Éducation sous les tirs : Les élèves palestiniens de la Vallée du Jourdain subissent la violence de l’armée israélienne quand ils sont à l’école.

Ramallah, le 16 juin 2022 – « Tous les jours, [mon fils] rentre à la maison et tout ce dont il peut parler, c’est de soldats, de tanks et de tirs….

Ramallah, le 16 juin 2022 – « Tous les jours, [mon fils] rentre à la maison et tout ce dont il peut parler, c’est de soldats, de tanks et de tirs d’obus et de balles », a dit le père de Sari S., élève de 16 ans du lycée de garçons Tayaseer. « Il ne parle plus de ses cours, de ses examens et des résultats. C’est inquiétant parce que cela aura sûrement un impact sur ses études. »

Dans le nord de la Vallée du Jourdain en Cisjordanie occupée, 257 élèves palestiniens vont au lycée de garçons Tayaseer. Cette année scolaire a été différente : Au mois d’août, les forces israéliennes ont saisi le terrain qui jouxte le lycée et en ont fait une zone d’entraînement militaire.

Les soldats israéliens tiennent des exercices militaires directement à côté du lycée. Les élèves doivent traverser cette zone tous les jours pour aller au lycée et en repartir. Leurs cours sont interrompus par les tirs d’obus et de balles des soldats israéliens.

1ère partie. Touché par balle et arrêté sur le chemin de l’école

Alors que Sari S., 16 ans, approchait du lycée le 18 août 2021, il pouvait voir de loin les forces israéliennes.

« J’étais vraiment effrayé », a-t-il dit à Défense des Enfants International – Palestine. « Mais j’ai eu peur que, si je repartais chez moi, ils me tirent dessus, aussi j’ai continué de marcher vers le lycée tout en étant vraiment terrifié. »

Avant que Sari soit arrivé au lycée, les soldats israéliens l’ont arrêté pendant environ un quart d’heure.

« J’avais très peur qu’ils me battent ou m’arrêtent », a-t-il dit à DCIP.

« L’un d’eux [les soldats israéliens] m’a insulté plusieurs fois, et en criant, et j’étais encore plus effrayé et tendu. Quand ils m’ont permis de partir et d’entrer au lycée, je me suis senti très heureux, mais je ne me suis pas senti complètement en sécurité jusqu’à ce que je pénètre dans la cour du lycée et que je rejoigne les autres élèves, parce que j’avais peur que l’un d’entre eux me tire dans le dos parce qu’ils se tenaient encore derrière moi », a dit Sari.

Le même matin, deux autres élèves du lycée de Sari, dont Momen D. ,14 ans, ont été atteints par balles sur leur chemin vers le lycée et au retour.

Nous avons essayé plus d’une fois d’entrer au lycée, mais ils nous en empêchaient en pointant leurs fusils sur nous, comme s’ils ne voulaient pas que nous étudions », raconte Momen alors qu’il essayait d’atteindre le lycée le 18 août. « Puis j’ai décidé de rentrer chez moi. Alors que je marchais, j’ai été atteint par une balle réelle à la jambe droite. »

L’armée israélienne a transformé la zone qui entoure le lycée de garçons Tayaseer, situé près de Tubas au nord de la Cisjordanie occupée, en zone d’entraînement militaire à la mi-août 2021. Des baraquements militaires, que les élèves peuvent voir par les fenêtres de leur classe, ont été construits près du lycée.

Les soldats israéliens ciblent régulièrement et délibérément les élèves palestiniens de Tayaseer, y compris à balles réelles et avec des gaz lacrymogènes, d’après les preuves réunies par DCIP. Deux semaines tout juste après que les soldats israéliens aient arrêté Sari S. et tiré sur Momen D. près de leur lycée, le 2 septembre 2021, les forces israéliennes ont arrêté Mahmoud A. pendant trois heures sur son chemin vers le lycée. Les soldats israéliens l’ont menotté et lui ont bandé les yeux sans aucune raison apparente.

« Avant cet incident, j’avais l’habitude d’aller au lycée tous les matins comme n’importe quel autre enfant », a dit Sari à DCIP. « Cette année, j’étais très excité à l’idée de retourner au lycée après une longue pause à cause des fermetures dues au coronavirus, mais l’occupation [israélienne] a tout ruiné pour moi et beaucoup d’autres élèves à cause de sa présence à l’extérieur du lycée et de ses mauvais traitements sur les élèves. Aller au lycée et en revenir est devenu un tâche difficile et terrifiante. »

D’après OCHA, 56 % de la Vallée du Jourdain et de la région de la Mer Morte en Cisjordanie occupée sont désignées en tant que zones militaires fermées. Les zones militaires fermées sont créées par ordre militaire israélien et rendent cette zone interdite à quiconque excepté l’armée israélienne ou les détenteurs d’un permis émis par les forces israéliennes. Les zones militaires fermées sont un outil utilisé par les forces israéliennes pour y éliminer la présence des Palestiniens. Les forces israéliennes créent fréquemment ces zones militaires fermées afin de réprimer des manifestations ou saisir et démolir des propriétés palestiniennes, d’après les preuves réunies par Human Rights Watch.

Environ 6.200 Palestiniens vivent dans ces zones militaires fermées israéliennes, dont la majorité sont des autochtones bédouins et autres communautés de bergers qui y vivent depuis des générations.

Husam A., âgé de 12 ans, était en route vers le collège quand des soldats israéliens l’ont arrêté pendant toute une journée scolaire. Husam A. va au collège mixte Al-Sawiya Al-Lubban en zone C, près de la ville de Naplouse en Cisjordanie occupée.

Les Accords d’Oslo II de 1995 ont divisé la Cisjordanie en trois sections. Les parties les plus peuplées de Cisjordanie, où se trouvent les grandes villes, sont dans les zones A et B et sont sous le contrôle civil de l’Autorité Palestinienne. La zone C, qui comprend la plus grande partie de la Vallée du Jourdain et la région de la Mer Morte ainsi que d’autres zones rurales, représente 60 % de la Cisjordanie et est sous contrôle civil israélien. Malgré cet accord, Israël demeure la Puissance Occupante selon le droit humanitaire international et conserve un contrôle suprême sur la totalité de la Cisjordanie occupée.

Virtuellement, la totalité de la zone C est interdite aux Palestiniens, son utilisation étant à la place réservé à l’armée israélienne ou sous la juridiction des colonies israéliennes, d’après OCHA

La Vallée du Jourdain représente 60 % de la Cisjordanie occupée, et pourtant 94 % de la terre est considérée comme interdite aux Palestiniens, y compris les communautés de Bédouins et de bergers, à cause des zones militaires israéliennes fermées, des réserves naturelles, des colonies israéliennes illégales, et de la presque impossibilité d’obtenir des permis de construire en zone C, ce qui représente 87 % de la Vallée du Jourdain, d’après OCHA.

La Vallée du Jourdain comprend certaines des terres les plus fertiles de Cisjordanie, mais les Palestiniens ont l’interdiction de l’utiliser pour leur agriculture. Cependant, les Israéliens qui vivent dans les colonies illégales dans toute la Vallée du Jourdain ont le droit d’utiliser la terre à des fins agricoles, minérales et autres.

Des responsables du gouvernement israélien, dont le Premier ministre Benjamin Netanyahou, ont promis en 2020 que la Vallée du Jourdain resterait sous contrôle israélien et ferait partie de la frontière orientale d’Israël.

2ème partie. « Il n’y a pas d’alternative à cette école »

Sans aucune possibilité de construire une infrastructure alternative loin du terrain d’entraînement militaire israélien, ni aucune alternative à leur portée pour l’éducation, les familles qui envoient leurs enfants au lycée Tayaseer sont obligées de choisir entre faire éduquer leurs enfants et les soumettre aux menaces quotidiennes de l’armée israélienne.

« Il n’y a pas d’alternative à cette école », dit le père de Mohammad D., l’un des élèves du lycée Tayaseer. « S’il y avait une autre école dans le village, je n’hésiterais pas une seconde à le transférer. Tout ce que je souhaite, c’est, pour tous les élèves, un environnement d’étude accueillant pour les enfants. »

« Je pars souvent au travail en retard parce que j’ai besoin de m’assurer que mon fils arrive sain et sauf au lycée », poursuit le père de Mohammad D. « A cause des tirs et des obus d’artillerie, les élèves comme mon fils sont troublés, perturbés et déconcentrés. »

Le matin, avant le début des cours, le proviseur du lycée Tayaseer, Basem Kharaz, et des professeurs attendent à la grille du lycée l’arrivée des élèves, et de même quand les élèves quittent le lycée.

Ils soutiennent leurs élèves dans leurs trajets vers le lycée et dans leurs rencontres avec les soldats israéliens en étant présents.

« Parfois, les soldats ne nous permettent pas de nous tenir devant le lycée », dit Kharaz. « En plus, nous sommes constamment obligés de fermer les fenêtres des classes, malgré les températures élevées, afin de réduire le niveau de distraction dû à ce qui se passe l’extérieur, mais aussi de les protéger contre la suffocation à cause des gaz lacrymogènes tirés de temps en temps par les soldats et d’essayer d’atténuer le bruit des balles et des obus d’artillerie. »

3ème partie. Les forces israéliennes créent un environnement hostile et dangereux pour les familles de Tayaseer

Le 18 août 2021, le lendemain du jour où les soldats israéliens ont arrêté Sari S. et tiré une balle dans la jambe de Momen D., environ 40 élèves de Tayaseer ne sont pas venus au lycée. Le conseiller pédagogique Moath Al-Kilani a parlé avec les élèves et les parents et a appris que la présence de l’armée israélienne terrifiait tellement ces élèves qu’ils avaient choisi de ne pas venir au lycée. Les parents ont peur que venir à l’école mette la vie de leurs enfants en danger et certains des plus jeunes élèves se sont retrouvés avec des problèmes d’énurésie à la suite des exercices militaires israéliens.

Al-Kilani raconte qu’un élève a abandonné l’école à cause des entraînements militaires qui avaient gravement impacté sa santé mentale.

Le proviseur Kharaz a dit à DCIP qu’il avait appris plus tard qu’un autre élève avait été atteint par balle par un soldat israélien le 18 août 2021 – cette fois-ci avec une balle de métal enrobé de caoutchouc. L’élève n’a pas parlé de sa blessure, disant qu’il craignait d’être arrêté si on l’emmenait à l’hôpital.

4ème partie. « Alors que nous sommes en classe, ils tirent abondamment. »

« Mes camarades de classe et moi avions l’habitude, au début de chaque année scolaire, de faire la course pour nous asseoir près des fenêtres, mais cette année, nous avons évité de nous asseoir près des fenêtres parce que c’était devenu un vrai danger », a dit Sari à DCIP.

« Je ne pouvais pas me concentrer en classe à cause du bruit des balles et des obus d’artillerie, sans parler de la fumée et de la poussière soulevée par ces obus », a dit Sari à DCIP. « Je pensais toujours à la façon dont je pourrais rentrer chez moi après les cours. Quand je suis au lycée, je m’inquiète de la fin de la journée scolaire parce que je dois trouver mon chemin vers chez moi au milieu des soldats, surtout après qu’ils aient tiré sur deux de mes camarades de classe. »

« Tout le monde vit dans la peur et le danger à cause des balles qui pourraient entrer dans notre corps sur le chemin vers l’école ou au retour », explique Sayyaf D., 14 ans autre élève de Tayaseer. « Alors que nous sommes en classe, ils tirent lourdement, ce qui me distrait et oblige les professeurs à arrêter le cours un moment. »

« Un jour, je venais au lycée quand j’ai vu un certain nombre de soldats d’occupation autour du lycée et à la grille du lycée, en plus de dizaines de tanks à côté », a dit Sayyaf à DCIP. « Ils tiraient des balles réelles et des gaz lacrymogènes, et je n’ai donc pas pu arriver jusqu’au lycée. »

Il est reparti et a attendu à l’abri que les tirs cessent. « Après environ 20 minutes, les tirs ont cessé et j’ai vu que le proviseur et un certain nombre de professeurs se tenaient à l’entrée, alors je suis revenu au lycée, mais je tremblais de peur », a-t-il dit.

« La seule solution pour créer un environnement scolaire sûr, c’est le retrait des soldats et des véhicules d’occupation israélienne de la proximité du lycée », a dit le proviseur Kharaz à DCIP.

Israël a ratifié la Convention des Droits de l’Enfant (CDE) en 1991. La convention assure les droits fondamentaux à la santé et à l’éducation à tous les enfants, sans distinction de nationalité ou d’ethnie.

L’article 28(1)(e) de la CDE exige spécifiquement de chaque État partie qu’il prenne des mesures pour encourager la présence régulière à l’école et la réduction du taux d’abandon, et l’article 38(4) oblige les signataires à protéger la population civile en accord avec le droit humanitaire international et à prendre toutes les les mesures possibles pour assurer la protection et la prise en charge des enfants qui sont touchés par un conflit armé.