Lettre à Facebook cosignée par 56 universitaires : N’adoptez pas la « définition IHRA de l’antisémitisme »

à Facebook, inc. À l’attention du Comité de Direction 1 Hacker Way Menlo Park, CA 94025 Objet : campagne visant à faire adopter par Facebook la « définition IHRA de l’antisémitisme » 7….

à Facebook, inc.
À l’attention du Comité de Direction
1 Hacker Way
Menlo Park, CA 94025

Objet : campagne visant à faire adopter par Facebook la « définition IHRA de l’antisémitisme »

7 septembre 2020

Cher Mr. Zuckerberg, cher Mme. Sandberg, chers membres du Comité de Direction,

Nous, universitaires spécialistes de l’antisémitisme, de l’histoire des Juifs et de l’Holocauste et du conflit israélo-palestinien, vous écrivons concernant la politique et les efforts de Facebook pour interdire les contenus antisémites de votre plate-forme, dans le cadre d’une lutte plus large de votre société contre les discours de haine et le fanatisme.

Nous sommes profondément inquiets devant la montée de l’antisémitisme à travers le monde. L’antisémitisme et toutes les autres formes de racisme et de fanatisme représentent une sérieuse menace qu’il faut combattre avec force. Nous louons les efforts de Facebook à cet égard et vous encourageons à les intensifier

Ce faisant, nous souhaitons émettre un vigoureux avertissement contre l’adoption et l’application par Facebook de la définition de l’antisémitisme utilisée par l’Alliance Internationale du Souvenir de l’Holocauste (IHRA). Vous vous rendrez bien compte que vous êtes actuellement la cible d’une campagne de pression publique et coordonnée visant à imposer cette définition à Facebook.

Le 7 août 2020, 128 organisations vous ont envoyé une lettre ouverte exhortant Facebook « à adopter entièrement la définition de travail de l’antisémitisme par l’IHRA » et de mettre en place une politique contre les discours de haine concernant l’antisémitisme avec « en son coeur » cette définition. Ils affirment : « Toute la définition de travail de l’antisémitisme par l’lHRA fournit à Facebook un outil efficace, neutre et nuancé pour protéger les utilisateurs juifs des discours et des images de haine qui incitent à la haine et conduisent très souvent à la violence. »

La définition de l’IHRA n’est pas « un outil efficace, neutre et nuancé » – certainement pas si elle est censée englober les « exemples contemporains d’antisémitisme » qui lui sont attachés. Et c’est ce que les signataires de la lettre ouverte signifient et envisagent lorsqu’ils vous demandent « d’adopter entièrement » la définition de l’IHRA.

En réalité, la définition de l’IHRA est hautement problématique et sujette à controverse. Les deux phrases de la définition elle même ne sont ni claires ni précises, en particulier la première : « L’antisémitisme est une certaine perception des Juifs, que l’on peut exprimer comme de la haine envers les Juifs » (c’est nous qui soulignons). C’est la raison pour laquelle la définition n’offre pas et ne peut offrir un instrument efficace pour combattre l’antisémitisme.

Elle n’est par ailleurs ni neutre ni nuancée. Les « exemples contemporains d’antisémitisme » susmentionnés qui lui sont attachés l’étendent à la critique dirigée contre l’État d’Israël et confondent ce genre de critique avec de l’antisémitisme. Ces exemples sont traités comme partie intégrante de la définition.

Pire, les exemples sont militarisés pour attaquer, délégitimer et réduire au silence les militants, experts, défenseurs des droits de l’homme et organisations de la société civile qui critiquent l’État d’Israël et le sionisme dans les limites de la liberté d’expression. Ce genre d’abus a été condamné par d’éminents experts de l’antisémitisme. Kenneth Stern, directeur du Centre Bard d’Etudes sur la Haine, qui a rédigé la définition de l’IHRA il y a quinze ans, a lui aussi dénoncé l’utilisation de la définition pour saper la liberté d’expression.

Parmi les signataires de la lettre ouverte que nous avez reçue le 7 août se trouvent de nombreuses organisations qui ont pris la tête de la militarisation de la définition de l’IHRA. Elles agissent en coordination étroite avec le gouvernement d’Israël, qu’elles protègent contre la critique internationale, alors qu’il pérennise l’occupation et s’avance vers une annexion officielle de la Palestine.

Ces organisations ont demandé au ministre israélien des Affaires Stratégiques d’amplifier sa campagne en direction de Facebook, également en vue de la plus vaste campagne que le Gouvernement israélien a lancée pour influencer les programmes des réseaux sociaux – qui s’appuient eux aussi sur la définition de l’IHRA. Ceci témoigne de l’agenda politique qui se cache derrière la campagne lancée vers vous.

Nous réitérons notre soutien total à vos efforts pour interdire les contenus antisémites sur Facebook et vous exhortons à les intensifier. Ces efforts n’aboutiront que si votre politique concernée est enracinée dans l’intégrité et l’universalité et si elle est perçue par la majorité de vos usagers comme crédible et sincère.

La définition IHRA de l’antisémitisme n’est pas conforme à ces normes essentielles. L’adopter serait un piège pour votre société et ses utilisateurs. Elle servirait de référence contre Facebook, vous exposant à des pressions continuelles et croissantes pour retirer des contenus interprétés comme violant les « exemples contemporains de l’antisémitisme » attachés à la définition de l’IHRA.

Considérant à quel point la définition de l’IHRA et ses exemples sont utilisés dans le domaine public, cela pourrait avoir des implications considérables pour Facebook et pour la liberté d’expression. Quelqu’un qui critiquerait Israël d’une façon qui serait perçue comme pratiquant le deux poids deux mesures pourrait alors être accusé d’antisémitisme selon votre politique d’entreprise. Quelqu’un qui adopterait l’antisionisme et soutiendrait la solution à un seul Etat démocratique au conflit israélo-palestinien, aussi. Ou quelqu’un qui blâmerait Israël pour son racisme institutionnalisé.

On peut certainement ne pas être d’accord avec ces prises de position. Mais ces sortes d’opinions sont légitimes et protégées par la liberté d’expression – sans compter qu’elles sont partagées par de nombreux Juifs à travers le monde. Interdire ce genre d’opinions ne fait pas avancer le combat contre l’antisémitisme, mais au contraire le sape.

La lettre ouverte des 128 organisations que vous avez reçue le 7 août a été déclenchée par des déclarations de votre Directeur de l’Engagement des Parties Prenantes sur la Politique de Contenu, Mr. Peter Stern, signalant que Facebook avait jusqu’ici résisté à l’adoption de la définition de l’IHRA parce que la définition reconnaît que les manifestations modernes d’antisémitisme se rapportent à Israël. Nous vous félicitons pour ce choix et vous exhortons à vous y tenir

Combattez toutes les formes de discours de haine sur Facebook. Mais ne le faites pas en adoptant et en appliquant une définition politisée de l’antisémitisme, qui a été militarisée pour saper la liberté d’expression, afin de mettre à l’abri le gouvernement israélien et réduire au silence les voix palestiniennes et leurs soutiens.

Signataires :

Prof. (emeritus) Dr. David Abraham
Professor (emeritus) of Law, School of Law, University of Miami
Prof. Gilbert Achcar
Professor of Development Studies and International Relations, SOAS, University of London
Dr. Albena Azmanova
University of Kent, Brussels School of International Studies
Prof. Bashir Bashir
The Open University Israel, The Van Leer Institute Jerusalem
Prof. Peter Beinart
Associate Professor of Journalism, Craig Newmark Graduate School of Journalism; Associate Professor of Political Science, City University of New York
Prof. Lila Corwin Berman
Professor of History, Temple University
Prof. Louise Bethlehem
English and Cultural Studies, Hebrew University of Jerusalem
Prof. Daniel D. Blatman
The Max and Rita Haber Chair in Contemporary Jewry and Holocaust Studies, The Hebrew University of Jerusalem
Prof. Daniel Boyarin
Taubman Professor of Talmudic Culture, UC Berkeley
Dr. Rony Brauman
Former associate professor, Sciences Po, University of Manchester
Prof. (emeritus) Jose Brunner
Cohn Institute for the History and Philosophy of Science and Ideas and Buchmann Faculty of Law, Tel Aviv University
Prof. Stephen Clingman
Distinguished University Professor, Department of English, University of Massachusetts
Prof. Alon Confino
Pen Tishkach Chair of Holocaust Studies, Professor of History and Jewish Studies University of Massachusetts, Amherst
Prof. Hasia R. Diner
Professor of Hebrew and Judaic Studies, Professor of History, New York University
Prof. Sidra DeKoven Ezrahi
Professor of Comparative Literature, The Hebrew University of Jerusalem
Prof. Marjorie N. Feld
Professor of History, History and Society Division, Babson College
Prof. (emeritus) Gideon Freudenthal
The Cohn Institute for the History and Philosophy of Science and Ideas, Tel Aviv University
Prof. (emeritus) Chaim Gans
Faculty of Law, Tel Aviv University
Prof. Dr. Efrat Gal-Ed
Institut für Jüdische Studien, Heinrich Heine Universität Düsseldorf
Prof. (emerita) Galia Golan
Darwin Professor, The Department of Political Science, Hebrew University of Jerusalem
Dr. Honaida Ghanim
General Director, Palestinian Forum for Israeli Studies, MADAR
Prof. Amos Goldberg
Department of Jewish History and Contemporary Jewry, Hebrew University of Jerusalem
Prof. Linda Gordon
Professor of the Humanities, Florence Kelley Professor of History, New York University
Prof. Neve Gordon
School of Law, Queen Mary University of London
Prof. Atina Grossmann
Professor of History, The Cooper Union, New York
Dr. Ofri Ilany
Polonsky Fellow, Van Leer Jerusalem Institute
Prof. Marion Kaplan
Skirball Professor of Modern Jewish History, New York University
Prof. Nadim Khoury
Associate Professor, Lillehammer University College
Prof. Nitzan Lebovic
Professor of History, Apter Chair of Holocaust Studies and Ethical Values, Lehigh University
Dr. (emeritus) Mark Levene
Department of History, University of Southampton
Prof. Laura S. Levitt
Professor of Religion, Jewish Studies and Gender, Temple University Philadelphia
Prof. Deborah Dash Moore
Frederick G. L. Huetwell Professor of History and Professor of Judaic Studies, University of Michigan
Prof. A. Dirk Moses
Frank Porter Graham Distinguished Professor of Global Human Rights History, University of North Carolina at Chapel Hill
Prof. David N. Myers
Professor of Jewish History, UCLA
Prof. (emeritus) Mica Nava
Professor (emeritus) of Cultural Studies, University of East London
Prof. Rachel Rafael Neis
Associate Professor, History Department and Frankel Center for Judaic Studies, University of Michigan
Dr. Sheryl Nestel
Lecturer (ret.), Ontario Institute for Studies in Education, University of Toronto
Prof. (emeritus) Adi Ophir
Tel Aviv University, Visiting Professor of the Humanities, The Cogut Institute for the Humanities and the Center for Middle East Studies, Brown University
Prof. Nurit Peled-Elhanan
School of Education, Hebrew University of Jerusalem; David Yellin Academic College of Education
Mitchell Plitnick
Author and president of ReThinking Foreign Policy
Prof. (emeritus) Yakov M. Rabkin
Department of History, University of Montreal
Dr. David Ranan
Birkbeck University of London
Prof. Robert Eli Rosen
Professor of Law, School of Law, University of Miami
Dr. Judy Roth
Adjunct Medical Professor, CUNY School of Medicine
Prof. Michael Rothberg
1939 Society Samuel Goetz Chair in Holocaust Studies; Professor of English and Comparative Literature, UCLA
Prof. Catherine Rottenberg
Department of American and Canadian Studies, University of Nottingham
Prof. Paul L. Scham
Associate Research Professor of Israel Studies, Director Gildenhorn Institute for Israel Studies, University of Maryland
Prof. Lynne Segal
Birkbeck Institute, University of London
Prof. Jeffrey S. Shoulson
Professor of Literatures, Cultures and Languages, University of Connecticut
Prof. Dmitry Shumsky
Department of Jewish History and Contemporary Jewry, Director of the Cherrick Center for the Study of Zionism, the Yishuv and the State of Israel, Hebrew University of Jerusalem
Prof. Lior Sternfeld
Assistant Professor of History and Jewish Studies, Penn State University
Prof. Barry Trachtenberg
Rubin Presidential Chair of Jewish History; Associate Professor of History, Department of History, Wake Forest University
Dr. Dr. Peter Ullrich
Senior Researcher, Zentrum Technik und Gesellschaft, Technische Universität Berlin
Prof. Oren Yiftachel
Department of Geography and Environmental Development, Ben-Gurion University of the Negev
Dr. Raef Zreik
Senior Research Fellow, Van Leer Jerusalem Institute
Prof. Ran Zwigenberg
Associate Professor of Asian Studies, History, and Jewish Studies, Pennsylvania State University