Alors que les entreprises tirent la sonnette d’alarme à propos du projet judiciaire, une question : Quand est-il permis de boycotter Israël ?

Les organisations israéliennes de défense des droits ne se sont pas occupées des nouvelles menaces de désinvestissement dans le cadre d’un boycott d’Israël, déclenchant des accusations d’hypocrisie.

Depuis deux décennies, les militants palestiniens appellent à un boycott d’Israël. En réponse, le gouvernement israélien et des associations juives américaines ont cherché à punir les sociétés qui ont retiré tous leurs investissements d’Israël en raison de préoccupations politiques – même quand ces entreprises insistent pour dire qu’elles refusent de faire des affaires en Cisjordanie occupée par Israël et qu’elles ne rejoignent pas la campagne de boycott menée par les Palestiniens avec ses revendications controversées.

Mais cette sanction persiste-t-elle si les préoccupations politiques qui suscitent le désinvestissement concernent la politique nationale israélienne, plutôt que les droits fondamentaux des Palestiniens ?

C’est une question à laquelle les organisations pro-Israël peuvent avoir à répondre alors que certaines entreprises israéliennes et investisseurs internationaux ont annoncé qu’ils déplaceraient leurs liquidités et leurs activités hors du pays en raison des réformes judiciaires proposées par le nouveau gouvernement israélien d’extrême droite.

Dimanche, les médias israéliens ont dit que 255 chefs d’entreprises qui ont investi des milliards en Israël avaient envoyé une lettre au Premier ministre Benjamin Netanyahou l’avertissant qu’ils allaient « réévaluer leur confiance en Israël en tant que destination pour investir » si des changements intervenaient à la Cour Suprême.

Cela a fait suite à des annonces récentes de plusieurs entreprises israéliennes disant qu’elles feraient sortir des milliards de dollars du pays et, dans au moins un cas, aideraient les employés à transférer les bureaux hors d’Israël.

« Dans la réforme qui s’annonce, il n’existe aucune certitude que nous puissions conduire une activité économique internationale depuis Israël », a dit Eynat Guez, à la tête de Papaya Global, société de gestion des salaires évaluée à 3,7 milliards de dollars. « C’est une démarche commerciale douloureuse mais nécessaire. »

Les investisseurs et les chefs d’entreprise sont préoccupés par la législation en cours au parlement d’Israël qui remanierait la cour suprême du pays. Le projet de loi permettrait à une majorité simple de députés de passer outre les décisions de la cour, qui a servi de contrôle sur le gouvernement de plus en plus à droite. Ceux qui critiquent ces changements soutiennent que cela saperait de façon catastrophique la démocratie libérale en Israël, tandis que ceux qui les défendent prétendent que cela renforcerait la démocratie en augmentant la pouvoir des législateurs élus sur les juges.

Jusqu’ici, les annonces de désinvestissement réel ou potentiel n’ont guère suscité l’opprobre qu’avaient provoqué les décisions précédentes d’entreprises de faire sortir leur argent d’Israël pour des préoccupations politiques.

« C’est en quelque sorte un coup de bluff », a dit le rabbin Jill Jacobs, directeur de T’ruah, organisation rabbinique des droits de l’homme.

Peu de place pour les nuances

Quand Ben & Jerry ont annoncé il y a deux ans qu’ils cesseraient de vendre des crèmes glacées en Cisjordanie occupée par Israël, la réaction ne s’est pas fait attendre. Le président d’Israël a traité ce geste de « terrorisme économique », tandis que la Ligue Anti-Diffamation a dit que la société du Vermont avait renforcé l’antisémitisme. Les gouvernements fédéraux se sont empressés d’agir pour renforcer les lois et la politique destinées à punir les boycotts du pays.

Tout ceci en dépit du fait que Ben & Jerry avaient dit qu’ils n’avaient pas, en fait, rejoint le mouvement de boycott d’Israël, connu sous le nom de Boycott, Désinvestissement et Sanctions, ou BDS. Beaucoup de dirigeants juifs voient le BDS comme une menace sérieuse pour Israël par ce qu’il exige la citoyenneté pour des millions de réfugiés palestiniens et leurs descendants.

Quand Morningstar, importante société de services financiers, a acquis une société qui avait perdu des points israéliens sur sa carte de comptage des investissement socialement responsables pour des questions de droits de l’homme, les plus grandes organisations juives du pays ont dit quelle faisait la promotion de BDS. Le tollé a été beaucoup moins fort quand un trio d’agences de crédit internationales – Moody’s, Fitch Ratings et S&P – ont annoncé qu’elles pourraient abaisser le taux de crédit si les réformes judiciaires passaient.

Max Raskin, professeur de droit à l’université de New York, a critiqué Moody’s pour « avoir pris une position politique » dans le débat, mais a coupé court à son accusation de soutenir un boycott.

(Jlens, groupe juif de défense des investissements qui menait la charge contre Morningstar, n’a pas répondu aux multiples demandes de commentaires sur Moody’s.)

Certains défenseurs de longue date d’Israël ont même suggéré que le désinvestissement était justifié – sinon désirable – afin de faire pression sur Netanyahou pour stopper les réformes. Yossi Klein Halevi, éminent auteur israélien, s’est moqué une fois de Airbnb, la plate-forme d’hébergement, parce qu’elle refusait de travailler dans les colonies israéliennes et a appelé cela un « boycott sélectif ». Mais la semaine dernière, Klein Halevi a dit au Forward que les Américains devraient envisager de ne pas acheter d’obligations israéliennes pour réagir aux réformes judiciaires.

Beaucoup de gens ont pris note de cette différence sur les réseaux sociaux.

« Qui est et qui n’est pas autorisé à pratiquer BDS ? Expliquez moi ça comme si j’avais cinq ans », a dit sur Twitter Rohan Talbot, directeur de plaidoyer à l’Aide Médicale pour les Palestiniens, organisation britannique sans but lucratif.

Faire des distinctions

Le mouvement BDS a été lancé en 2005 et appelle les soutiens internationaux des Palestiniens à mettre fin aux liens économiques et culturels avec Israël jusqu’à ce que le pays réponde à certaines exigences, dont le « droit au retour » des réfugiés palestiniens, qui pourrait mettre fin à la majorité juive en Israël – quelque chose que beaucoup parmi les soutiens du pays considèrent comme une inquiétude existentielle.

Peut-être que, dû à ses exigences absolutistes, le mouvement BDS lui même n’a pas trouvé beaucoup de soutien parmi les entreprises américaines. Mais quelques sociétés, comme Ben & Jerry et Airbnb, ont tenu compte des appels lancés par les militants pour cesser de faire des affaires dans les colonies israéliennes de Cisjordanie. C’est une action également encouragée par beaucoup de sionistes libéraux, mais quand même traitée comme une forme de BDS par d’importants groupes de défense des Juifs tels que le Comité Juif Américain (AJC). Éviter de faire des affaires dans les colonies israéliennes est également interdit selon de nombreuses lois votées dans plus de 30 États pour réprimer les boycotts d’Israël.

« Nous avons constamment adopté la position comme quoi ces boycotts sélectifs sont tout aussi illégaux que des boycotts complets », a dit Marc Stern, chef du service juridique d’AJC, après que Ben & Jerry ait annoncé qu’ils chercheraient à mettre fin à leurs ventes en Cisjordanie.

Stern a dit lundi que les manifestations économiques contre la réforme judiciaire sont différentes des cas antérieurs parce que les sociétés et les investisseurs qui agissent maintenant ne soutiennent pas BDS. « Les sociétés qui pourraient réévaluer le fait de faire des affaires en Israël en raison des inquiétudes suscitées par d’éventuels changements dans le système judiciaire qui affecteraient leurs propres affaires, c’est catégoriquement différent du mouvement BDS », a dit Stern.

La Ligue Anti-Diffamation a pris une position similaire dans un communiqué au Forward.

« Les manifestations contre les réformes judiciaires ne sont en aucune façon analogues aux objectifs malveillants du mouvement BDS qui a ses racines dans le rejet du droit du peuple juif à l’autodétermination et dans la destruction de l’État d’Israël », a dit l’organisation.

Pour certains cependant, la distinction est floue considérant qu’aucune des sociétés antérieurement ciblées par ces organisations pour leur soutien à BDS ne croyaient en fait qu’elles le faisaient. « La décision de cesser les ventes hors des frontières démocratiques d’Israël n’est pas un boycott d’Israël », ont écrit Ben Cohen et Jerry Greenfield, créateurs de Ben & Jerry, dans un article d’opinion du New York Times à la suite de l’annonce de la société.

Lara Friedman, présidente de la Fondation pour la Paix au Moyen Orient qui travaille sur les questions des droits fondamentaux des Palestiniens, qui traque les lois anti-boycott depuis 2014, a dit que beaucoup d’associations de défense d’Israël ne semblent se préoccuper que des actions que les sociétés entreprennent au sujet des inquiétudes pour les droits fondamentaux des Palestiniens.

Friedman a dit que la législation nationale, qui empêche les sociétés qui boycottent Israël de recevoir des contrats d’État, a été clairement rédigée avec en tête la défense des Palestiniens, mais que ce qu’elle dit s’appliquerait à n’importe quelle société – même les entreprises israéliennes – qui déciderait de sortir de l’argent d’Israël si la réforme de la cour était approuvée.

Pour prendre un exemple représentatif, dans l’Illinois, il est interdit à la commission des pensions de l’État d’investir dans des sociétés qui s’engagent « dans des actions motivées par des considérations politiques et dont l’intention est de pénaliser, d’infliger des dommages économiques ou de limiter d’une façon ou d’une autre les relations commerciales avec l’État d’Israël ».

« Je pourrais imaginer qu’il y a des gens qui diraient : ‘Très bien, techniquement ces sociétés pourraient entrer en conflit avec les lois, mais ce n’est clairement pas l’objectif et il est ridicule d’avoir cette conversation’ », a dit Friedman. « C’est tout à fait clair. »

Plus de paroles que d’action ?

D’autres repoussent l’idée qu’il y ait quelque deux poids deux mesures que ce soit dans la réponse aux sociétés et investisseurs inquiets devant la situation politique actuelle en Israël parce que, disent-ils, il n’est pas vraiment arrivé grand-chose : les trois sociétés israéliennes qui ont fait les gros titres parce qu’elles menaçaient de retirer les investissements ont transféré de l’argent entre comptes bancaires, mais n’ont pas cessé leurs opérations en Israël. Et la lettre des investisseurs juifs était spéculative – pas l’annonce d’un désinvestissement.

Eugene Kontronovich, professeur de droit à l’Université George Mason qui s’est exprimé en faveur des changements proposés à la cour suprême d’Israël et a défendu les lois nationales qui réprimaient BDS, a dit qu’il n’avait pourtant rien vu qui suggère que ces sociétés refusaient vraiment de faire des affaires avec Israël.

Il a fait remarquer que Papaya Global faisait l’éloge de la Banque israélienne HaPoallim pour son aide après l’effondrement de la Banque de la Silicone Vallée en Californie. Et Kontronovich a avancé que les mots utilisés étaient ceux de la lettre des hommes d’affaires – « réévaluer leur confiance » – et ne ressemblaient pas à une menace de boycott.

« Sans connaître leurs intentions subjectives, il me semble qu’ils choisissent soigneusement les mots qui montrent clairement leur manque d’intention de boycotter », a-t-il dit dans un courriel.

Une différence entre les grondements actuels sur le désinvestissement d’Israël et les grondements passés, c’est que ceux qui retirent maintenant leurs fonds d’Israël offrent jusqu’à un certain point une explication économique.

Quand Riskified, société israélienne de technologie financière, a transféré 500 millions $ hors du pays et a offert aux employés de se retrouver à son bureau de Lisbonne, Eido Gal, le directeur général, a dit qu’il pensait que les réformes judiciaires seraient néfastes pour les affaires.

« « Les lois une fois votées peuvent conduire au démantèlement de l’indépendance de notre système judiciaire », a-t-il dit dans un courriel aux employés. « Il est très vraisemblable que cela nous conduira à une récession économique grave et durable en Israël. »

Il n’y a par ailleurs aucune démarche concertée pour encourager les sociétés à boycotter Israël en raison des réformes judiciaires comme ce fut le cas à propos de la question palestinienne. Dimanche, à une conférence de presse sur l’impact économique négatif des réformes, un groupe de responsables israéliens de la technologie et autres dirigeants opposés aux changements ont dit qu’ils n’appelaient personne à retirer son argent d’Israël – mais que les investisseurs allaient naturellement être effrayés par l’instabilité qui les pousserait à se retirer.

« Ce que nous voyons n’est pas un événement orchestré », a dit Dany Bahar, économiste à l’Université Brown. « Les marchés travaillent. »