Source : En attendant Nadeau

La vision développée par Eva Illouz dans « Les émotions contre la démocratie » est exemplaire des contradictions de la gauche israélienne.

L’apartheid, et après ?

La violence extrême qui s’est abattue sur le Proche-Orient depuis le 7 octobre dernier a produit sur beaucoup un effet de sidération tant elle était inattendue. Elle s’inscrivait cependant dans une histoire de longue durée, celle de la transformation d’Israël en un État d’apartheid. La situation n’y est pas rigoureusement identique à celle de l’Afrique du Sud jusqu’en 1991, mais comme en Afrique du Sud elle est fondée « sur la séparation complète de deux groupes humains vivant l’un à côté de l’autre, voire l’un dans l’autre », écrit l’historien israélien Shlomo Sand dans son nouvel essai, Deux peuples pour un État ? Avec Nathan Thrall, tout autant anthropologue et historien que journaliste dans Une journée dans la vie d’Abed Salama, on découvre ce qu’est le quotidien douloureux des femmes, des hommes, mais aussi des enfants qui subissent les conséquences de cette séparation.

Les émotions d’une démocratie coloniale

Dans une tribune publiée dans Le Monde le 15 novembre dernier, la sociologue franco-israélienne Eva Illouz faisait le constat de l’importance croissante en Israël d’un « fascisme juif » incarné par le député Itamar Ben Gvir. Depuis, Ben Gvir, qui « affiche un mépris ouvert pour les normes et les institutions démocratiques », est devenu ministre de la Sécurité nationale. Le passage du « populisme nationaliste », par lequel les démocraties périssent de mort lente, au fascisme est donc consommé. Parmi les multiples facteurs qui ont abouti à cette déroute de la démocratie, Eva Illouz accorde dans son nouveau livre une place primordiale aux émotions et à leur manipulation par des forces politiques qui contrôlent également les médias. L’émotionnel prime alors sur le rationnel et même parfois sur les intérêts socio-économiques de l’électorat.