#EASA2018 : Motion contre les universités de l’apartheid en Cisjordanie

L’Association européenne des anthropologues sociaux (EASA) a récemment voté une motion s’opposant à « l’établissement et à la régularisation d’institutions universitaires destinées à l’usage exclusif de la population d’une puissance….

L’Association européenne des anthropologues sociaux (EASA) a récemment voté une motion s’opposant à « l’établissement et à la régularisation d’institutions universitaires destinées à l’usage exclusif de la population d’une puissance occupante dans des territoires occupés, et plus particulièrement des institutions destinées à l’usage exclusif des citoyens israéliens, situées dans le territoire palestinien occupé de Cisjordanie » et s’engageant à « ne pas coopérer avec ces institutions ».

L’EASA exprime aussi « sa solidarité avec les universitaires et les étudiants palestiniens qui souffrent le plus de ces politiques discriminatoires et illégales ».

C’est la première fois qu’une association universitaire européenne vote une telle motion.

Motion sur les institutions universitaires israéliennes dans les territoires palestiniens occupés

Soumise au Forum des membres de l’EASA par :

Julie Billaud, Brian Callan, Alice Elliot, Mariya Ivancheva, Patrick Neveling
14 août 2018

Les signataires mentionnés ci-dessus demandent que le Forum des membres débatte et adopte la motion suivante: [[Voir cet article pour plus de détails sur la résolution de l’IAA.]]

L’Association européenne des anthropologues sociaux (EASA) constate ce qui suit :

  1. Que le 12 février 2018, la Knesset israélienne a voté une loi étendant la juridiction du Conseil israélien d’enseignement supérieur à des institutions universitaires destinées à l’usage exclusif des citoyens israéliens, mais situées dans le territoire palestinien occupé de Cisjordanie ;
  2. Que l’établissement d’institutions universitaires destinées à l’usage exclusif d’une puissance occupante dans un territoire occupé, tout en en refusant l’usage à la population occupée est non seulement illégal selon le droit international, mais viole les normes éthiques fondamentales de l’Université en général et de l’anthropologie en particulier ;
  3. Que le 17 février, les co-présidents de l’association israélienne de sociologie (ISA) ont déclaré l’opposition de leur association à cette mesure et leur refus de coopérer avec les institutions susdites ; que le 2 mars, le comité exécutif de l’association israélienne d’anthropologie (IAA) a aussi déclaré son opposition à la loi et que le 26 juin, les membres de l’IAA ont voté à une large majorité pour affirmer l’opposition de l’IAA à la loi et son refus de coopérer avec les institutions susdites ;
  4. Que dans l’actuel climat politique et juridique en Israël, en particulier la loi dite « de boycott », nos collègues de l’ISA et de l’IAA courent un risque important en adoptant cette position de principe ;

l’EASA décide donc ce qui suit :

  1. d’exprimer sa propre opposition à l’établissement et à la régularisation d’institutions universitaires destinées à l’usage exclusif de la puissance occupante dans des territoires occupés, et plus particulièrement des institutions destinées à l’usage exclusif des citoyens israéliens situées dans le territoire palestinien occupé de Cisjordanie, et de s’engager à ne pas coopérer avec ces institutions ;
  2. d’exprimer sa solidarité avec les universitaires et les étudiants palestiniens qui souffrent le plus de ces politiques discriminatoires et illégales, ainsi qu’avec les collègues israéliens de l’ISA et de l’IAA qui ont adopté une position courageuse en s’opposant à ces mêmes politiques.

Un interview d’Allegra-lab avec Matan Kaminer

Matan Kaminer est doctorant à l’université du Michigan et membre de l’association israélienne d’anthropologie et d’Academia for Equality [Université pour l’égalité], un groupe israélien défendant la démocratisation de la vie universitaire. Ses recherches portent sur la migration des travailleurs de Thailande en Israël pour le travail agricole, à l’intersection du colonialisme d’occupation et du néolibéralisme. Il explique pourquoi cette motion soumise au Forum des membres de l’EASA est une étape importante pour la solidarité entre universitaires palestiniens et israéliens.

Allegra : Où sont ces institutions situées dans les Territoires palestiniens occupés ?

Matan : Depuis quelques années, Israël a mis en place des institutions dans les Territoires palestiniens occupés de Cisjordanie. La plus grande est l’université Ariel. Ces institutions sont réservés aux Israéliens et n’acceptent pas d’étudiants palestiniens. Elles ont été établies en violation du droit international et de l’éthique universitaire. Ariel est située dans la plus grande colonie de Cisjordanie, près de la ville de Salfit, entre Ramallah et Naplouse. Ariel est une partie très importante de ce que l’anthropologue Jeff Halper appelle « la matrice israélienne de contrôle », établie en terre palestinienne et bloquant la contiguïté territoriale palestinienne.

Allegra : Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur la nouvelle loi qui a été votée par la Knesset en février dernier ?

Matan : En février cette année, le Parlement israélien, la Knesset, a légiféré afin d’annexer ces institutions au Conseil israélien d’enseignement supérieur. Auparavant elles étaient sous la juridiction du gouvernement militaire israélien de Cisjordanie. Ceci fait partie d’un processus que beaucoup de gens appellent une annexion rampante, au cours duquel la loi israélienne est imposée progressivement sur les territoires occupés, d’une manière discriminatoire qui sape la souveraineté palestinienne et la possibilité d’un futur état palestinien.

Allegra : Comment les associations israéliennes de sociologie et d’anthropologie ont-elles réagi à cette nouvelle législation ?

Matan : En mars, les co-présidents de l’association israélienne de sociologie, Yagil Levy et Gili Drori, ont déclaré leur opposition à cette action illégale et se sont engagés à ce que leur société ne coopère pas avec ces institutions. Peu de temps après, le président de l’association israélienne d’anthropologie, Nir Avieli, a aussi déclaré l’opposition de notre association à cette action du gouvernement. En juin, l’IAA a voté par une large majorité de ses membres pour réitérer notre opposition à cette annexion et nous engager à ne pas coopérer avec ces institutions en Cisjordanie.

Allegra : Pourquoi est-il important de soutenir cette motion en votant demain au Forum des membres de l’EASA ?

Matan : Quand nous nous efforcions de faire passer la résolution de l’IAA, des soutiens potentiels ont exprimé deux inquiétudes : l’une était que nous ne serions pas entendus, que les collègues internationaux ne seraient pas intéressés par cette déclaration, et la deuxième était que nous serions sujets à des attaques de la part du gouvernement. Je devrais mentionner qu’il y a quelques années a été adoptée une loi sur le Boycott, qui permet à quiconque se considère affecté par un boycott des colonies de demander en justice des millions de dollars sans besoin de prouver un quelconque préjudice. Nous n’appelons pas notre mesure de non-coopération un boycott, mais les gens sont quand même inquiets là-dessus. Ce serait très réconfortant pour nos collègues en Israël de recevoir le soutien des anthropologues européens. Je ne peux pas parler pour les collègues en Palestine, mais peut-être pour eux aussi, entendre que les collègues européens soutiennent notre mesure par principe et sont prêts à offrir leur solidarité et leur aide au cas où nous serions attaqués à cause de cela.