Accusations de génocide : Israël piétine la décision de la Cour internationale de justice

Le vendredi 26 janvier, la cour des Nations unies ordonnait à Israël de prendre dans un délai d’un mois une série de mesures afin d’éviter que des actes de génocide soient commis lors de son opération militaire à Gaza. Ce délai passé, les ONG dénoncent l’inaction de l’État hébreu.

Le lundi 26 février était la date butoir fixée par la Cour internationale de justice (CIJ) à Israël pour lui transmettre un rapport détaillant les mesures prises afin d’éviter que des actes de génocides soient commis à Gaza. Cette obligation est largement ignorée par l’État hébreu, dénoncent plusieurs organisations humanitaires.

« Israël défie la décision de la CIJ visant à prévenir un génocide en n’autorisant pas l’aide humanitaire adéquate à atteindre Gaza », écrit ainsi Amnesty International. « Israël agit en violation flagrante de la décision » de la cour, accuse de son côté la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH).

Le vendredi 26 janvier, la CIJ, instance judiciaire des Nations unies chargée de juger les litiges entre les États membres, avait donné un mois à Israël pour « prendre toutes les mesures en son pouvoir pour prévenir la commission à l’encontre des Palestiniens de Gaza de tout acte » de génocide.

La cour avait été saisie d’une requête déposée par l’Afrique du Sud accusant Israël de violer, dans le cadre de son opération militaire lancée en représailles à l’attaque du Hamas du 7 octobre 2023, la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948, qui impose aussi aux États de prendre des mesures pour prévenir le risque de génocide.

« À la lumière des droits en jeu, ainsi que du préjudice en cours, extrême et irréparable, souffert par les Palestiniens à Gaza, l’Afrique du Sud demande que la cour traite cette requête comme une question d’extrême urgence », plaidait la requête sud-africaine.

Une urgence reconnue par la CIJ, qui avait rendu deux semaines après la tenue des audiences, les 11 et 12 janvier, une ordonnance provisoire, le fond des accusations devant être jugé dans plusieurs années après une instruction approfondie.

En rendant cette décision, la présidente de la cour, la juge Joan Donoghue, soulignait ainsi « être pleinement consciente de l’ampleur de la tragédie humaine qui se joue dans la région et nourri[r] de fortes inquiétudes quant aux victimes et aux souffrances humaines que l’on continue d’y déplorer ».

Six mesures ordonnées par la CIJ

Six mesures provisoires avaient été fixées à Israël. Il doit notamment « veiller avec effet immédiat à ce que son armée ne commette aucun des actes » de génocide. L’ordonnance « considère également qu’Israël doit prendre toutes les mesures en son pouvoir pour prévenir et punir l’incitation directe et publique à commettre le génocide à l’encontre des membres du groupe des Palestiniens de la bande de Gaza ».

La cour, basée à La Haye (Pays-Bas), demandait « en outre » à l’État hébreu de « prendre sans délai des mesures effectives pour permettre la fourniture des services de base et de l’aide humanitaire requis de toute urgence afin de remédier aux difficiles conditions d’existence auxquelles sont soumis les Palestiniens de la bande de Gaza ».

Enfin, l’ordonnance de la CIJ ordonnait aux autorités israéliennes de « prendre des mesures effectives pour prévenir la destruction et assurer la conservation des éléments de preuve relatifs aux allégations d’actes » de génocide.

Pour vérifier la bonne application de ces mesures conservatoires, la cour demandait à l’État israélien de lui transmettre, dans un délai d’un mois, un rapport détaillant les mesures prises dans ce but.

Israël a poursuivi sa campagne à Gaza, entraînant la mort de près de 30 000 Palestiniens au 23 février.

La FIDH

Or, un mois plus tard, les opérations militaires se sont poursuivies, et le nombre des victimes palestiniennes n’a cessé de croître. « Bien que la CIJ n’ait pas expressément ordonné un cessez-le-feu, rappelle le communiqué de la FIDH, les mesures provisoires indiquées par la cour auraient les mêmes effets pratiques si elles étaient appliquées. Néanmoins, Israël a poursuivi sa campagne à Gaza, entraînant la mort de près de 30 000 Palestiniens au 23 février. »

Et l’État hébreu n’a non seulement pris aucune mesure pour faciliter l’accès de la population civile aux biens et services de première nécessité, mais a en plus entravé la livraison de l’aide humanitaire.

« Israël continue à faire obstacle à la fourniture de services de base et à l’entrée et la distribution à Gaza de carburant et d’une aide vitale », pointe Human Rights Watch (HRW). Pour l’ONG, Israël inflige ainsi une « punition collective » relevant « des crimes de guerre »,qui « incluent l’utilisation de la famine comme arme de guerre contre les populations civiles ».

« Le gouvernement israélien est en train d’affamer 2,3 millions de Palestiniens de Gaza, les mettant encore plus en danger qu’avant la décision de la cour », s’inquiète Omar Shakir, directeur de HRW pour Israël et la Palestine. « Le gouvernement israélien a tout simplement ignoré la décision de la cour, et à certains égards a même intensifié sa répression, notamment en bloquant encore plus l’aide vitale », accuse-t-il.

« Une indifférence impitoyable »

« Non seulement Israël a créé une des pires crises humanitaires au monde mais il fait également preuve d’une indifférence impitoyable au sort de la population de Gaza en créant des conditions qui, selon la CIJ, l’exposent à un risque imminent de génocide », alerte de son côté Heba Morayef, directrice régionale Moyen-Orient et Afrique du Nord d’Amnesty International.

« Les provisions entrant à Gaza avant la décision de la CIJ étaient déjà une goutte dans l’océan comparées aux besoins sur les seize dernières années, souligne par ailleurs Amnesty. Pourtant, dans les trois semaines suivant la décision de la CIJ, le nombre de camions entrant à Gaza a diminué d’environ un tiers, d’une moyenne de 146 par jour durant les trois semaines précédentes à une moyenne de 105 par jour durant les trois semaines suivantes. Avant le 7 octobre, en moyenne environ 500 camions entraient à Gaza chaque jour », détaille l’ONG.

Les associations pointent par ailleurs les déclarations belliqueuses et jusqu’au-boutistes de responsables israéliens totalement insensibles au sort des civils palestiniens, comme celle de la ministre pour la promotion des femmes May Golan, déclarant le 19 février à la Knesset (le Parlement israélien) : « Je suis personnellement fière des ruines de Gaza et que chaque bébé, dans quatre-vingts ans, puisse dire à ses petits-enfants ce que les Juifs ont fait. »

« Cette déclaration, parmi beaucoup d’autres, indique que le gouvernement israélien ne faiblit pas et ne montre aucun remords pour ses actions qui ont poussé la CIJ à reconnaître la plausibilité d’un génocide israélien contre les Palestiniens », souligne la FIDH.

Israël affirme respecter ses obligations

Israël, de son côté, a bien transmis un rapport à la CIJ lundi 26 février, soit à la date exigée par l’ordonnance, a rapporté la presse israélienne. Son contenu n’a pas été divulgué mais, selon le quotidien Haaretz, le gouvernement israélien y affirme remplir ses obligations humanitaires et assure que ses opérations militaires n’entraînent pas d’actes de génocide.

Face au déni israélien, les ONG en appellent à la communauté internationale pour convaincre Israël d’accepter un cessez-le-feu. « Seul un cessez-le-feu immédiat et maintenu peut sauver des vies et assurer que les mesures provisoires de la CIJ, notamment la livraison d’une aide vitale, soient appliquées », insiste Heba Morayef.

Or, un cessez-le-feu ne pourra être imposé à Israël que par une pression internationale. La CIJ ne dispose en effet d’aucun pouvoir coercitif direct. Celui-ci est du ressort du Conseil de sécurité des Nations unies, où Israël dispose d’un allié jusqu’à présent indéfectible et qui bénéficie d’un droit de veto lui permettant de bloquer toute décision : les États-Unis.

« Les USA ont, pour la troisième fois, opposé leur veto à une résolution des Nations unies demandant un cessez-le-feu, donnant ainsi leur feu vert à plus de morts, de souffrance de masse des Palestiniens », regrette Heba Morayef.

Utiliser toutes les formes de pression, y compris les sanctions et les embargos.

Appel d’Human Rights Watch à la communauté internationale

« Les pays ayant une influence sur le gouvernement israélien, dont les USA, le Royaume-Uni, l’Allemagne et les autres alliés, ne doivent pas rester les bras croisés et regarder les Palestiniens mourir d’une mort évitable comme un bombardement, le manque de nourriture et d’eau, la propagation de maladies et le manque de soins », plaide encore Heba Morayef.

HWR appelle de son côté la communauté internationale à « utiliser toutes les formes de pression, y compris les sanctions et les embargos, pour pousser le gouvernement israélien à se conformer aux ordonnances contraignantes de la cour ».

La date du lundi 26 février était par ailleurs également celle du dernier jour des audiences, débutées une semaine plus tôt, consacrées à une demande d’avis consultatif « sur les conséquences juridiques découlant des politiques et pratiques d’Israël dans le territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est ».

Cette autre procédure, impliquant 49 États, fait suite à une demande d’avis adressée à la cour par l’Assemblée générale des Nations unies par une résolution adoptée le 30 décembre 2022.

Dans ce dossier, la CIJ est appelée à répondre à deux questions. La première vise à préciser « les conséquences juridiques de la violation persistante par Israël du droit du peuple palestinien à l’autodétermination, de son occupation, de sa colonisation et de son annexion prolongée du territoire palestinien occupé depuis 1967, notamment des mesures visant à modifier la composition démographique, le caractère et le statut de la ville sainte de Jérusalem, et de l’adoption par Israël des lois et mesures discriminatoires connexes ».

La seconde demande à la cour de tirer les conséquences de ces pratiques « sur le statut juridique de l’occupation » ainsi que les « conséquences juridiques qui en découlent pour tous les États et l’Organisation des Nations unies ».

La CIJ rendra sa décision à une date qui n’a pas encore été précisée.

Jérôme Hourdeaux