La Science malgré tous les obstacles

Pendant le week-end du vendredi 10 au dimanche 12 janvier, la troisième conférence internationale des « Scientifiques pour la Palestine » (S4P) s’est tenue cette année à l’Institut de Technologie….

Pendant le week-end du vendredi 10 au dimanche 12 janvier, la troisième conférence internationale des « Scientifiques pour la Palestine » (S4P) s’est tenue cette année à l’Institut de Technologie du Massachusetts (MIT) à Cambridge. Devant une audience d’environ 200 personnes, il y avait trente scientifiques palestiniens, les uns présentant des communications et d’autres participant à des panels; neuf d’entre eux avaient fait le voyage depuis la Palestine.

Le plus frappant a été l’absence de participants de Gaza auxquels le visa avait été refusé (mais qui ont pu participer en vidéo) ; et en particulier l’absence de Ubaï Aboudi, le directeur du centre de recherche Bisan pour le développement, qui est l’un des organisateurs de la conférence de 4SP et qui a été arrêté sans accusation en novembre. Aboudi, qui est titulaire de la citoyenneté étatsunienne, est un pédagogue de premier plan et hautement respecté en Palestine. À l’ouverture de la session plénière, son épouse, Hind Aboudi, nous a dit par liaison vidéo que sa détention venait d’être renouvelée pour 101 jours de plus. Lors de sa récente visite – limitée à deux minutes – elle l’a vu se tenir aux côtés d’un prisonnier dont la mâchoire était sérieusement déviée, qui avait visiblement été torturé. Dans la session plénière finale, cette assemblée de scientifiques a soutenu la motion selon laquelle S4P devrait faire des communications publiques au nom du Dr. Ubaï Aboudi.

Le discours liminaire de l’ouverture de la conférence fut une présentation magnifiquement stimulante « Ouvrir une nouvelle fenêtre sur l’univers ». Parfaitement adaptée à ce rassemblement de docteurs, de chercheurs en médecine, de mathématiciens, de physiciens, de chimistes, de biologistes et d’un large panel de profanes (supposément) bien formés, dont très peu étaient astrophysiciens, Nergis Mavalvala (qui a dirigé l’équipe qui a construit l’observatoire LIGO) a expliqué que « l’ancienne » fenêtre sur l’univers était visuelle tandis que la « nouvelle » fenêtre est sonore, parce qu’elle recherche la trace de collisions qui se sont produites il y a 1,3 millions d’années.

Redescendant sur terre, le panel de discussion du vendredi soir a souligné les problèmes auxquels sont confrontés les scientifiques palestiniens sous occupation israélienne, qu’ils soient localisés en Cisjordanie et à Gaza, dans la Palestine de 48, dans les camps de réfugiés du Liban et de Syrie et plus largement dans la diaspora. Fermetures, checkpoints, restrictions des déplacements, rareté de ressources matérielles, interruptions de la fourniture d’eau et d’électricité et rareté des financements de recherche, sont les principaux obstacles qui gênent la recherche. Marwan Awartani, un mathématicien, qui est maintenant ministre de l’éducation et de l’enseignement supérieur, s’est adressé à la conférence par vidéo en insistant sur le fait que ces obstacles, reflétant la poursuite de l’occupation, étaient tout à fait contraires à l’idée de l’université comme lieu d’échanges libres multiculturels et pluridisciplinaires d’idées, en particulier eu égard à la pratique et au développement de la science qui ne connaissent pas de frontières nationales.

C’est dans ce contexte, face aux obstacles imposés par l’État israélien, que S4P est emblématique de l’universalité humaniste de la recherche scientifique et technologique. Pendant les deux jours suivants, nous avons entendu, de la part du lauréat du prix Nobel, le biochimiste George Smith et de nombreux autres scientifiques majeurs représentant huit des dix sept universités palestiniennes, toute une série de travaux théoriques de haut niveau, de l’entomologie à la physique des hautes énergies, à la recherche sur la cancer, la recherche génomique et la médecine d’urgence telle que pratiquée à Gaza pendant les jours de manifestation de la Grande Marche du Retour.

Majd Masharawi de Gaza nous a fait voir en vidéo deux produits innovants qu’elle a mis au point : GreenCake, (Gâteau Vert) qui sont des parpaings faits à partir de décombres de bâtiments démolis par les bombardements et SunBox, (Boîte de Soleil) qui est un kit compact de panneaux photovoltaïques, de batteries et de luminaires permettant de surmonter les interruptions constantes de courant ; il est conçu dans différentes dimensions pour être abordable. Saad Dagher, en vidéo lui aussi, a parlé de son travail sur la souveraineté alimentaire via l’agro écologie. Et le docteur Tarek Loubani, un médecin canadien qui travaille à Gaza et qui, avec son projet Glia, utilise une imprimante 3-D pour fabriquer des stéthoscopes (pour un prix de 2,81 dollars contre 300 pour un « vrai » – respectivement 2,53 € et 270,4 €), des conducteurs d’aiguilles et des oxymètres de pouls. Parlant de son travail comme délibérément « non innovant », il a dit que son objectif principal est de fournir des équipements médicaux de base et du matériel à des zones souffrant d’une extrême privation de ressources, comme Gaza.

Dimanche, les sessions se sont éclatées en groupes de travail pour se centrer sur des sujets tels que la médecine, la science informatique, l’innovation, les sciences de l’éducation, les conditions de recherche sous occupation. Dans le cadre d’un exercice de renforcement institutionnel, chaque groupe avait pour tâche de mettre au point une structure et un programme pour chaque domaine thématique (ce qui autorisait une complémentarité significative et des interférences) et un mécanisme d’avancement de la connaissance et de la coopération internationale.

De mon point de vue en tant qu’architecte et non de scientifique, j’ai été frappé par l’extraordinaire fécondité du travail scientifique de haut niveau produit dans des conditions très difficiles. En sciences, il y a normalement un problème de « traduction » qui fait la transition du travail théorique ou de laboratoire à la mise en œuvre et à l’application. En Palestine occupée il y a une transition supplémentaire à faire, celle de la recherche scientifique et technologique de la Palestine au reste du monde, en surmontant non seulement les obstacles physiques, mais les obstructions intellectuelles placées devant les scientifiques palestiniens à la recherche de brevets pour leur activité, dont le contrôle est aux mains de l’État israélien.

Une autre conclusion de l’observation de cet échange sophistiqué et productif d’idées est qu’en dépit des privations politiquement imposées dont souffrent les scientifiques palestiniens (et bien sûr la population dans son ensemble), il y a une ingéniosité pour résister contre tous les obstacles. Dans dix, vingt, trente ans, le monde entier souffrira de privations dues au changement climatique et à l’épuisement des ressources. La Palestine et les scientifiques palestiniens nous montrent comment exister malgré les obstacles.