des responsables israéliens qui disaient que depuis plus de 25 ans, ils n’avaient pas connu ce genre d’attaques. Ils n’invitent pas les roquettes à venir s’abattre sur leurs villes et villages. …Donc, je ne sais pas comment vous pouvez gérer un pays quand vous êtes sous une menace constante, sous une attaque terroriste, quand des roquettes foncent sur vous. Vous avez le droit de vous défendre… et laissez-moi vous dire ceci : si Yasser Arafat avait accepté, avec mon mari à Camp David à la fin des années 1990, la proposition que le Premier ministre Barak avait mise en avant, nous aurions un État palestinien…

WOLF BLITZER : Je vous remercie. Sénateur, à vous.

HILLARY CLINTON : …depuis 15 ans, déjà.

WOLF BLITZER : Allez-y, Sénateur.

SÉNATEUR BERNIE SANDERS : Je ne pense pas que qui que ce soit suggère qu’Israël invite ou salue bien les missiles qui survolent le pays. Ce n’est pas la question. Et vous éludez la réponse. Vous vous dérobez devant la question. La question est non pas de savoir si Israël a le droit de répondre, non pas si Israël a le droit de poursuivre les terroristes et de détruire le terrorisme. Ce n’est pas le débat. C’est, est-ce que sa réponse était disproportionnée ? Et je crois qu’elle l’était. Vous n’avez pas répondu à cela… Il vient un moment où, si on recherche la justice et la paix, il nous faudra dire que Netanyahu n’a pas tout le temps raison.

AMY GOODMAN : C’était donc Bernie Sanders et Hillary Clinton sur la question d’Israël et de la Palestine. Noam Chomsky, quelle est votre réponse ?

NOAM CHOMSKY : Eh bien, il est intéressant et utile que Sanders ait dit cela. À l’échelle du monde, cela nous éloigne vers l’extrême – je ne connais par la norme pour qualifier cela, la droite nationaliste. La discussion – la question de la réponse disproportionnée d’Israël – est un peu comme celle sur l’expansion des colonies, la seule que vous soyez autorisés à discuter ici. Ce ne sont pas les bonnes questions. La question est : pourquoi n’y a-t-il aucune réponse du tout ? Pourquoi y a-t-il la moindre colonie ? Les colonies sont totalement illégales. Cela a été déterminé par les plus hautes autorités : le Conseil de sécurité, la Cour internationale de Justice, la Croix-Rouge, les ministres des Conventions de Genève. Il n’y a aucune question quant à leur légalité. À un moment, les USA ont eux aussi admis qu’elles étaient illégales. Maintenant, ils disent simplement que c’est un obstacle à la paix. Voilà – et c’est vrai aussi avec la réponse disproportionnée.

Parlons de ces prétendus missiles. Tout d’abord, il n’y a pas le moindre missile, mais ce que l’on appelle des attaques de roquettes qui se produisent. Pourquoi se produisent-elles ? Examinez le dossier. J’en ai fait le tour en détail, il est disponible en librairie, si vous voulez le regarder ; en fait, c’est même dans le livre que avez mentionné. Invariablement, ce qu’il se passe, c’est ceci : un accord de cessez-le-feu est conclu entre le Hamas et Israël. Les conditions sont toujours les mêmes : la fin du siège, pas de nouvelle action militaire, début des relations commerciales, et ainsi de suite. Israël en arrête là ; le Hamas respecte les conditions. Puis Israël n’en tient absolument aucun compte – il maintient le siège, un siège brutal, dur, et il poursuit ses actions militaires. Finalement, une escalade dans les attaques israéliennes entraîne une réponse de la part du Hamas. À ce moment-là, nous en venons à un autre épisode de ce qu’Israël appelle poliment, « la tonte de la pelouse », où chaque tonte est pire que les précédentes. Et puis, nous, nous en arrivons à cette question : est-ce que la réponse d’Israël est disproportionnée ? Vraiment, si ce n’était pas si grotesque, ce serait comique. Car la vraie question, c’est : pourquoi Israël maintient-il un siège dur, brutal, malfaisant, qui est en train de détruire Gaza, un siège qui viole systématiquement les accords de cessez-le-feu conclus, et puis, quand là-bas certains répondent à ses crimes qui s’intensifient, il lance une attaque gigantesque, pendant qu’ici, son protecteur discute pour savoir si la réponse ne serait pas disproportionnée ?

Il est précisément là le vrai problème. Tant que les États-Unis continueront de soutenir tout cela, cela ira en continuant. Et par la même occasion, le soutien US aux actions israéliennes ne s’en tient pas là : non seulement il soutient des infractions au droit international, mais il viole aussi explicitement la législation états-unienne. Jetez-y un œil à notre législation, à celle qu’on appelle la loi de Leahy. Elle interdit formellement l’envoi de matériel militaire à tout autre groupe militaire qui est impliqué dans des violations répétées des droits de l’homme. Il n’y a simplement aucun doute sur l’implication de l’armée israélienne dans des violations extrêmement graves des droits de l’homme, et de façon constante. Aujourd’hui, voilà pourquoi des organisations comme Amnesty International et, si je me souviens bien, Human Rights Watch, exigent qu’il soit interdit d’envoyer des armes en Israël – conformément à la loi US, d’ailleurs. Donc, oui, si les États-Unis étaient fidèles à la loi des États-Unis, s’ils cessaient d’apporter un soutien décisif aux activités de colonisation auxquelles ils prétendent être opposés, ainsi qu’à tout autre répression et violence, alors oui, il n’y aurait plus besoin de réponse, et certainement pas d’une réponse disproportionnée.

Quant à la fameuse proposition de Clinton, hélas, à Camp David, Mme Clinton pourrait se souvenir que Clinton lui-même a reconnu qu’elle était inadéquate. Quelques mois plus tard après Camp Davic, en décembre, il a publié ce qu’il a appelé ses paramètres pour un accord. Les deux parties les ont acceptés. Les deux parties ont émis des réserves. Israël a fait des réserves extrêmement sévères. Ils devaient les négocier à Taba, en janvier 2001. Les négociations ont eu lieu. Elles ont été interrompues par Israël au moment où les négociateurs, au moins, se disaient assez proches d’un accord, un accord qui était beaucoup moins extrême, côté pro-Israël, que les propositions de Clinton. Eh bien, le Premier ministre Barack lui-même a dit officieusement que – peut-être, je présume, à juste titre – que les négociateurs israéliens à Taba n’avaient aucune autorité pour négocier quoi que ce soit, de sorte que c’était une sorte de spectacle.

AMY GOODMAN : Noam, je veux revenir aux candidats sur cette question, particulièrement à ce qu’a dit Hillary Clinton à l’AIPAC en début de cette année, quand elle a critiqué le mouvement BDS, le mouvement de Boycott, Désinvestissement et Sanctions.

HILLARY CLINTON : Comme je l’ai écrit l’année dernière dans une lettre aux dirigeants des organisations juives américaines, nous devons être unis dans la lutte contre le BDS. Beaucoup de ses partisans ont diabolisé les scientifiques et intellectuels israéliens, même les étudiants. À tous les étudiants qui pourraient avoir rencontré cela sur un campus, je veux vous dire que j’espère que vous resterez forts. Continuez de vous exprimer. Ne vous laissez pas réduire au silence, intimider, ne soyez pas tentés de mettre fin au débat, spécialement dans des lieux d’érudition comme les facultés et universités. L’antisémitisme n’a pas sa place dans aucune société civilisée – pas en Amérique, pas en Europe, nulle part.

AMY GOODMAN : Professeur Noam Chomsky, pouvez-vous répondre à la candidate aux présidentielles, Hillary Clinton ?

NOAM CHOMSKY : Eh bien, pour une part, ce qu’elle vient de dire est tout à fait exact. Je suis fortement, je suis même très heureux, qu’elle convienne qu’il ne faut pas clore le débat sur cette question sur les campus. Elle le fait quelque 40 années trop tard. Au fil des décennies passées, j’ai accumulé beaucoup d’expériences. Les rares autres personnes qui parlent de cette question ont fait des expériences similaires, tentant de donner des conférences sur ce sujet sur les campus universitaires, avec la protection de la police et des réunions qui étaient interrompues violemment, avec une sécurité du genre de celle des aéroports aux entrées. Même dans ma propre université, jusqu’à récemment, non seulement il devait y avoir une présence policière, mais la police insistait pour que je retourne à ma voiture, simplement en raison de la menace de violence. Voilà, cela dure depuis des décennies. Et il est très agréable que Mme Clinton se soit finalement décidée, oui, il serait peut-être agréable d’avoir un débat libre et ouvert sur les campus – comme c’est le cas actuellement et pour la première fois. Et c’est une bonne chose que ce soit le cas, qu’il y ait maintenant une possibilité pour un débat libre et ouvert sur les campus. Vous pourriez trouver, si vous les cherchez, des cas d’excès, ils sont marginaux. Ça me rappelle, en remontant aux années 1970, quand des gens comme Seymour Martin Lipset étudiaient désespérément la presse noire locale pour voir s’ils y trouveraient quelque propos antisémites quelque part, pour qu’ils puissent ensuite condamner les mouvements des Noirs comme antisémites. Ouais, je peux comprendre ce qui se joue. Mais le fait est, maintenant, que pour la première fois, nous avons une discussion libre, ouverte, approfondie, sur les campus – pas parfaite, par tous les moyens – vous pouvez trouver des choses sur tous les côtés, mais radicalement différentes d’auparavant.

Quant aux tactiques de boycott et de désinvestissement, elles sont parfaitement sensées. Quand l’Église presbytérienne impose un boycott et un désinvestissement sur tout ce qui peut être lié aux territoires sous occupation israélienne, y compris sur les multinationales états-uniennes – ce qui est crucial – qui sont impliquées dans les territoires, c’est une avancée très positive, qui soutient non seulement le droit international, mais aussi les vrais principes moraux, c’est un acte important, un acte non violent, qui s’oppose à la brutalité, à la violence et à la répression. Nous pourrions, je pense, aller beaucoup plus loin. Comme je l’ai dit, nous devrions demander l’application de la législation états-unienne, et aussi rejoindre Amnesty International et d’autres pour exiger la fin de l’aide militaire US à Israël. Le boycott et les sanctions vont parfaitement dans le bon sens quand ces tactiques sont appliquées correctement, comme elles le sont souvent.

Vous pouvez comprendre pourquoi Hillary Clinton en a peur. Elles pourraient miner la politique de son mari et de ses prédécesseurs, et d’Obama tout autant, politique qui consiste à soutenir la violence et l’agression israéliennes, à protéger l’armement nucléaire israélien de tout contrôle – ce qui fait que nous ne pouvons pas avoir une zone libérée de l’arme nucléaire dans la région -, à opposer notre veto aux résolutions du Conseil de sécurité, des résolutions qui sont conformes à la politique US officielle, comme Obama l’a fait en février 2011. Ouais, et les actions non violentes pour miner cela, les actions légitimes, bien sûr qu’elles effraient Hillary Clinton, énormément. Et après, vous entendez des tirades comme celle-ci.

Mais une part en était correcte. À savoir que c’est une bonne idée de protéger le droit à une libre discussion et à un libre débat sur les campus. Il est dommage que cela ne lui soit pas venu pendant les 40 années passées, quand il était impossible d’avoir un débat et une discussion sans violence, sans la protection de la police, et tout le reste.

AMY GOODMAN : Noam, je veux faire une pause, et ensuite, vous demander qui vous soutenez dans cette course à la présidentielle. Vous, Noam Chomsky, dissident politique de renommée mondiale, linguiste, écrivain, professeur émérite à l’Institut de technologie du Massachusetts. Votre dernier livre : Who Rules the World ? (Qui dirige le monde ?). Restez avec nous.