À Sciences Po Paris : « On assiste à un mouvement international de solidarité avec les Gazaouis »

Des étudiants de la prestigieuse école ont occupé et bloqué l’entrée du siège parisien vendredi. Ils dénoncent la répression des voix propalestiniennes et exigent la suspension des liens financiers et des partenariats avec les universités israéliennes. Un accord avec la direction a été trouvé en fin de journée.

DesDes bouts de ficelles usées remontent le long de la façade de l’immeuble de Sciences Po. Au bout de la corde, suffisamment de jus et de denrées pour ravitailler la dizaine d’étudiants visibles aux fenêtres du 27 rue Saint-Guillaume, siège historique de l’école. Ils sont installés depuis jeudi soir aux étages supérieurs de l’IEP, où ils ont passé la nuit. 

Drapeaux palestiniens accrochés aux balustrades, keffiehs sur la tête, le visage, dans les cheveux ou autour du cou : les mots d’ordre de la mobilisation se devinent au premier coup d’œil. À Sciences Po Paris, à l’image des scènes observées dans les campus américains ces derniers jours, la mobilisation en solidarité du peuple palestinien s’intensifie, alors que la répression des voix qui dénoncent le massacre en cours à Gaza atteint un pic jamais égalé en France

Au pied du siège de la prestigieuse école de sciences politiques, des poubelles et un Vélib’ surmontant du matériel de chantier obstruent l’entrée principale de l’école. Plusieurs dizaines d’étudiant·es sont venu·es apporter leur soutien à leurs camarades bloqueurs et amplifient les slogans lancés sans relâche depuis les fenêtres du bâtiment. « Hier, aujourd’hui et demain, viva Palestine » ou « On est là même si Sciences Po ne le veut pas, nous on est là, pour l’honneur de la Palestine et pour ceux qu’on assassine », entonnent les porteurs de mégaphone, repris par la masse d’étudiant·es réuni·es.

S’ils sont si nombreux aujourd’hui, c’est qu’ils ont tiré les leçons des précédents épisodes de mobilisation au sein de l’école, expliquent-ils, où leur nombre plus restreint avait facilité leur évacuation. Comme mercredi soir, lorsque la direction a autorisé la police à intervenir dans un autre bâtiment de l’établissement, situé au 1, place Saint-Thomas-d’Aquin, afin d’y déloger manu militari les sympathisants de la cause palestinienne qui avaient installé une dizaine de tentes dans la cour de l’école. « Une ligne rouge a été franchie », avait alors estimé le comité Palestine de Sciences Po, organisateur de la mobilisation de ce jour, rejoint par des étudiants de tous horizons. 

Sont d’ailleurs placardées sur les grilles de l’école ces images d’étudiants évacués de force par les mains et les pieds par les CRS, accompagnés de ce message inscrit en lettres capitales et dirigé contre leur direction : « Shame » (« La honte »). 

Cette mobilisation étudiante m’inspire. J’admire leur courage.

Rima Hassan, candidate LFI aux élections européennes

Droite dans ses bottes, la direction a décidé de fermer plusieurs locaux du campus parisien vendredi. Dans un message à la presse, elle a condamné « fermement ces actions étudiantes qui empêchent le bon fonctionnement de l’institution et pénalisent les étudiants, [les] enseignants et [les] salariés ».

En fin de journée, la police a décidé d’intervenir devant les locaux de Sciences Po Paris, le préfet de police justifiant des « troubles à l’ordre public ». Au moment où nous écrivons ces lignes, plusieurs dizaines de personnes étaient toujours rassemblées rue Saint-Guillaume, la plupart ayant été évacuées dans le calme par la police. 

Vers 13 heures, la foule compacte d’étudiants s’agite et détourne son attention des camarades visibles aux fenêtres. « Rima, Rima, Sciences Po est avec toi », chantent les étudiants. Rima Hassan, candidate aux élections européennes du 9 juin sur la liste de La France insoumise, a fait le déplacement pour entretenir la flamme contestataire rue Saint-Guillaume. « Cette mobilisation étudiante m’inspire. J’admire leur courage,déclare la candidate. Une cause, à partir du moment où elle pénètre les couches étudiantes, finit toujours par traverser et se propager à toute la société », conclut la juriste française, née dans un camp de réfugiés palestinien en Syrie.  

« Qu’on fasse preuve de solidarité à l’égard des Palestiniens, qu’on montre le rejet des crimes qui sont commis à Gaza, c’est naturel, c’est même digne et c’est noble », a jugé de son côté Raphaël Glucksmann, tête de liste du Parti socialiste (PS) et de Place publique aux élections européennes, sur BFMTV. « Après, dans quelle atmosphère on le fait ? Est-ce qu’on est inclusifs ? Est-ce qu’on tolère le débat ? Est-ce qu’on est capables d’organiser des discussions avec ceux qui ne partagent pas [ce] point de vue ? Jusqu’ici, jusqu’à preuve du contraire, ce n’est pas le cas. Et donc on a un problème. Et la direction de Sciences Po a le droit de décider d’évacuer », a ajouté M. Glucksmann, par ailleurs ancien élève de l’établissement.

Un avis pas du tout partagé par le premier secrétaire du PS, Olivier Faure. Dans un message publié sur le réseau social X dans la soirée du jeudi 25 avril, le député de Seine-et-Marne avait vigoureusement condamné l’intervention policière. « On n’envoie pas les CRS pour déloger des étudiants pacifiques », a-t-il écrit. 

Sur place la tension était montée d’un cran vers 16 heures. Une cinquantaine de manifestants pro-israéliens ont surgi, dont certains masqués et munis de casques de moto, en criant notamment « Libérez Sciences Po » ou « Libérez Gaza du Hamas ». Une bousculade entre partisans des deux camps est survenue au milieu des nombreux journalistes présents. Les forces de l’ordre se sont alors interposées entre les deux. 

« La question palestinienne transcende les frontières »

Sarah, habillée d’un keffieh lui couvrant une partie du visage pour protéger son identité du cyberharcèlement, est l’une des étudiantes les plus actives sur le campus. Voilà plus de deux cents jours qu’elle est de toutes les manifestations de soutien à la cause palestinienne, participant aux minutes de silence, organisées tous les mardis à l’intercours. « On sait très bien qu’on n’obtiendra pas à nous seuls le cessez-le-feu, mais c’est essentiel pour nous de mettre en cohérence et en pratique ce que nous apprenons sur le droit international et l’actualité du génocide à Gaza », affirme-t-elle.   

Forcément, le mouvement d’occupation de plusieurs prestigieux campus américains par leurs étudiants n’est pas étranger à la revivification du mouvement de solidarité à la cause palestinienne dans les universités françaises. « La question palestinienne est internationale et transcende les frontières, s’enthousiasme Sarah. On assiste vraiment à un mouvement international de solidarité étudiante avec les Gazaoui·es. » 

Les revendications portées par les étudiants de Sciences Po recoupent d’ailleurs celles des étudiants américains. Ils exigent « la condamnation claire des agissements d’Israël par Sciences Po » et demandent à leur école de couper les liens financiers et de réexaminer les partenariats avec les universités israéliennes complices des crimes de l’État hébreu. Plusieurs étudiants interrogés citent l’exemple de l’université hébraïque de Jérusalem, dont Sciences Po est partenaire, et qui a bâti plusieurs campus dans des territoires palestiniens occupés. 

« Particulièrement, on dénonce le double standard de l’université, qui a l’année passée très rapidement suspendu l’intégralité de ses accords de coopération avec les universités russes », dénonce Orion, étudiant en deuxième année de master en sciences politiques et recherche. 

Symbole de la dimension internationaliste de ce mouvement, les slogans et prises de parole sont systématiquement dupliqués en anglais, à l’adresse des étudiants étrangers, nombreux à avoir rejoint les rangs de la mobilisation propalestinienne.

« Ça fait des mois que je vois sur mon fil d’actualité Instagram et TikTok les images d’enfants et de femmes massacrés, d’orphelins cherchant leur parent au milieu des bâtiments pulvérisés par les bombardements israéliens, décrit Kiara, une étudiante canadienne en échange universitaire. On est là pour montrer aux institutions que la vie des Gazaoui·es compte pour nous et qu’on ne s’arrêtera pas tant que le génocide n’aura pas pris fin »

L’étudiante canadienne se dit par ailleurs troublée par la répression qui touche ses camarades français, dont plusieurs sont visés par des procédures disciplinaires à la suite notamment d’une conférence organisée le 12 mars au cours de laquelle l’Union des étudiants juifs de France (UEJF) avait accusé des militants propalestiniens de Sciences Po d’« antisémitisme ». 

Face à « la répression des voix propalestiniennes sur le campus », le comité Palestine de Sciences Po réclame particulièrement « des mesures pour protéger tous les étudiant·es contre toute forme de harcèlement sur le campus »

C’est justement pour les encourager « à tenir bon face à la répression » que plusieurs élus de La France insoumise (LFI) sont venus témoigner leur soutien aux étudiants de Sciences Po. « Cette jeunesse fait la fierté du pays, loue Thomas Portes, député LFI de Seine-Saint-Denis. Notre message, c’est de dire : “Ne cédez pas.” On sait que la répression est féroce, que les mensonges et calomnies sont nombreux, mais ces étudiants, qui défendent le droit international, sont du bon côté de l’Histoire. »

Au cours de la journée de mobilisation, des anonymes, engagés depuis plusieurs mois pour la cause palestinienne, étaient venus grossir le rang des étudiants de Sciences Po. À l’image de Karl, 36 ans, employé dans un magasin de luxe, venu apporter son soutien « aux étudiants pour leur montrer qu’ils s’inscrivent dans un mouvement global ». D’origine arménienne et juive, il dit porter doublement la mémoire des génocides : « Je connais les traumatismes vécus par ceux qui ont fait l’expérience du génocide, mais aussi sur leurs descendants. On ne peut pas laisser ça se reproduire. »

Accord avec la direction

À la mi-journée, la dizaine d’étudiants bloqueurs surgissent aux fenêtres de l’immeuble de la rue Saint-Guillaume et sont porteurs d’annonces. À l’issue des discussions entamées avec la direction provisoire de l’école, sans directeur depuis la démission de Mathias Vicherat, plusieurs propositions ont émergé.

Un vote est organisé. Mais avant de délibérer, certains manifestants prennent la parole. « Si vous maintenez la mobilisation, vous ferez partie d’un mouvement global. Ne perdons pas de vue l’objectif et restons solidaires », lance une étudiante. Place au vote. Une nuée de bras se lève au moment de rejeter les propositions de la direction. « Vous êtes tous prêts à vous mobiliser dans les jours qui viennent ? », interroge une étudiante par mégaphone. Un immense « oui » approbateur se fait entendre, à l’unanimité des manifestants. 

Finalement, en fin de soirée, un accord était trouvé entre les étudiants rassemblés devant l’école et la direction. Une délégation d’étudiants a obtenu de Jean Bassères, administrateur par intérim de l’école, l’abandon des poursuites disciplinaires engagées depuis le 17 avril ainsi que l’organisation d’une réunion entre tous les composantes étudiantes et la direction, avant jeudi prochain.

« La mobilisation d’aujourd’hui est terminée, un accord avec la direction ayant été trouvé, confirme un étudiant du Comité Palestine à Mediapart. La dizaine d’étudiants qui occupaient encore l’école sont tous sortis sous les applaudissements des camarades massés au pied de l’immeuble. » 

Yunnes Abzouz