Dans la zone de tir : après la décision de la Cour, les expulsions commencent dans les villages de Cisjordanie

Les Palestiniens de Masafer Yatta – ou Zone de tir 918 pour les Israéliens – jurent de reconstruire tandis que les bulldozers détruisent leurs maisons.

En-dessous du plateau poussiéreux qui héberge le village de Khribet al-Fakhiet, sur le bord sud de la Cisjordanie occupée, des moutons, des chèvres et des chameaux appartenant aux Bédouins palestiniens vagabondent dans les collines. La ville israélienne d’Arad étincelle au loin et, au-delà de la vallée vers l’est, les montagnes de la Jordanie voisine se dressent à la rencontre du ciel. Bien plus proche, la colonie israélienne illégale de Mitzpe Yair surgit de la crête suivante.

Des routes non pavées qui secouent les os sillonnent ce semi-désert vallonné, frappé par la pauvreté,

qui fait partie des 60% de la Cisjordanie totalement sous le contrôle israélien. Les Palestiniens l’appellent Masafer Yatta, une collection de villages avec une population d’environ 1000 personnes. Pour l’Etat israélien, cependant, c’est la Zone de tir 918, une zone d’entraînement militaire dans laquelle les civils sont interdits. Le combat pour le contrôle de ces 3000 hectares (7410 acres) est l’une des batailles les plus féroces de l’occupation israélienne.

Plus tôt ce mois-ci, la Cour suprême d’Israël a finalement tranché dans une affaire vieille de deux décennies sur le sort de la région : la terre doit être reconvertie à l’usage militaire, en appuyant l’argument des Forces de défense israéliennes (FDI) selon lequel les Palestiniens vivant ici ne pouvaient pas prouver qu’ils y étaient des résidents avant l’établissement de la zone de tir en 1981. La décision — une des plus importantes sur les expulsions depuis le début de l’occupation en 1967 – ouvre la voie à l’expulsion de quiconque vit ici.

Les démolitions longtemps craintes, dont les experts des Nations Unies ont dit qu’elles pourraient représenter des crimes de guerre, ont déjà commencé. La semaine dernière, 11 maisons et ateliers de

Fakhiet ont été démolis. Neuf structures supplémentaires à al-Majaz, à proximité, ont été détruits avec des bulldozers par une entreprise israélienne, à laquelle l’Etat a sous-traité le travail de démolition. Des soldats des FDI et la police, chargés de sécuriser le périmètre, regardent.

Mohammed Ayoub, un fermier, et 17 membres de sa famille étendue à Fakhiet, sont devenus des sans-abris en l’espace de 30 minutes et tous vivent maintenant sous une unique tente.

« C’est trop chaud pour les petits enfants et trop serré pour tant de personnes », a-t-il dit. «  Nous reconstruirons parce que c’est notre maison. Ils peuvent bien revenir et la détruire encore … Une maison est supposée être un endroit sûr. »

Les FDI n’ont pas répondu immédiatement à une demande de commentaires sur les démolitions.

Environ 18% de la Zone C, la Cisjordanie sous total contrôle israélien, a été reconverti depuis les années 1970 en des « zones de tir » pour l’usage des FDI. Selon les procès-verbaux d’une réunion ministérielle de 1981, le ministre de l’Agriculture de l’époque, Ariel Sharon, qui est devenu plus tard Premier ministre, a proposé de créer la Zone de tir 918 avec l’intention explicite de forcer les Palestiniens locaux à quitter leurs maisons.

En 1999, 700 résidents de Masafer Yatta ont été expulsés, poussés de force dans des camions par des soldats, mais après un recours en justice, la communauté a été autorisée à revenir jusqu’à ce qu’une décision finale soit prise.

Depuis, les Palestiniens vivant à l’intérieur des paramètres de la Zone 918 ont été à plusieurs reprises menacés de la démolition de leurs maisons et de la confiscation de leurs terres agricoles parce qu’ils étaient dépourvus de permis de construire, permis qui sont émis par les autorités israéliennes. Selon l’administration civile israélienne, seuls 75 permis de construire ont été accordés aux Palestiniens vivant en Zone C depuis 2006, alors que 20500 ont été approuvés pour des colonies israéliennes illégales, qui sont considérées par la communauté internationale comme un obstacle majeur à une paix durable.

Pendant le gouvernement, favorable à Israël, de Donald Trump aux Etats-Unis, il y a eu une croissance de 150% de la construction des colonies. Et bien que le nouveau gouvernement d’Israël soit une coalition diverse de partis de gauche et de droite, il semble probable qu’il continuera à approuver les demandes en Cisjordanie.

« Il ne s’agit pas vraiment de détruire les maisons », a déclaré Hamdan Mohammed al-Huraini, un militant local. «  Il s’agit de détruire la vie ».

Nadav Weiman, vice-directeur de Breaking the Silence [Briser le silence], une ONG qui rassemble les témoignages d’anciens soldats israéliens sur ce dont ils ont été témoins en maintenant l’occupation, a dit : «  Quand je faisais mon service militaire, je me suis entraîné ici. On nous a dit que nous recherchions des trafiquants. Nous étions supposés rendre les vies de ces gens misérables. C’était le point. »

A Jinba, une communauté qui a vécu dans des caves fraiches au flanc des collines depuis les jours de l’Empire ottomon, la famille Bakar est régulièrement harcelée par les colons israéliens et par l’armée. Zakaria, 18 ans, a été attaqué par des colons il y a quelques semaines, le laissant avec des brûlures sur le visage et le bras, et le week-end dernier, un autre membre de la famille a été détenu sur le bord de la route une nuit entière lorsque sa voiture s’est cassée près d’une base des FDI.

Quand il y a une activité militaire dans la zone, les tirs d’artillerie au milieu de la nuit effraient les enfants, a dit la mère de Zakaria, Nadja Mohammed Bakar, 52 ans.

« Une des excuses que les Israéliens utilisent est qu’ils sont inquiets à notre propos et sur notre façon de vivre, c’est pourquoi ils veulent nous expulser et nous déplacer en ville », a-t-elle dit. « D’abord, ce n’est pas du tout leur affaire la manière dont je vis ma vie. Ensuite, s’ils sont tellement inquiets, pourquoi ne nous laissent-ils pas construire ? »

A une école de Fakhiet mercredi, 15 personnes, dont des adolescentes et des hommes âgés, se sont familiarisées avec de nouvelles caméras lors d’un atelier organisé par B’Tselem, une ONG israélienne de défense des droits humains. Le groupe a appris les principes de la collecte de preuves, les techniques pour filmer et la manière de garantir sa propre sécurité, en s’assurant de rester hors du chemin des soldats et des bulldozers quand on enregistre.

« Je suis inquiète à l’idée de perdre ma maison », a dit Bira Mohammed Mazra, 21 ans, d’un village proche. «  Cela semble un moyen pour que je puisse aider. Nous sommes attaqués et nous avons besoin de le montrer au monde … Je n’ai pas peur de faire cela. »