Voilà une bonne nouvelle pour tous les citoyens attachés en France à l’exercice de la liberté d’expression sur des sujets d’intérêt général, notamment internationaux. Mais aussi une bonne nouvelle pour….
Voilà une bonne nouvelle pour tous les citoyens attachés en France à l’exercice de la liberté d’expression sur des sujets d’intérêt général, notamment internationaux. Mais aussi une bonne nouvelle pour tous ceux, de plus en plus nombreux, qui se mobilisent afin d’obtenir le respect du droit international en Palestine dans le cadre de la campagne internationale « Boycott Désinvestissement Sanctions » (BDS) lancée en 2005 à la demande de la société civile palestinienne et relayée en France depuis 2009. Le 19 mai 2014, la Cour d’appel de Montpellier (n°13/01881, 3ème chambre correctionnelle) a confirmé le jugement du tribunal correctionnel de Perpignan du 14 août 2013 (n° 1738/2013, Recueil Dalloz 2013 p. 2033), estimant que les poursuites pénales engagées contre trois militants de la campagne BDS n’étaient pas fondées en droit. Rappelons brièvement les faits ayant donné lieu à cette affaire.
Le 15 mai 2010, vers 9 h 30, un groupe de personnes – entre 20 et 30 – pénétrait dans le magasin Carrefour de Perpignan et y distribuait des tracts, dépliait une banderole et tenait des discours relayant la campagne BDS contre la politique de l’Etat d’Israël en vue d’obtenir le respect du droit international. Cette action avait pour but de convaincre les clients du magasin de ne plus acheter des produits israéliens. Aucun fait de violence ni aucune dégradation n’était commis. Aucune plainte n’était déposée par le magasin. Une vidéo tournée lors de l’action conduite par les militants était placée sur des sites internet associatifs.
Le bureau national de vigilance de lutte contre l’antisémitisme consultait la vidéo et le 1er juin 2010 déposait plainte auprès du parquet de Perpignan, qui diligentait une enquête. Le service de police saisi visionnait la vidéo et identifiait trois personnes, qui étaient interrogées et reconnaissaient les faits. Le parquet décidait d’engager des poursuites pénales devant le tribunal correctionnel de Perpignan, sur le fondement de l’infraction de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée (article 24 alinéa 8 de la loi du 29 juillet 1881 sur la presse).
Par jugement du 14 août 2013, le tribunal correctionnel de Perpignan prononçait à titre principal la nullité des citations délivrées. Le parquet général faisait appel de la décision, sans doute en application de directive du ministère de la justice du 12 février 2010 (CRIM-AP n° 09-900-A4). Cette circulaire, dite Alliot-Marie, du nom du ministre de la Justice de l’époque, considère que l’appel lancé par un citoyen au boycott des produits originaires d’un Etat est susceptible de constituer une infraction de « provocation publique à la discrimination », nécessitant de la part des procureurs de la République une répression « ferme et cohérente ». La circulaire propose, par une interprétation extensive du droit pénal, de combiner deux textes sans lien et dont les objets sont totalement distincts, à savoir, d’une part, l’article 24, alinéa 8, de la loi du 29 juillet 1881, qui réprime l’incitation à la discrimination contre les individus (notamment en fonction de leur origine), et, d’autre part, l’article 225-2, 2° du code pénal qui réprime l’entrave à l’exercice normal d’une activité économique. Le premier texte a été introduit par la loi n° 72-546 du 1er juillet 1972 relative à la lutte contre le racisme, laquelle avait pour objet la transposition en droit interne de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale du 21 décembre 1965 en vue de permettre la lutte contre toutes les formes de « discrimination entre les êtres humains pour des motifs fondés sur la race, la couleur ou l’origine ethnique ». Le second texte est issu de la loi n° 77-574 du 7 juin 1977 portant diverses dispositions d’ordre économique et financier, adoptée en vue de protéger les entreprises françaises qui se heurtaient à un boycott de certains Etats membres de la Ligue arabe lesquels subordonnaient leurs contrats à une cessation de toute relation commerciale avec Israël.
Il n’est dès lors pas étonnant que la majorité des juridictions du fond, tenues de faire une interprétation stricte des textes de droit pénal, annule les poursuites engagées (Tribunal correctionnel de Pontoise, 14 octobre 2010, n° 0915305065 ; Cour d’appel de Paris, pôle 2, ch. 7, 28 mars 2012, n° 11/05257 ; 5 février 2014, n°13/01679) ou relaxe les prévenus (Tribunal correctionnel de Paris, 8 juillet 2011, n° 09-18708077 : Gazette du Palais, 1er septembre 2011, p. 15 ; Tribunal correctionnel de Mulhouse, 15 décembre 2011, n° 3309/2011 et n° 3310/2011 : Gazette du Palais 16 février 2012, p. 9 ; Recueil Dalloz 2012, p. 439 ; Tribunal correctionnel de Bobigny, 3 mai 2012, n° 09-07782469 ; Cour d’appel de Paris, pôle 2, chambre 7, 24 mai 2012, n° 11/6623 : Gazette du Palais 25-26 juillet 2012, p. 20 ; Tribunal correctionnel de Perpignan, 14 août 2013, n° 1738/2013 : Recueil Dalloz 2013, p. 2033 ; Tribunal correctionnel de Pontoise, 20 décembre 2013, n° 10-208005397, Actualité juridique pénal, février 2014, p. 78). Relevons cependant des décisions contraires (Cour d’appel de Bordeaux, 22 octobre 2010, 3ème ch. correctionnelle, n°10/00286, Recueil Dalloz 2011, p. 931 ; Tribunal correctionnel d’Alençon, 19 septembre 2013, n°479/13 ; Cour d’appel de Colmar, 27 novembre 2013, n°13/01122 et n°13/01129, La semaine juridique édition générale 2014, p. 83), qui ont pu, pour certaines, être inspirées par des circonstances particulières de fait.
Dans l’affaire soumise aux juges d’appel montpelliérains, l’acte de citation reprochait aux trois prévenus des « discours proférés dans un lieu public », en l’espèce « en interpellant les clients du magasin Carrefour en leur demandant de ne pas acheter des produits en provenance d’Israël ». Or, remarque la Cour, l’acte de citation ne mentionnait pas le contenu exact et précis des discours proférés. Dans ces conditions, comme le note la Cour, les prévenus ne pouvaient pas connaître avec certitude les points sur lesquels ils devaient s’expliquer et en conséquence se défendre.
Le raisonnement est identique quant aux écrits. L’acte de citation reprochait aux trois prévenus « des écrits distribués ou exposés dans un lieu public », en l’espèce « en distribuant des tracts BDS appelant au boycott des produits en provenance d’Israël ». Or l’acte de citation ne mentionnait pas les passages des tracts susceptibles de constituer une provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence. Dans ces conditions, comme le note la Cour, les prévenus ne pouvaient pas être informés avec précisions des points sur lesquels ils devaient s’expliquer et en conséquence se défendre.
C’est en ce sens que l’arrêt rendu est intéressant. Il confirme l’analyse du tribunal de Perpignan qui avait relevé dans le texte de la citation un manque de précision quant aux faits reprochés, alors même que ces éléments sont essentiels à l’exercice des droits de la défense et à une bonne justice pour permettre à la juridiction saisie de connaître précisément le périmètre de sa saisine.
Cette difficulté à laquelle s’est heurté le ministère public révèle en réalité l’impossibilité de qualifier pénalement des faits relevant manifestement de la liberté d’expression sur un sujet d’intérêt général. Seuls ont pu être retenus dans la citation des propos généraux comme « Boycott apartheid Israël », « refuser d’acheter des produits israéliens » ou « refuser le code qui commence par 729 ». Or, même si la Cour ne le dit pas explicitement (puisqu’elle ne se prononce pas sur le fond), ce type de propos est couvert par la liberté d’expression et aurait surement donné lieu à une relaxe au fond. En tout état de cause, la Cour relève qu’il n’a pas été possible (même par la vidéo postée sur internet) d’établir un lien de preuve entre les propos généraux proférés dans les magasins ou écrits sur des affiches ou des tracts par le groupe de militants et les trois personnes poursuivies.
Il reste à espérer que le ministère de la justice se décide à abroger la circulaire Alliot-Marie, ou qu’à défaut, les différents parquets concernés vont abandonner les poursuites pénales dans ces affaires tout aussi fragiles juridiquement qu’inopportunes. Rappelons tout de même le paradoxe consistant à engager des poursuites pénales contre des personnes qui se mobilisent pacifiquement pour que les règles de droit international énoncées par le Conseil de sécurité, l’Assemblée générale des Nations Unies et la Cour internationale de justice ne restent pas virtuelles. La campagne BDS vise exclusivement à obtenir de l’Etat d’Israël qu’il se conforme à des obligations simples et claires fixées par le droit international : reconnaissance du droit du peuple palestinien à l’autodétermination, respect du principe d’égalité entre Palestiniens et Israéliens, démantèlement du mur et des colonies, reconnaissance du droit au retour des réfugiés palestiniens (voir l’appel du 9 juillet 2005, un an jour pour jour après l’avis de la Cour internationale de justice sur le mur en territoire palestinien). En France, il s’agit d’obtenir une mobilisation de nombreux acteurs de la société civile (consommateurs, militants associatifs, chefs d’entreprises, syndicalistes, universitaires, artistes, sportifs, religieux etc.) pour décider les pouvoirs publics français à enfin exercer une pression sur l’Etat d’Israël afin qu’il respecte le droit international. Dès lors, reprocher à ces citoyens de se mobiliser pour pallier la carence de la France à agir pour le respect du droit international ne manque pas d’étonner dans un Etat de droit.