Les invisibles du Liban : réfugiés, COVID-19, et l’explosion du port de Beyrouth

L’explosion catastrophique du 4 août à Beyrouth a laissé 200 morts et des milliers de blessés. Ce résultat comprenait au moins 43 réfugiés syriens et palestiniens et des dizaines de….

L’explosion catastrophique du 4 août à Beyrouth a laissé 200 morts et des milliers de blessés. Ce résultat comprenait au moins 43 réfugiés syriens et palestiniens et des dizaines de travailleurs migrants étrangers qui ont été tués ou blessés. En plus, d’innombrables maisons, affaires et infrastructures essentielles ont été endommagées ou détruites et il faudra du temps pour les reconstruire. L’explosion du port de Beyrouth va faire porter un lourd fardeau à la société libanaise et aura des impacts à court et long terme sur les communautés marginalisées.

L’explosion du port a coïncidé avec une crise économique et politique qui a été exacerbée par la pandémie de la COVID-19. L’impasse politique du Liban s’est poursuivie avec la démission le 10 août du gouvernement du Premier ministre Hassan Diab. Le conflit politique continu entre les factions politiques qui gèrent le Liban, couplé avec la corruption endém, a directement affecté les réfugiés, les populations déplacées et les communautés marginalisées. Les réfugiés représentent actuellement environ 20 pour cent de la population du Liban, et ils étaient déjà en détresse avant même l’explosion. Avec la destruction du principal port du Liban, le Programme Alimentaire Mondial (PAM) a prévenu qu’il y aurait une coupure dans la fourniture élémentaire de nourriture. Déjà parmi les populations les plus vulnérables du Liban, les réfugiés palestiniens et syriens vont maintenant devoir affronter une insécurité alimentaire accrue.

Les réfugiés du Liban

Il y a plus de 470.000 réfugiés palestiniens au Liban, enregistrés par l’Office de Secours et de Travaux de l’ONU (UNRWA), agence responsable des réfugiés palestiniens. En plus, 29.000 réfugiés palestiniens de Syrie ont été obligés de fuir vers le Liban à cause du conflit et dépendent du soutien de l’UNRWA. La majorité des réfugiés palestiniens du Liban vivent dans 12 camps à travers le pays. Créés après la Nakba de 1948, ces camps sont surpeuplés et manquent des services élémentaires, comme l’eau potable et l’électricité. Plus de 61.000 réfugiés palestiniens sont considérés comme étant en grande difficulté et reçoivent une aide financière d’urgence d’environ 22 $ par trimestre par personne.

Cependant, il y a au moins 850.000 réfugiés syriens enregistrés par le Haut Commissariat de l’ONU pour les Réfugiés (UNHCR) et à peu près 18.500 réfugiés d’Irak, du Soudan et autres pays. D’après une évaluation conjointe de l’UNHCR, du Financement de l’ONU pour les Enfants (UNICEF) et du PAM, 73 % des ménages syriens vivent en dessous du seuil de pauvreté – moins de 3,84 $ par jour – et 55 % vivent dans une extrême pauvreté. L’UNHCR fournit une assistance financière mensuelle de 175 $ à 33.000 ménages syriens réfugiés au Liban. En hiver, ce soutien est augmenté d’une aide supplémentaire à 165.000 familles. Le PAM fournit aussi une assistance financière de 27 $ par personne.

Une situation difficile aggravée par la COVID

Le mois dernier, l’UNHCR a rapporté les résultats d’une étude conduite parmi les réfugiés syriens pour déterminer l’impact de la COVID-19. Parmi les interviewés, 26 % étaient incapables d’acheter des médicaments à la 12ème semaine de la crise, 61 % avaient perdu leur emploi, 74 % ne pouvaient pas payer leur loyer, et 77 % avaient des difficultés pour acheter de la nourriture. En plus, à cause de la crise financière du Liban, la livre libanaise a perdu sa stabilité de conversion avec le dollar américain. Ceci a contribué à une forte augmentation du coût des aliments et autres nécessités et a écrasé d’un poids encore plus grand les familles de réfugiés du pays.

Même avant la pandémie et l’explosion, le Liban avait augmenté les restrictions juridiques sur le droit au travail des réfugiés palestiniens et syriens. L’été dernier, le ministère du Travail a mis en place de nouvelles interdictions sur les petites affaires et boutiques qui emploient fréquemment des travailleurs étrangers sans permis de travail. A ceci s’est ajouté le confinement pour la COVID-19. De nombreux réfugiés sont employés comme travailleurs à la journée et n’ont pas pu travailler à cause de la quarantaine et des restrictions renforcées.

Un besoin aigu de financement et d’accès aux soins de santé

D’après Claudio Cordone, directeur de l’UNRWA au Liban, la destruction du port de Beyrouth dans l’explosion du 4 août aura des répercussions négatives ultérieures pour les réfugiés palestiniens. Même avant l’explosion, l’UNRWA avait élargi le nombre de familles qui recevaient l’aide d’urgence à cause de la pandémie, et elle prévoit d’étendre ce soutien d’ici la fin de l’année. L’agence a annoncé qu’elle aura besoin de 10.6 millions de dollars pour apporter l’aide nécessaire, quoique cette annonce ait été faite avant l’explosion du port à la suite de laquelle un financement additionnel sera vraisemblablement nécessaire.

Cependant, l’UNRWA est déjà à la limite de ses possibilités. En août 2018, Wahington a arrêté son soutien à l’agence, coupant 360 millions de dollars de son financement annuel, ou en gros un quart des 1.4 milliard de dollars du budget de l’UNRWA. A cause de la crise financière, l’UNRWA a mis en place une série de réductions dans ses services.

Comme l’UNRWA, l’UNHCR s’est débattue pour arriver à fournir les services de santé adéquats aux réfugiés syriens, situation qui a été exacerbée par la pandémie de la COVID-19. Le mois dernier, l’UNHCR a fait état de 125 cas de COVID-19 parmi les réfugiés syriens du Liban. Bien que les réfugiés soient interdits d’accès aux soins dans les hôpitaux publics du Liban, un accord initial a été signé entre l’UNRWA et l’UNHCR et l’Hôpital Universitaire Rafik Hariri de Beyrouth pour traiter les cas de COVID-19 parmi les réfugiés et les personnes déplacées. L’UNHCR a récemment annoncé que six hôpitaux sont maintenant en capacité de traiter ce genre de cas. Cependant, l’explosion du port a grandement alourdi le fardeau sur le fragile système de santé du Liban alors que trois hôpitaux ont été endommagés ou détruits. Et en plus, l’Hôpital Universitaire était déjà au maximum de ses capacités et des aménagements supplémentaires seront peut-être nécessaires alors que le nombre de cas de COVID grimpe parmi les réfugiés et dans la population en général.

Avec presque 300.000 Libanais déplacés et les manifestations de grande ampleur en cours, le nombre de cas de COVID est en hausse. A la date d’aujourd’hui, 225 cas positifs ont été confirmés parmi les réfugiés palestiniens et au moins 125 cas parmi les réfugiés syriens au Liban. Par ailleurs, huit réfugiés palestiniens et un réfugié syrien sont morts du virus. Pour essayer de contenir à nouveau le virus, on a annoncé un nouveau confinement jusqu’au 7 septembre.

La combinaison des crises politique et financière avec la COVID-19 a eu des répercussions directes sur les femmes et les filles au Liban. Cela ne se limite pas aux risques de contracter le virus dans des conditions de surpeuplement et de pauvreté. Elles ont aussi subi une hausse du niveau des violences domestiques et institutionnelles. A cause du confinement, les services publics et privés n’étaient pas disponibles pour aider les femmes et les filles qui vivent dans conditions désespérées et violentes. Ces conditions ne feront que se dégrader davantage alors que le Liban se bat pour sa reconstruction.

L’aide internationale doit arriver jusqu’aux plus vulnérables

Après l’explosion du port, la communauté internationale s’est précipitée pour aider le Liban. Conduite par le président français Emmanuel Macron et en coordination avec l’ONU, une conférence des donateurs s’est réunie en ligne pour recueillir un soutien d’urgence. Les 300 millions de dollars initialement engagés pour aider le Liban et l’appel consécutif de l’ONU pour 565 millions de dollars ne fourniront qu’un secours temporaire alors que les dommages estimés pourraient dépasser les 15 milliards de dollars. Il est essentiel que la communauté des donateurs internationaux ne passe pas sous silence les populations marginalisées et non protégées du Liban.

Le gouvernement et les partis politiques libanais ont une longue histoire d’appropriation du butin de l’aide internationale et de sa distribution à leurs supporters, tout en retenant l’aide au plus pauvres et aux plus vulnérables. Quoique des associations de la société civile aient été envisagées comme une alternative préférable à la corruption et à l’incompétence du gouvernement libanais, ce ne sera pas nécessairement le cas. En fait, certaines organisations civiles copient la politique et les programmes des partis et groupes politiques existants. Par conséquent, il est vital que les donateurs s’assurent que l’aide promise atteigne les réfugiés, les migrants et les personnes déplacées de l’intérieur.

Le meilleur moyen d’y arriver, c’est de financer entièrement les programmes et les services de l’UNRWA et de l’UNHCR au Liban. Ces agences et leurs homologues de l’ONU, comme l’UNICEF, ont la plus longue tradition d’attribution réussie de services à de grandes populations de réfugiés. Elles jouissent aussi d’une plus grande transparence et d’un meilleur contrôle que leurs homologues du gouvernement libanais. En plus, il existe déjà un mécanisme pour porter assistance aux réfugiés syriens dans le pays grâce à un consortium d’agences qui a été soumis à examen et évaluation. Cependant, un contrôle supplémentaire peut être nécessaire et le Bureau de l’Inspecteur Général de l’ONU devrait être habilité et complètement financé. Même si cela n’éliminera pas entièrement la corruption, ce sera une amélioration significative par rapport à la situation actuelle ou l’alternative à l’implication directe du gouvernement. Par conséquent, c’est une opportunité pour renforcer les agences de l’ONU déjà en activité au Liban. Sinon, les groupes marginalisés seront invisibles et ne recevront pas l’aide dont ils ont si désespérément besoin.