À moins qu’ils ne fassent cesser l’offensive israélienne contre Rafah, les États-Unis pourraient devenir des parias mondiaux

La Cour internationale de justice a ordonné à Israël de cesser son attaque contre Rafah. Les États-Unis ont encore une chance d’empêcher le bain de sang.

Vendredi, la Cour internationale de justice (CIJ) a ordonné à Israël de cesser son attaque armée contre la ville de Rafah, dans le sud de Gaza, où environ la moitié des 2,3 millions d’habitants de Gaza se sont réfugiés ces derniers mois. Cette décision constitue ce qui se rapproche le plus, de la part de la juridiction supérieure de l’ONU, d’un ordre de cessez-le-feu, et elle braque de nouveau le projecteur sur Israël et ses partisans les plus proches, surtout les États-Unis et le Royaume-Uni, en mettant en évidence leur mépris du droit international et des institutions internationales.

Pour une grande partie du monde, Israël est maintenant un État paria qui a ignoré à maintes reprises les pressions des organismes internationaux pour qu’il mette fin à sa guerre brutale à Gaza, qu’il cesse d’utiliser la famine comme arme de guerre, et qu’il autorise davantage d’aide à entrer dans le territoire assiégé. Lundi, le procureur de la Cour pénale internationale (CPI), une juridiction distincte également basée à La Haye, a annoncé qu’il demandait des mandats d’arrêt contre de hauts dirigeants du Hamas et d’Israël pour des crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis pendant l’attaque du 7 octobre par le Hamas et pendant la guerre qui a suivi à Gaza. Le procureur réclame des mandats d’arrêt contre le Premier ministre israélien Benjamin Nétanyahou et son ministre de la Défense Yoav Gallant, ainsi que contre trois hauts dirigeants du Hamas.

Mercredi, les dirigeants de l’Irlande, de l’Espagne et de la Norvège ont déclaré que ces pays reconnaîtraient un État palestinien indépendant, manifestant ainsi l’irritation suscitée en Europe par le gouvernement de droite de Nétanyahou, qui continue à s’opposer à l’existence d’un État palestinien et à accroître les colonies en Cisjordanie occupée par Israël.

Joe Biden et son administration devraient utiliser ces jugements internationaux et l’isolement grandissant d’Israël comme moyen de pression pour arrêter les expéditions d’armes états-uniennes vers Israël et faire pression sur le gouvernement de Nétanyahou pour qu’il mette fin à sa guerre. Cependant, Biden et ses proches collaborateurs ont passé des mois à essayer de discréditer différentes juridictions internationales, en particulier la CIJ, à laquelle l’Afrique du Sud s’est adressée en décembre et qui a mis en cause Israël pour violation de la convention contre le génocide.

Antony Blinken, secrétaire d’État états-unien, a qualifié la demande de l’Afrique du Sud d’“infondée”, mais a pu constater que la juridiction mondiale continuait à suivre l’affaire et qu’elle a rendu une ordonnance fin janvier demandant à Israël de veiller à ce que son armée ne commette pas d’actes de génocide et de permettre la fourniture de l’aide humanitaire à Gaza. Les juristes de l’Afrique du Sud ont noté qu’Israël n’avait pas respecté l’ordonnance précédente de la Cour et ont demandé la semaine dernière à la CIJ d’imposer de nouvelles mesures urgentes pour faire cesser l’invasion de Rafah par Israël.

Il faudra sans doute des années pour que cette juridiction prenne une décision déterminant si Israël a commis un génocide, mais des ordonnances rendues en urgence comme celle de vendredi ont pour but d’empêcher de nouveaux carnages à Gaza tandis que le dossier suit son chemin au rythme de la procédure de la CIJ. Les ordonnances de la Cour sont contraignantes pour ses États membres, mais la CIJ n’a pas de mécanisme pour les faire respecter – et Israël et ses alliés bafouent depuis janvier les décisions de la Cour.

La CIJ peut soumettre une affaire au Conseil de sécurité de l’ONU, mais l’administration Biden a déjà utilisé trois fois son droit de veto pour protéger Israël des demandes de cessez-le-feu présentées au Conseil. En mars, les États-Unis se sont enfin abstenus et ont autorisé le Conseil à approuver une résolution de cessez-le-feu. Israël a ignoré cette mesure et Washington a pris grand soin de souligner que cette résolution était “non contraignante”, alors même que les résolutions du Conseil sont censées avoir le poids du droit international. Très vraisemblablement, Biden utiliserait le droit de veto des États-Unis pour protéger Israël de mesures complémentaires des Nations unies permettant de faire respecter les décisions de la cour internationale.

Biden ne cherche visiblement pas à amener Israël à répondre de ses actes à Gaza ni à faire respecter le droit international, même s’il a promis de mettre la protection des droits humains au centre de la politique étrangère des États-Unis peu après être entré en fonctions. Les discours emphatiques de Biden sur le respect des droits humains ont volé en éclats sous les coups de son soutien inconditionnel à l’offensive d’Israël contre Gaza, qui a tué environ 36 000 Palestiniens, surtout des femmes et des enfants, laissé libre cours à la famine et déplacé plus de 75% de la population.

À coup sûr, l’administration Biden s’expose à des accusations d’hypocrisie en raison de son refus de soutenir les décisions de la cour internationale sur Israël, alors qu’elle a enjoint dans le passé à des adversaires des États-Unis, notamment la Russie et le Myanmar, de respecter des décisions de la CIJ. Biden et ses principaux collaborateurs exposent aussi les États-Unis – et eux-mêmes – à des accusations potentielles de complicité de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, dès lors que Washington est le plus important fournisseur d’armes à Israël, lui accordant 3,8 milliards de dollars d’aide militaire par an. Après des mois de lobbying par Biden, le Congrès a récemment approuvé 26 milliards de dollars d’aide supplémentaire à Israël, en y incluant 14 milliards de dollars d’assistance militaire inconditionnelle.

Après avoir annoncé le 8 mai que son administration avait suspendu une unique expédition d’armes à Israël, soit un report de la livraison de 3 500 bombes, Biden a changé de trajectoire moins d’une semaine plus tard et a repris l’envoi d’une quantité d’armes beaucoup plus importante que ce qu’il avait retenu. Le 14 mai, l’administration a informé le Congrès qu’elle avait approuvé plus de 1 milliard de dollars de nouvelles expéditions d’armement à Israël, au moment où il devenait évident que Nétanyahou préparait une invasion terrestre de Rafah, malgré des mois d’avertissements lancés par Washington. Dans ce dernier lot d’armement, les États-Unis prévoient de fournir à Israël 700 millions de dollars de munitions pour chars, 500 millions de dollars de véhicules tactiques et 60 millions de dollars d’obus de mortier.

Nétanyahou et son gouvernement défiaient ouvertement la “ligne rouge” de Biden relative à l’invasion de Rafah – et forçaient plus d’un million de Palestiniens chassés de chez eux par l’armée israélienne dans d’autres régions de Gaza à fuir de nouveau. Comment Biden a-t-il réagi ? En suspendant une expédition de bombes, puis en supprimant tout moyen de pression qu’il pouvait avoir sur Nétanyahou par le maintien de l’acheminement d’autres armes vers Israël.

En réalité, du fait de son ordonnance de vendredi, la cour internationale est allée plus loin que l’administration états-unienne en vue du respect de la ligne rouge censément édictée par Biden à propos de Rafah. Au vu de son dédain passé pour la CIJ et d’autres organes internationaux ayant rendu des décisions contre Israël, Biden ne va sans doute pas cesser d’envoyer de l’armement à Israël. L’administration a eu accès à de nombreux groupes de défense des droits humains et observateurs indépendants qui ont recueilli des éléments de preuve sur les nombreuses violations du droit international commises par Israël, notamment son utilisation de la famine comme méthode de guerre et ses opérations visant à empêcher la livraison de l’aide humanitaire à Gaza.

Biden et ses principaux collaborateurs souhaitent vraisemblablement éviter d’être impliqués dans le soutien à un génocide, mais à ce jour ils n’ont pas paru très désireux de mettre fin à l’assistance états-unienne et de forcer Israël à cesser le carnage à Gaza. Ils seraient plutôt prêts à courir le risque de laisser les États-Unis devenir un État paria.

  • Mohamad Bazzi est directeur du Centre Hagop Kevorkian pour les études du Proche-Orient et professeur de journalisme à la New York University