Le Franco-Palestinien Salah Hamouri, prisonnier du dédale carcéral israélien

L’emprisonnement du défenseur des droits humains a été prolongé de trois mois, sans que la moindre charge ne lui soit notifiée, en vertu du système de la détention administrative, un régime arbitraire, renouvelable indéfiniment.

Il n’y a pas eu de jugement cette fois-ci, pas même un passage au tribunal. Dimanche 5 juin, la détention administrative de Salah Hamouri, avocat franco-palestinien de 37 ans en prison depuis le 7 mars, a été prolongée de trois mois. Les autorités israéliennes ont transmis l’ordre directement à son avocat. L’accusé ignore toujours ce qui lui est reproché ; son dossier est secret. En tout, compte tenu de ses précédentes détentions administratives, notamment en 2018, Salah Hamouri a déjà passé près de deux ans en prison sous ce régime.

Ce système permet à Israël d’incarcérer des accusés sans qu’ils aient accès à leur dossier, pour des périodes de trois à six mois, renouvelables indéfiniment. Rien ne dit que Salah Hamouri sera libre le 5 septembre. L’avocat s’est joint aux autres détenus administratifs palestiniens qui, depuis le début de l’année, protestent contre ce régime arbitraire. Ils boycottent les tribunaux militaires censés renouveler les périodes d’incarcération.

« Le problème de ce mode de détention, c’est qu’on ne peut pas se projeter. A l’inverse d’un détenu normal, on n’a pas de fin de peine, explique son épouse, Elsa Lefort, interdite d’entrée sur le territoire en Israël et dans les territoires palestiniens occupés depuis 2016. C’est particulièrement stressant d’être dans ce flou : le flou sur les dates de sa libération et le flou sur les motifs de son incarcération, » Elle n’a pas eu de contact avec son mari depuis le 7 mars, pas même un coup de fil, et ne l’a pas vu depuis la naissance de leur fille, il y a treize mois.

Accusé d’appartenir au FPLP

Salah Hamouri avait déjà été emprisonné entre 2005 et 2011, pour avoir, selon la justice israélienne, participé à un complot visant à assassiner un dirigeant religieux et politique israélien. Même si aucun élément concret ne figurait dans le dossier d’accusation, le jeune homme avait alors, comme le font beaucoup de Palestiniens, accepté de plaider coupable contre une réduction de peine. Le militant des droits de l’homme est aussi sous le coup d’une procédure de révocation de sa résidence à Jérusalem. Ce statut précaire, sous lequel vit l’immense majorité des Palestiniens de la Ville sainte, faute d’être citoyens, peut être retiré par Israël à tout moment.

L’Etat hébreu estime que l’avocat est coupable de « violation grave de l’essentiel de son engagement en tant que résident israélien ». Il l’accuse notamment d’appartenir au Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), organisation classée terroriste par l’Union européenne et Israël – ce que l’intéressé nie. Une audience est fixée à la Cour suprême, en dernier recours, le 6 février 2023. Salah Hamouri craint que sa détention actuelle soit un moyen d’« accélérer son expulsion de Palestine », précise Elsa Lefort, qui souligne que son mari était déjà sous le coup de nombreuses restrictions de mouvement et ne pouvait plus exercer son métier, faute d’être autorisé à entrer dans les tribunaux et les prisons. « C’est aussi une façon de le faire encore souffrir », dit-elle.

La détention administrative n’est pas interdite en droit international, à condition d’être utilisée de manière très ciblée, sur des dossiers à haut risque sécuritaire. Telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui par Israël, à grande échelle et sans que les détenus aient accès aux accusations portées contre eux, elle est illégale, martèle Jessica Montell, qui dirige l’ONG israélienne Hamoked. Au 1er juin, cette dernière recensait 640 Palestiniens, dont des mineurs, en détention administrative, certains depuis plus de deux ans. Un record depuis août 2016. « Normalement, ce type d’incarcération est utilisé pour prévenir des attaques, des violences, des meurtres… Aujourd’hui, les autorités [israéliennes] s’en servent pour des arrestations politiques, pour réprimer toute liberté », souligne Khaled Zabarka, avocat palestinien, qui affirme que « certains sont arrêtés pour une publication sur Facebook ».

« Dossier secret »

Pour les Palestiniens de Cisjordanie et de Jérusalem, la détention administrative reste surtout l’illustration cruelle de l’arbitraire israélien. Les audiences se tiennent au tribunal militaire d’Ofer, en Cisjordanie occupée. « Les services de renseignements présentent un dossier secret. L’avocat n’y a pas accès, il ne sait pas ce qu’il contient, celui qui est arrêté non plus, c’est une audience entre les juges et le Shin Beth [les renseignements intérieurs israéliens], résume Me Khaled Zabarka. Nous, les avocats, on est juste là pour la forme. »

Ensuite, le détenu a la possibilité de faire appel auprès de la Cour suprême. « On peut donc comprendre que les détenus refusent de participer à ce processus, juge Jessica Montell à propos du boycott actuel. Ce qui est assez incroyable, c’est que, depuis le début de l’année, tout continue à Ofer, sans eux ! Vous n’êtes plus là, mais le procureur militaire passe en revue le dossier, les juges aussi, la détention est approuvée. Il n’y a juste plus de recours à la Cour suprême, mais, en réalité, aucun de ces recours n’aboutissait. »

Ce n’est pas la première fois que des détenus administratifs boudent les tribunaux, pour l’instant sans grand effet, si ce n’est de démontrer l’arbitraire du système, qui continue à fonctionner, même sans les accusés dans la salle d’audience. En parallèle, deux Palestiniens ont entamé une grève de la faim. Khalil Awawdeh a arrêté de s’alimenter depuis quatre-vingt-dix-sept jours et Raed Rayyan depuis soixante-deux jours, selon le Club des prisonniers palestiniens, pour protester contre leur détention sans jugement. En 2021, Hisham Abu Hawash avait tenu plus de cent quarante jours avant d’être finalement libéré. Avec cinq autres prisonniers, ils avaient réussi à attirer l’attention sur le sujet – au prix de lourdes séquelles dans leurs corps. Au fil des années, ces grèves de la faim ont permis de remporter quelques victoires concrètes, sur le droit de visite ou l’amélioration des conditions de détention, sans jamais remettre en cause le système dans son ensemble.

Salah Hamouri, citoyen français marié à une Française, attend le soutien des autorités de son pays. Fin avril, le ministère des affaires étrangères de l’Hexagone assurait avoir « engagé des démarches » pour connaître les raisons de sa détention et souhaitait qu’il « soit libéré et qu’il puisse mener une vie normale à Jérusalem ». « Nous ne sommes pas tenus informés, tout cela manque de conviction, regrette son épouse. La France, cette fois-ci, contrairement à la précédente incarcération, n’a pas dit que c’était une détention arbitraire. »