« Nous n’abandonnerons pas » : les Palestiniens de Gaza reconstruisent, à partir de zéro

Note d’AURDIP : Les bureaux de la société Tashkeel3D à Gaza, propriété de Mohammed Abu Matar, ont été détruits le 18 mai par un raid aérien israélien. C’est l’un des partenaires de la société Glia, fondée par le Dr Tarek Loubani, qui fabrique des outils médicaux pour et à Gaza par impression 3D. Le Dr Tarek Loubani était l’invité de l’AURDIP en mars 2019. Il a donné une conférence intitulée « [Fournir des soins de santé sous le feu à Gaza, les problèmes et la promesse » où il a parlé de Glia.]

Gaza – Des années de dur travail, de sueur et d’effort ont été investies dans Tashkeel 3D, l’entreprise d’impression en 3D de Mohammed Abu Matar.

C’était le seul établissements dans toute la Bande de Gaza capable de fabriquer des fournitures médicales de base, comme des stéthoscopes et des tourniquets, des instruments dont les hôpitaux de Gaza ont désespérément besoin, mais qui sont difficiles à obtenir dans un blocus israélo-égyptien de 14 années.

Israël a interdit d’entrée dans la Bande de Gaza une pléthore de matériaux et de fournitures, pendant des années, parce qu’elles étaient classées « à double usage [civil et militaire] », faisant de l’impression en 3D d’Abu Matar une façon de contourner le blocus et d’imprimer des objets essentiels et vitaux à bas coût.

Mais le 18 mai à 6h, les raids aériens d’Israël ont écrasé l’immeuble qui hébergeait son labo, une tragédie pour Abu Matar et son équipe de trois personnes.

« Quand j’ai entendu les nouvelles, tous mes souvenirs de cet endroit ont afflué devant moi comme dans un film. C’était mon rêve d’enfant », a dit Abu Matar, 35 ans, à Al Jazeera.

« Israël ne permet pas l’entrée d’imprimantes ou de machines sophistiquées dans la Bande, donc nous avons dû démarrer à zéro et construire ces capacités nous-mêmes. Cela incluait des matériaux, des machines, de la recherche, tout cela a été détruit. »

Dans l’impossibilité de l’importer, Abu Matar et son équipe ont construit eux-mêmes, en 2014, la première imprimante en 3D de Gaza, en grapillant et assemblant des pièces détachées et en suivant des modèles open-source en ligne.

Ils ont assemblé des machines à contrôle numérique par ordinateur et des scanners 3D qui n’étaient pas disponibles jusque là à Gaza.

Depuis 2017, Abu Matar estime qu’ils ont investi en ressources plus de 150000 dollars, mais ce n’est certainement pas qu’une question d’argent.

« Cela nous a coûté beaucoup de recherche et de travail intellectuel. C’est inestimable », a dit Abu Matar.

Abu Matar et son équipe avaient des contrats avec différentes cliniques et des ONG, dont Médecins sans frontières, qui comptaient sur eux pour disposer d’instruments médicaux, imprimés en 3D.

« Cela signifie beaucoup pour moi quand je sais que ma technologie et mes projets aident des patients à Gaza », a-t-il dit.

Un fragile cessez-le-feu s’est installé à Gaza depuis vendredi matin après que la Bande a vécu la pire attaque militaire depuis des années, attaque au cours de laquelle au moins 248 Palestiniens, dont 66 enfants, ont été tués dans des attaques aériennes israéliennes.

Beaucoup de sites commerciaux et innovants ciblés par les forces israéliennes pendant ce bombardement de 11 jours étaient des ressources inestimables pour l’enclave sous blocus. Les forces israéliennes ont aussi détruit une librairie appartenant au beau-père d’Abu Matar, qui conservait des livres rares impossibles à trouver ailleurs à Gaza, a dit Abu Matar.

« Repartir de zéro »

A l’est de la Bande de Gaza où la zone industrielle est située, 18 usines ont été ciblées par les attaques aériennes israéliennes, selon Bajes El Dalou, directeur de son département d’investissement.

Dix des usines ont été totalement détruites et huit sévèrement endommagées, affectant 200 employés qui n’ont maintenant plus de travail, a expliqué El Dalou à Al Jazeera.

« Je ne pense pas qu’il y avait une autre intention [dans le ciblage des usines par les attaques aériennes israéliennes] que de briser notre volonté comme peuple et de nous détruire. C’est quelque chose à quoi nous nous sommes habitués », a dit El Dalou.

Quand Nihad al-Sawafiri a entendu que son entreprise de mobilier avait été détruite le 17 mai dans la zone industrielle près de la frontière d’al-Muntar – connue des Israéliens en tant que Karni – c’était comme « un rêve qui s’est évanoui d’un coup », a-t-il dit.

Avant de lancer sa compagnie, il a cherché l’emplacement le plus sûr à Gaza pour son entreprise.

Une association commerciale palestinienne l’a informé qu’il y avait des traités et des accords internationaux en place pour garantir que la partie orientale de Gaza était une zone sûre, libre des attaques israéliennes, et où les entreprises pourraient se développer », a dit al-Sawafiri à Al Jazeera.

« Mais pourtant, il y a eu des attaques et j’ai perdu mon entreprise. Imaginez-vous travailler dur pendant 30 ans et vous perdez tout cela en une nuit. C’est une catastrophe », a dit al-Sawafiri.

« Je ne sais pas combien de temps cela va me prendre de reconstruire l’entreprise, mais, si les choses se passent bien et que l’argent de la reconstruction revient à Gaza, cela me prendra au moins six mois pour repartir encore une fois à zéro.
L’argent et les entreprises peuvent être dédommagés mais la vie humaine, non, donc je suis heureux que nous sortions vivants de cette guerre ».

« Tout s’est évanoui »

Mohammed Fora, 28 ans, était le propriétaire d’un salon de coiffure dans le district de Shejiaya, dans l’est de Gaza, que les avions de chasse israéliens ont détruit le 16 mai.

Fora et son frère ont commencé leur commerce pour nourrir leur famille, y compris leur frère qui a un handicap physique et a besoin d’un traitement permanent.

« Maintenant, tout a disparu », a dit Fora à Al Jazeera.

Il aura à le reconstruire de zéro, mais cela lui a coûté 15000 dollars il y a quelque 10 ans et c’est un processus difficile.

« J’attendrai que le comité de reconstruction de Gaza me dédommage, mais cela prend souvent des mois, voire des années. Pour l’instant, mon frère et moi cherchons des jobs manuels séparés comme ouvriers dans le bâtiment. Nous devons avancer, nous ne pouvons pas survivre sinon », a dit Fora.

« Nous ne voulons pas que quiconque se sente triste pour nous, mais au moins laissez-nous vivre. Laissez-nous seulement vivre. Je suis désappointé [par la communauté internationale]. Ce ne sont que paroles en l’air. S’ils s’en souciaient assez, ils auraient fait [quelque chose] il y a longtemps ».

Il a expliqué que son salon de coiffure a été détruit quand les raids aériens israéliens ont frappé le cimetière à côté. « Pourquoi cibler les morts ? C’est ironique que les morts même ne devraient pas se sentir tranquilles », a dit Fora.

En ce qui concerne Abu Matar, il est seulement reconnaissant que lui et les personnes qui lui sont chères aient survécu aux attaques.

« Pendant cette guerre, personne ne s’attendait à s’en sortir vivant », a-t-il dit. « Perdre mon entreprise — dans lequel mon équipe et moi avons mis tant d’efforts et de ressources — a été un grand désastre, mais les vies humaines sont absolument plus précieuses. »

Une page de crowdfunding peut aider à faire refonctionner son labo. En 36 heures, des donateurs ont rassemblé près de 27000 dollars, plus de la moitié de la somme visée.

« Nous étions tous attristés par les nouvelles [quand nous avons entendu que c’était détruit], mais nous comprenons aussi que les graines de notre entreprise étaient le défi, la provocation à cette occupation et nous allons faire un effort supplémentaire pour reconstruire ce qu’Israël a détruit », a dit Abu Matar.

« Mon message est un message d’espoir et de défi. Nous n’abandonnerons pas. Nous continuerons et nous reconstruirons notre entreprise. Gaza tout entier est un défi, c’est de rendre possible l’impossible. Nous le ferons ».